Nos ancêtres les Monomotapas
Les lecteurs réguliers l’auront noté : le libéral qui sommeille en moi s’éveille parfois à l’évocation de l’instruction des jeunes cerveaux confiés à la République. Il m’arrive en effet, à ce sujet, de m’emporter un tantinet et je vais jusqu’à prétendre que l’Edulcoration Nationale s’emploierait à véritablement pourrir la tête des générations montantes avec plein de concepts clairement orientés pro-sociale-démocratie dégoulinante. On m’a souvent dit que j’exagère… En fait, même pas.
C’est grâce à l’un de mes lecteurs qu’a été portée à mon attention la récente chronique d’Ivan Rioufol.
Soyons bien clair : je n’en suis pas un lecteur ni assidu, ni habituel, ni même occasionnel. En gros, les journalistes chroniqueurs ne déclenchent en général aucun enthousiasme, et très rares sont ceux capables d’amener autre chose qu’un vague sentiment d’hébétude à la lecture de leurs inepties. Quelques uns échappent de peu à cette réaction et n’entraînent qu’un petit « bof » maussade. Rioufol doit en faire partie.
Mais cette fois-ci, dans son billet sur Borloo, en plus des quelques lignes qu’il consacre à l’autre leader du centre mou (par opposition au premier leader du centre mou, Bayrou), on (re)découvre que les aimables saboteurs en charge de l’instruction de nos enfants ont récemment fait entrer dans les programmes de 4ème l’étude des civilisations africaines du Monomotapa et du Songhaï, au détriment de Henri IV et le Louix XIV.
J’avais, en son temps, vaguement entendu parler de la nouvelle mais je n’ai pas pu m’empêcher de douter.
C’est tout de même un peu gros : faire ainsi sauter deux des rois de France les plus connus et les plus marquants pour les remplacer par deux empires africains, certes situés à la même période, ça me paraissait franchement sujet à caution. Normalement, c’est le genre de choix controversé qui provoque généralement, au moins pendant quelques jours, une petite polémique comme la France est capable d’en produire sur un peu tout et n’importe quoi.
Or, là, je ne me souvenais d’aucune joute majeure, impliquant une presse enflammée et des journalistes concernés (ou consternés) qui seraient montés au créneau, qui pour défendre les introductions de ces éléments dans les programmes, facteur de progrès, d’ouverture et de petits bisous douillets, qui pour s’élever avec véhémence contre cet assaut à la citoyenneté, l’idée d’une nation soudée autour d’une même histoire, que sais-je, bref, une bonne petite castagne.
Mais non, aucun souvenir.
Quelques recherches plus tard, j’ai effectivement retrouvé de petits articles expliquant l’affaire : les deux rois ne sont pas, à proprement parler, supprimés, mais simplement déplacés dans la chronologie en fin de 5ème (vers juin, par exemple) et le temps ainsi dégagé dans le programme de 4ème peut être alors consacré à ces piliers indispensable du savoir commun de tous les petits Européens. On imagine d’emblée le sérieux avec lequel les deux rois vont être étudiés…
Et l’ensemble de l’opération a été relayée dans la presse, assez discrètement, au milieu de juillet de l’année dernière, date à laquelle d’une part, j’avais autre chose à faire qu’à la lire, et où, d’autre part, des millions de Français ont fait la même chose que moi, à savoir s’en foutre.
C’était une erreur.
Maintenant que l’année scolaire est passée, certains élèves ont donc eu le bonheur douteux d’avoir eu plusieurs chapitres d’Histoire consacrés à ces deux empires africains dont les liens avec la France de l’époque étaient … ténus, dirons-nous. Et à présent, une classe entière d’élèves n’aura qu’une très vague idée de ce que furent Henri IV et Louis XIV. C’est ballot.
Qu’on ne se méprenne pas : il y a très certainement beaucoup de choses à apprendre de ces empires. Mais avant d’aller voir ailleurs si l’on y est, il me semble urgent que l’Éducation Nationale apprenne les bases de l’histoire traditionnelle française aux élèves qui lui sont confiés.
De la même façon qu’attaquer les mathématiques par les théories ensemblistes a prouvé être assez contre-productif, et que faire passer du temps aux élèves sur les additions, soustractions, multiplications et divisions de base aura permis de produire des générations d’individus capables d’au moins réaliser les calculs de base pour s’en sortir dans la vie courante, expliquer, chronologiquement, les grandes étapes de la construction française en passant un peu de temps sur les rois qui ont fait date donne quelques repères essentiels pour comprendre le pays dans lequel on vit.
Mine de rien, ne pas passer pour un flan lorsqu’on parle du Roi Soleil sans citer son nom, cela peut servir.
Mais non : pour de pures raisons idéologiques, on propulse l’élève dans le champs d’autres possibles où il faut s’ouvrir à l’autre, à toutes les histoires alternatives, aux vérités singulières et nécessaires dans leur altérité (comme aiment à dire les pédagos) et youplaboum.
J’écris « pures raisons idéologiques » parce qu’absolument rien ne justifie qu’on ajoute ces notions au programme d’histoire. Une chose assez phénoménale avec le passé, c’est qu’il ne bougera plus trop. Certes, certains s’emploient tous les jours à le modifier pour mieux contrôler le présent (on le voit ici), mais ces gesticulations ne doivent pas faire oublier que non, ce que nos aïeux apprenaient, ce que nos parents apprirent, ce que j’ai moi-même appris, non, ça n’est pas démodé, vieillot, inapproprié, décalé, renfermé ou que sais-je.
C’est la base. Et c’est sur une base solide qu’on construit ensuite un savoir cohérent. Les précédentes générations ont pu mesurer combien ces bases sont nécessaires, tant pour se construire une identité que, tout simplement, pour construire une société dont les individus puissent continuer à se parler le même langage.
Mais cette base, on n’en veut plus. Jugée probablement réactionnaire, poussiéreuse ou pas assez interactive pour les gentils mickeys qui font de la présence en cours, on va l’adapter, la casser en petits morceaux faciles à digérer, ludiques, et qui s’inscrit dans la découverte des autres, patati, patata.
Du parfait bourrage de crâne de citoyen, festif, ouvert et vaguement au courant de ce qui se passait à 2500 kilomètres de chez lui il y a 600 ans et ignorant des histoires qui ont façonné l’endroit où il vit.
Et non, je n’exagère plus en disant que toute l’Edulcoration Nationale en est réduite à cette approximation du savoir par cercles concentriques de plus en plus larges et vagues.
À présent, il ne s’agit même plus de camoufler l’Histoire de France, franchement chiante et pas du tout ouverte sur les zôtres. Non, ça, c’était l’année dernière. Maintenant, il s’agit d’expliquer ouvertement comment les jeunes doivent penser en ce qui concerne le téléchargement.
Et au moins, c’est simple et facile à retenir : le téléchargement, c’est mal. HADOPI, c’est la soluce.
Voilà, maintenant, Théo, Chloé, Léa et Hugo, il va falloir cocher la case « HADOPI » quand on vous demande « qui appeler lorsque Papa télécharge illégalement » et souligner le mot « droit d’auteur » pour en discuter avec ton voisin.
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