Point typographique délaissé, de Maxime Hortense Pascal (par Jean-Jacques Viton)

Par Florence Trocmé

Ce livre est le carnet de route de la tentative de récupération mémorielle d’une première phrase, c'est-à-dire du début d’un livre. Bon. Cela dit, il s’agit, dans le livre de Maxime H. Pascal d’un parcours d’une traite, sans repos ni halte d’aucune sorte, sur les traces inexistantes de la phrase « oubliée au bord de la rivière », comme un petit vêtement de vacances et s’affirme dans les détails d’une évasion enfantine, « la fenêtre ferme mal / elle a filé par là » dans le paysage bucolique.  
 
Dès lors, on va chasser, chercher mais qui et quoi, un corps épelé dans l’hésitation, un élément furtif échappant toujours à l’écran jamais éteint, la phrase qui s’annonçait et soudain a manqué dans sa force première, telle une amorce prête à faire feu de tous ses mots et que la salive, on le sait, dans la bouche de sa prononciation « peut délier ». Alors surprise, langue  maladroite dans le silence maladroit du long feu. Survient la respiration haletante, on sait que ce qui se trouvait sur cette langue justement, au bord des lèvres, est déjà dans le lointain du disparu. Mais l’espoir est que l’articulation de la phrase égarée sera peut-être reprise, dans un automatisme rêvé, après contrôle du corps, et fouille acharnée de l’environnement mental. Chercher les traces, renifler les empreintes. Les kilomètres de poursuite s’additionnent. « la phrase fourbue insiste …. au kilomètres 811 c’est réglé … rien ne bouge ». Il est trop tard. Le perdu l’est pour de bon mais quelle que soit la route ponctuée d’« espace entre les virgules » de la construction choisie au début, il faut avancer dans l’intenable à sa recherche. Ça prendra beaucoup de temps en vain et dépensera beaucoup de kilomètres encore. A marche forcée. Au kilomètre 125 on n’avait de cette enquête, derrière le front, qu’une image supposée, un départ fantôme-robot. Depuis, la route a été longue, l’enquête démoralisante malgré ou à cause d’une mobilisation totale du sensoriel, la traque d’un « petit bâti de mots », une mise sur écoute des syllabes ressassées par la mer, un balayage archéologique de « débris de mots ». Mais le corps ne peut se contenter d’un « noué vague » et des signes indéchiffrables des « courants aériens ». Et surtout, sur ces routes, ne pas se laissait tenter par le questionnement que la marque LACAN inscrite au dos d’un tracteur de labours appellerait justement à questionner. 
 
On l’a très tôt pressenti, l’indétectable point typographique « délaissé » par Maxime H. Pascal, ne viendra jamais ponctuer cette fin de quête. On aura beau se remettre dans le jeu de scène du début de son livre, celui qui dit la disparition de l’autre livre, (je pensais à cela… je me disais que… je commençais à écrire quelque chose…), plus rien ne permettra de retrouver phrase et rythme. Texte perdu, englouti, présent au fond qui l’enlise, cette vase où « les mots se sont noyés » 
 
Les élans du début, les fragments inconnus simulant les égarés, l’ensemble de cette narration de la perte et de ses récitatifs, donnent à suivre la très passionnante construction des retours à la ligne supposant que le récit disparu ne fait que continuer, « en déséquilibre » et que la phrase enfuie avant terme « est devenue mille ».  
 
Ce livre qui détaille avec insolence la tragédie d’une phrase emprisonnée dans l’oubli, raconte superbement l’odyssée d’une phrase happée par l’éternel retour de son commencement rêvé. 
 
 
[Jean-Jacques Viton] 
 
Maxime Hortense Pascal, point typographique délaissé, Fidel Anthelme X, 2011