Sarkozy : du succès de Lagarde au psychodrame ministériel

Publié le 30 juin 2011 par Letombe

Mercredi matin, Nicolas Sarkozy semblait avoir gagné. La nomination, la veille, de Christine Lagarde à la tête du Fond Monétaire International, était indubitablement une victoire française. Mercredi après-midi à l'Assemblée, la ministre fut applaudie. Standing ovation !
Un bonheur n'arrivant jamais seul, le premier ministre Fillon annonçait ensuite aux députés que les deux journalistes otages en Afghanistan avaient été libérés après 547 jours de détention.
Et en fin de journée, Sarkozy procédait au plus important remaniement gouvernemental depuis 2007. Mais ce fut le psychodrame. Alors évidemment, c'était la faute à Fillon.
Que de joies en Sarkofrance !
Lagarde, mauvais bilan
Le rôle réel du président français dans la nomination de Lagarde au FMI est plus incertain. Depuis 2007, Sarkozy a donné à Christine Lagarde un ministère important et visible en ces périodes troublées de crise financière et économique.
Mais pour le reste, Christine Lagarde était une candidate par défaut et sans rival. Aucun autre pays européen n'avait de candidat en lice - et Sarkozy n'eut à décourager personne. Ensuite, l'Europe dispose de 36% des suffrages au sein du FMI. Il restait à convaincre les Etats-Unis et le tour était joué. Par ailleurs, on ne sait pas vraiment ce que Christine Lagarde fera de sa mandature au FMI. C'est la première fois qu'une femme dirige une institution internationale de cette envergure. Christine Lagarde a rappelé, mardi soir sur TF1, l'absence de femme au sein du conseil d'administration du FMI qui l'a auditionné la semaine dernière. L'acquis est indiscutable, mais il reste politiquement bien mince.
Si techniquement, Lagarde s'y connaît (bien que non-économiste), politiquement, elle est assez maladroite. On imagine assez bien que la technostructure anglo-saxonne puisse être finalement assez ravie d'une telle candidature face à Agustin Carsten, son adversaire mexicain qui se posait en défenseur des pays pauvres et/ou émergents.
Enfin, et surtout, Christine Lagarde part au FMI avec quelques casseroles. Certaines sont judiciaires : la Cour de Justice de la République a certes décidé de repousser à juillet la décision d'ordonner une enquête ou non, mais l'affaire Tapie demeure. La ministre est accusée de plusieurs griefs qui se résument à un seul et principal : elle aurait habilement manoeuvré la procédure (via le choix de l'arbitrage, puis le refus de faire appel) pour que l'ami du Président (et de son ministre Borloo) récupère 400 millions d'euros d'indemnités du Crédit Lyonnais.
Certaines casseroles sont politiques. En France, le bilan de la ministre est médiocre. En mai 2007, Sarkozy l'avait nommée à un ministère des Finances amputé du Budget confié à Eric Woerth puis François Baroin). Depuis, Lagarde s'est d'abord remarquée par quelques formules maladroites et un optimisme à toute épreuve : alors que les prix de l'énergie flambaient à l'été 2008, elle conseilla aux Français préférer le vélo. De 2007 à 2010, elle a systématiquement surévalué ses prévisions  de croissance économique. Sous sa gouvernance, les déficits publics ont explosé, la chasse aux niches fiscales bien tardive (fin 2010) et modeste. A l'été 2007, elle a défendu avec autant d'ardeur la loi TEPA qu'elle a mis d'énergie à la détricoter quelques années plus tard. En 2009, Lagarde reste bien timide sur la régulation des paradis fiscaux et la taxation des bonus bancaires. Elle applaudit la création de la BPCE, dirigée par François Pérol, en plein conflit d'intérêt. Elle fait adopter la loi de Modernisation de l'Economie qui, entre autres, autorise des soldes tout le temps et n'importe comment. Quand le pétrole flambe à nouveau, Lagarde promet des contrôles de marges des distributeurs.
En somme, Lagarde fut cette ministre capable d'annoncer, avec un sourire déconcertant d'éclat, tout puis son contraire, et vice versa.
Déchirements chiraquiens
Ce « succès diplomatique », comme l'a qualifié François Bayrou, créé aussi surtout quelques difficultés intérieures majeures pour Nicolas Sarkozy.
A quatre mois du prochain G20, organisé sous présidence française à Cannes en novembre, et dans un contexte international chargé, le Monarque perd l'un de ses rares ministres à savoir parler correctement anglais...  Plus grave, son remplacement a visiblement déchiré son camp retranché. Après le remaniement raté de novembre dernier (où Fillon remplaça Fillon), le remaniement subi de février (pour solder les affaires MAM et Hortefeux), voici le remaniement psycho-dramatique de juin : les « quadra », souvent chiraquiens, se disputent les strapontins ministériels de Sarkofrance. Pour ces derniers mois de la (première) présidence Sarkozy, l'appât du pouvoir et de la reconnaissance affole les esprits.
Sous couverts d'anonymat, conseillers, ministres ou proches du pouvoir confièrent dans les moindres détails, avec délectation ou énervement, ces combats picrocoliens. Et quelques journalistes « embarqués » pouvaient nous faire vivre, ce matin, la chronique de ces heures incroyables.
Mardi, de retour de visite des poulets garantis élevés en plein air, le ministre agricole Bruno Le Maire s'était vu promettre le poste de Lagarde. Pour défendre sa cause, l'ancien villepiniste, depuis jours déjà, avait avancé que lui au moins parlait couramment anglais et allemand : les arguments perchaient haut, hier en Sarkofrance ! Mais François Baroin, son collègue du budget, informé l'après-midi même à Matignon par François Fillon, a piqué une grosse colère, avec chantage à la démission. Le Maire restera où il est, et déçu.
Psychodrame ministériel
En fin d'après-midi mercredi, l'Elysée publiait le résultat d'un remaniement qui, par le biais de chaises musicales et de manoeuvres tactiques, prenait une ampleur quasi-inédite depuis 2007. Outre Baroin qui hérite de son hochet aux Finances et à l'Economie, Valérie Pécresse, improbable ministre de l'Enseignement supérieur, récupère le Budget. Elle est remplacée par Laurent Wauquiez. Le chantre de la droite sociale anti-assistanat abandonne les affaires européennes, auxquelles il a peu brillé. Mais Wauquiez reste l'un des chouchous du Monarque. Porte-parole du gouvernement, puis secrétaire à l'Emploi, puis ministre des affaires européennes, le voici à l'enseignement.
Pour gêner le rival Borloo, Sarkozy débauche trois centristes : Jean Léonetti, radical en rupture de banc, récupère le strapontin de Wauquiez au beau milieu d'une nouvelle crise européenne.  Fallait-il que Sarkozy ait envie d'embêter Jean-Louis Borloo pour déstabiliser ainsi sa propre équipe dans de telles circonstances ! Un second centriste, François Sauvadet, hérite de la Fonction Publique. Et Marc Laffineur déboule au poste de secrétaire d'Etat auprès du ministre de la Défense et des anciens Combattants.Pour flatter la Droite Populaire, Thierry Mariani est promu ministre (il n'était que secrétaire), toujours chargé des Transports.
Pour éviter de perdre une femme de plus et faire joli sur la photo, Sarkozy a créé un poste secrétaire d'Etat auprès de Roselyne Bachelot, sans affectation, confiée à la députée UMP Claude Greff, ancienne infirmière.
Le poste le plus cocasse est le tout nouveau secrétariat d'Etat chargé des Français de l'Etranger (et donc des expatriés fiscaux) confié à ... David Douillet. Un machin évidemment inutile pour donner un peu de visibilité médiatique à l'ex-judoka.
Paradoxalement, cet épisode illustre la faiblesse politique de Nicolas Sarkozy, contraint à un remaniement plus large pour satisfaire les désirs des uns (Baroin, Pécresse), flatter ses grognards (Wauquiez, Mariani) ou décourager ses rivaux centristes. Et mercredi matin, le Monarque s'est défaussé : « le remaniement, c'est Fillon qui s'en occupe. » Ben voyons !
En fin de journée, ce remaniement, comme la nomination de Lagarde au FMI, étaient presque complètement oubliés.
Les deux otages français Taponier et Ghesquière avaient été libérés.  Nicolas Sarkozy informa directement les familles. Il fallait faire oublier qu'il y a plus de 500 jours, le Monarque et son ministre Kouchner de l'époque avaient publiquement critiqué « l'imprudence » de ces journalistes. En février 2010, le général Gergolin, chef d’état-major des armées françaises nommé par Sarkozy, s'était inquiété du coût des opérations de sauvetage.
Il y a 8 jours, la France suivait les Etats-Unis dans un retrait militaire partiel d'Afghanistan.
Coïncidence ?

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