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Ennahdha n’est pas l’Akp, par Ferid Belhaj

Publié le 29 juin 2011 par Jcharmelot

Attention, l’exemple turc est un leurre: Ennahdha n’est pas l’Akp, même si le parti islamiste tunisien ne cesse d’invoquer le modèle de son homologue turc.

   Sans surprise, le Parti Adalet ve Kalkinma Partisi (Akp) a remporté les élections législatives turques du 12 juin. Sans surprise, parce que l’opposition était, et reste, divisée, sans réel programme économique ou social positif, se cantonnant à se déterminer par rapport à l’Akp. Sans surprise aussi, parce que ce Parti de la Justice et du Développement (Pjd) a trouvé en Recep Tayyip Erdogan un leader charismatique et sûr de lui. Un homme qui a su faire l’inimaginable: récupérer le legs républicain laïc de Kemal Attatürk en faisant campagne sur le thème de la Turquie 2023, centenaire de la république turque moderne. « Objectif 2023″ voici la vision de l’Akp islamiste, qui avec moult projections, aussi vagues qu’ambitieuses, promet une croissance économique de plus de 8% sur les douze années qui nous séparent de cet horizon. Voire!

   Y a-t-il un Erdogan à Ennahdha?

   Quelles leçons tirer pour la Tunisie de ce non-événement? Comment le narratif des partis politiques islamistes arabes, et notamment Ennahdha, le parti islamiste tunisien, tire-t-il profit de cette « success story »?
   Depuis quelques années s’est inscrit dans l’imaginaire collectif que le « modèle turc » d’un gouvernement à tendance islamiste, modéré, pro-business, projetant des résultats économiques et sociaux probants, est une voie acceptable à suivre. Une manière d’assurance venue du Bosphore contre les dérives fondamentalistes et intolérantes dont iraniens et afghans nous ont donné l’illustration. Voici un parti qui a accepte le jeu démocratique et qui a gagné. Et puis, cerise sur le gâteau, n’a-t-on pas en l’armée nationaliste et laïque turque le meilleur garde-fou contre toute aventure non prévue au programme?
   Lors d’un récent séjour à Istanbul, des amis turcs fortement engagés en politique, et diplomates en poste en Turquie, m’ont donné une lecture intéressante, nuancée et qui peut alimenter en Tunisie, un débat déjà riche.  C’est un point concis sur les différences entre la situation tunisienne et celle turque, de manière à réduire ce parallèle que certains tracent pour rassurer ceux qui pourraient tanguer vers un vote « islamiste modéré ».

   Au niveau du discours politique, les grands programmes de l’Akp n’ont rien à voir avec les déclarations parfois tonitruantes, souvent et malheureusement déstructurées et toujours inquiétantes, des porte-parole de notre parti islamiste local. Vous n’entendrez pas un responsable turc parler d’Etat islamique, d’application de la Charia ou bien de polygamie. Non pas que ces tendances n’existent pas, mais le message de l’Akp est poli, étudié, intelligent et, surtout, réaliste (voir, plus bas, l’aspect économique).
   L’Akp a touché au pouvoir local avant de se lancer dans l’aventure nationale. Erdogan a géré Istanbul de main de maître et a contribué à sa résurgeance en tant que métropole, centre d’affaires et axe culturel.
   Par ailleurs, les leaders de l’Akp, Erdogan et Gül, tiennent leurs troupes et imposent la discipline partisane. Si dissension il y a, elle provient de leur rivalité, encore voilée mais qui pourrait surgir lorsque le débat quant à la réforme de la constitution se fera vif.
   Les islamistes tunisiens sont au stade de la délimitation des responsabilités et de la mise en place du modus operandi post-Ghannouchi. La lutte pour la succession de l’ex-exilé de Londres est lancée. Ils en sont encore à expliquer leur projet de société à ceux qu’ils estiment pouvoir convaincre en, justement, traçant le parallèle turc. Le récent voyage de Hamadi Jebali, le nouvel homme fort de Ennahdha, aux Etats-Unis se place dans cette démarche.
   Ensuite, en regardant de près l’histoire de la Turquie moderne, force est de constater que l’armée n’a pas toujours joué un rôle de défenseur de la démocratie. La Turquie moderne a connu 4 coups d’Etat (1960, 1971, 1980 et 1997), des régimes militaires durs et une répression qui a touché toute forme d’opposition.
   En Tunisie, l’armée a prouvé son engagement auprès du peuple, c’est un fait. Elle a défendu les institutions de la république. Il suffit de regarder la Syrie et la Libye pour voir que ce n’est malheureusement pas toujours le cas. Mais l’armée tunisienne n’a pas donné de signes d’engagement politique. Au contraire de celle turque, l’armée nationale reste muette, et c’est mieux comme ça.

   Des visions économiques aux antipodes

   Sur le plan économique, l’Akp a eu la bonne idée de ne pas remettre en cause le plan de restructuration économique mis en place par Kemal Dervis, ministre des Finances du gouvernement d’Ecevit et ancien vice-président de la Banque mondiale. Un adepte de la mondialisation intelligente qui a conçu un plan d’ajustement structurel conduit en partenariat avec le Fonds monétaire international (Fmi) et la Banque mondiale. Un plan qui a relancé la Turquie et lui permet aujourd’hui de se hisser aux premiers rangs des économies mondiales.
   Ce que l’on entend des partisans d’Ennahdha et de ses porte-parole, quand il leur arrive (rarement) de parler économie, c’est qu’ils s’inscrivent « contre ». Contre la mondialisation. Contre le financement extérieur. Contre la dette. Contre les institutions financières internationales. Avec cette impression bizarre qu’ils souhaitent faire du passé table rase. Une vieille chanson, dont les refrains ne sont plus scandés que par certains illuminés que l’ont visite dans les maisons de retraite (ou les zoos) de la politiques. Mais c’est peut-être là un mauvais procès. Ont-ils même un programme économique? Sur la multitude de partis aujourd’hui reconnus, combien ont proposé un réel programme économique, chiffre, quantifiable, viable et, surtout, vendable? Et combien sont encore au stade de l’incantation!
   Sur le plan social enfin, l’Akp joue le jeu de la laïcité. Il prône cette valeur du consensus national sans chercher a remettre en cause les piliers de la Turquie moderne. Il est totalement concevable que ce ne sont là que manoeuvres et tactiques. Il reste cependant que le pays a tracé un parcours ambitieux de développement économique que l’Akp ne mettra pas en péril en ouvrant des débats d’un autre âge.
   Ennahdha, qui dit s’inspirer de la démarche turque, et dont le leader se dit être la référence intellectuelle et religieuse d’Erdogan, pourrait là aussi trouver matière à réflexion.
   Le 23 octobre, les tunisiens voteront selon leur conscience, librement. Il leur faudra simplement refuser ceux qui veulent leur vendre des vessies en prétendant qu’il s’agit de lanternes.

Ferid Belhaj,  Directeur de la Banque Mondiale pour la Région Pacfique


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