Les temps sont durs pour le nationalisme québécois et la température est à l’avenant. Il pleut sur la province en cette veille de la Saint-Jean Baptiste. À Montréal, beaucoup on décidé de profiter de cette longue fin de semaine pour aller se faire mouiller ailleurs. C’est relativement tranquille dans les rues détrempées de la ville.
Je tourne en rond autour du Parc Pélican à Rosemont comme des dizaines d’autres taxis. La pluie cesse de tomber pour laisser les bands se succéder. Je regarde les policiers qui fouillent les sacs des gens qui veulent accéder au site, j’en observe d’autre faire des culs secs. Ça va être beau dans les bécosses tout à l‘heure...
Après trois petits tours, je décide de m’en aller lorsque je vois une femme me faire signe. Elle monte, me dit sa destination et dans le même souffle elle ajoute :
- Hostie que j’suis gelé, tabarnaque.
Je souris en lui disant qu’il faut bien profiter de notre fête nationale.
- Si tu savais comment j’m’en crisse!
Elle ajoute quelques propos confus que je ne relève pas en poursuivant ma route. Elle se met ensuite à chanter d’une voix salement abimée par le tabac, une toune des Beatles.
- T’as une belle voix lui mens-je pour être fin.
- Tu peux ben aller chier mon hostie
Ça m’apprendra à mentir.
De retour vers le Parc, j’ai embarqué un couple trempé qui s’est peloté tout le long du parcours vers le Centre-sud. Ça n’a pas été long que toutes mes fenêtres se soient embuées. Le dégivreur à fond ne suffisait pas à la demande et il a fallu que je me mouille en ouvrant tout grand la vitre de mon côté.
J’aquaplane ensuite jusqu’à ma prochaine course. Un appel dans le Vieux-Montréal à l’auberge Saint-Gabriel. Je suis parqué devant quand arrive une armoire à glace qui me demande combien ça coute aller à Laval dans le coin de la cité de la santé.
- Bah! Environ 45$ 50$ ?
- Tiens v’là 60, tu va aller reconduire mademoiselle chez toi.
- Chez moi?
Le regard que m’offre le gorille m’ôte toute velléité de relever son erreur plus loin. D’une main ornée de bagues qui doivent faire de sacrées cicatrices lorsqu’on s’en prend une dans le visage, il me donne l’argent alors qu’un de ses confrères videurs accompagne une femme magnifique qui porte une robe qui semble l’empêcher de respirer adéquatement. Alors qu’il l’assied derrière moi, il me dit de ne pas m’inquiéter, elle a déjà été malade...
D’ailleurs , je n’ai pas 100 mètres de fait qu’elle s’est déjà allongé sur la banquette. Mis à part un brusque arrêt pour lui permettre de vomir un peu de bile sur le bitume, elle est restée couchée jusque devant son bungalow où je me suis encore pris une sacrée douche en l’aidant jusqu’à sa porte.
Que voulez-vous, je suis un chauffeur de cette trempe...
De retour sur mon île, je me dépêche pour descendre le plus rapidement possible pour la fermeture des bars quand je vois cette jeune fille sous son parapluie au coin de Villeray et Saint-Denis. Elle n’est pas sitôt assise qu’elle me dit:
- J’viens de m’engueuler avec ma meilleure amie...
C’est clair comme de l’eau de roche, qu’elle en a gros sur le coeur
- Elle m’a dit que je la jugeais!
- Ah! Oui? Comment ça?
- Ça fait un an qu’elle est célibataire, je sors avec pour lui trouver quelqu‘un, pis elle se met à frencher n’importe quoi! Un petit maudit jeune de 18 ans.
- Pas un Douche Bag?
- Genre!
Elle continue de déverser ses frustrations du moment sur moi. Je la laisse se vider jusqu’à plus soif ou du moins, jusque chez elle. Avant qu’elle sorte, je lui dis qu’une soirée de pluie n’est rien à comparer à une longue amitié... Elle m’a offert un sourire qui valait bien des pourboires.
J’ai replongé dans la nuit et continué de m’imprégner de son monde.