Steven Pippin est un iconoclaste. En plus de quelques machines étranges, il était connu pour avoir utilisé des machines à laver, des cuvettes de chiottes ferroviaires, un réfrigérateur et une baignoire comme des appareils de prise de vue photographique (et les petits films qui illustrent son travail, présenté au CEAAC jusqu'au 2 octobre de manière très complète, démontrent sa recherche méticuleuse, obstinée et patiente), et aussi pour avoir suivi les traces de Muybridge en concevant une batterie de douze machines à laver transformées en sténopés dans un laundramat du New Jersey pour décomposer le mouvement d'un cheval (mais aussi d'un homme marchant à reculons, et d'un homme avec une érection fort peu muybridgienne), tout en utilisant la machine à laver transformée en caméra aussi pour y développer l'image ainsi prise (révélateur dans le bac de poudre à laver, fixateur dans le bac d'adoucisseur, et hop !).
Tout ce travail en réaction contre la photographie contemporaine, refusant la profusion d'images numériques envahissantes pour tenter de parvenir à une certaine essence photographique l'amène dans une impasse, une voie sans issue et désespérée. Il a d'abord conçu un appareil photo, baptisé NON, qui se prend en photo lui-même (et quelques autres dispositifs photographiques du même acabit).
Et aujourd'hui, il dévoile à Strasbourg la fin de la photographie, sa mort même : le pistolet tire une balle dans l'appareil, le flash se déclenche et, grâce au jeu de miroirs, documente la mort de l'appareil, sa destruction et l'explosion de matière qui l'accompagne. Dans la pellicule, un trou noir, une déchirure, un vide impossible marque l'empreinte, la trace de la balle. Après cette mort, que faire ? où aller ? que photographier ? À la différence de Jean-François Lecourt, ici, le photographe aussi a disparu.
Photos 3 et 4 de l'auteur; photo 5 courtoisie de l'artiste (tir effectué directement sur l'objectif d'une chambre de format 5x4, projectile de 9 mm, C-print, 60.8x50.8 cm)