Au cours des mois prochains, les vacances passées, la première mission des libéraux et l’objet essentiel de l’Université d’Eté seront d’expliquer aux Français qu’il est temps d’abandonner les illusions de l’État Providence, et que le changement de cap est praticable et bénéfique.
Je ne m’attarderai pas à l’analyse des défaillances de l’État Providence. Elles deviennent évidentes aux yeux de la plupart de nos compatriotes. En dépit de la propagande qui a cherché à imputer la crise aux puissances occultes du capitalisme et de la mondialisation, les doutes commencent à naître dans les esprits sur l’origine et la nature de la crise de 2008-2009, mais surtout sur la façon dont les États ont manœuvré ensuite.
Aujourd’hui, ce sont bien les États qui tombent en ruines. D’abord parce qu’ils ont voulu jouer les sauveteurs bretons alors qu’ils ne savent pas nager, ensuite parce que leur impuissance n’est pas née d’hier, les dettes qu’ils ont accumulées étaient bien antérieures à 2008, et tous les vices des systèmes bureaucratiques, dirigistes et corporatistes étaient à l’œuvre depuis dix ans au moins.
Je laisse maintenant l’analyse du passé lointain et immédiat pour regarder vers l’avenir. Il nous faut vouloir et réussir à se passer de cet État en loques. Ce n’est pas évident. A vivre dans l’esclavage pendant des années, voire des siècles, on ne sait plus à quoi ressemble la liberté. Il a fallu presque vingt ans aux Allemands de RDA pour accepter le jeu de la liberté économique. La Boëtie parlait de « servitude consentie ».
Les Français seraient-ils résignés ? Non, disons-leur qu’ils ne sont pas condamnés à la pression fiscale, ni à l’explosion des systèmes de retraites ou de santé, ni à la faillite de l’éducation nationale, ni au diktat des syndicats, ni au chômage et à l’inflation ni à l’arrogance de la classe dirigeante.
Ce qu’il nous faut maintenant, c’est étudier dans le détail comment se passer de l’État. Il faut avant toutes choses redessiner les frontières de l’État et du politique, en appliquant le principe de subsidiarité : l’État doit faire ce qu’il est le seul à pouvoir faire, l’État est l’ultime recours pour assurer la défense collective, la police et la justice, garantissant ainsi la propriété et la sécurité. Mais, même dans ces attributions régaliennes, rien n’interdit à l’État de mobiliser les ressources de l’entreprise privée ou de la vie associative. Cela fait, il reste à privatiser tout le reste. La privatisation implique avec elle tout le processus marchand : c’est le jeu de la concurrence et de la gouvernance qui permet de gérer au mieux les affaires naguère confiées (à tort et à prix d’or) à l’État.
Dans les deux rapports que j’ai rédigés depuis trois ans, accumulant des données françaises et étrangères, et m’appuyant sur l’analyse économique, j’ai mis en évidence que pour les retraites d’une part et d’autre part pour le logement nous aurions avantage à expulser totalement l’État pour lui substituer des procédures marchandes. La transition des retraites par répartition vers un système de capitalisation est possible, et réalisée dans plusieurs pays. Les HLM peuvent être privatisées, et le logement est davantage « social » quand il est offert par des promoteurs et bailleurs privés. De même l’école privée a fait la preuve de son art d’éduquer, mais elle est étouffée par l’administration publique ; l’hôpital public a fait la preuve de son inefficacité mais le secteur privé est étranglé. Transport, énergie, agriculture, environnement, culture, sport : que l’État se retire pour laisser place à l’entreprise, au marché et à la société civile.
Jusqu’à présent, nous n’avons pas fait assez de pédagogie libérale, et nous avons laissé nos compatriotes dans un flou artistique sur l’après État Providence. Sans doute y a-t-il une bonne raison à cela : les formules de la liberté se forgent à l’usage, et empruntent des voies insoupçonnées au début. Les libéraux ne sont pas des « constructivistes » et ne fixent pas dans le détail le mode d’organisation de la société. Sans doute aussi certaines formules adoptées à l’étranger ou dans le passé ne sont-elles pas applicables à la France contemporaine, qui traîne le boulet de son dirigisme séculaire.
Il n’en demeure pas moins que beaucoup de Français sont loin de se douter qu’il existe des manières simples d’obtenir avec plus de certitude et à moindres coûts ce que l’État leur offre aujourd’hui (avec leur argent).
Toutefois, je ne voudrais pas terminer cette ode à la privatisation sans souligner l’importance du contexte européen de ces prochains mois. Car la question de la survie et du rôle de l’État se pose dans des termes différents suivant les pays européens concernés. En Allemagne, en Autriche, aux Pays bas, dans les pays scandinaves, en Suisse, le choix est fait ou est en train de se faire : on veut apprendre à se passer de l’État. L’Angleterre est à la croisée des chemins. En revanche la France est le symbole des bastions étatistes. Aujourd’hui, dans leur diversité, tous ces pays sont liés par le commerce, donc la concurrence, et pour certains par l’euro, donc la politique budgétaire. Qu’en sera-t-il demain ? Ces liens vont-ils résister à la formidable pression des réalités mondiales ? La France mène une croisade vigoureuse pour sauver l’État, et souhaite une Europe politique centralisée, dirigiste et protectionniste. Gageons que beaucoup de nos partenaires se rallieront à une autre vision de l’avenir européen et mondial. Alors l’État français devra à son tour se démettre ou se soumettre. Ce sera d’autant plus plausible et d’autant mieux vécu par les Français qu’entre temps ils auront appris comment se passer de l’État.
Article paru initialement dans La Nouvelle Lettre