Emmanuel Moses publie Préludes et Fugues, dans la collection l’Extrême contemporain chez Belin, collection dirigée par Michel Deguy.
[Cycle E]
Prélude 1
Ici la nature pleure et gémit
on ne sait trop sur quoi
l’effet n’en est que plus horrible
les râles mêlés aux sanglots
marquent-ils la souffrance la révolte
le deuil ?
Arbres vent océan – tout pousse un cri déchirant
mais ce chant aux accents d’orgue sombre
a le mystère et l’étrangeté de l’hymne religieux
un psaume énorme
pour les engloutis par les paquets d’eau ou les mottes de terre
pour la nature unie dans un unique martyr
sans nom
la ronce avec le crabe
le marin avec la pierre
l’obscurité rejoint les hurlements
la nuit ! la nuit ! la nuit !...
tourbillons fumées brumes
un convoi funèbre se déchaîne en formes monstrueuses
l’inouï souffle et glace –
peut-être est-ce un rêve de tocsin et de glas
d’assassinats de revenants
un rêve de damnation
où la lumière même est témoin à charge
la mort est au clavier – épidémie
Fugue 1
Il est triste le soir et triste le matin
le corbeau raille Narcisse !
Un paysage d’hiver se couche puis se lève en lui
sans la joie enfantine qu’ils donnaient autrefois
humiliation de chaque pas lourd
les frissons font pleurer
j’aimerais – pense-t-on – comprendre mieux que le bœuf
et ne pas me contenter de rassasier ma faim aux haies vives
comme le bouc
vieillir est l’ultime blessure
avec la maladie – errance au cœur des corps
qui tremble là sous un rayon de lumière
celle d’un ciel d’où coulent les heures vaines de la pluie
les heures grises…
on dirait une feuille d’arbre au fond du lit
bientôt sèche repliée
souillant le fond du lit
eh quelle est cette folie
une révolte contre l’univers –
nul cœur humain n’a jamais déparé le festin
de sa maigre éclaboussure
paysage circulaire où tourne son destin
obscur de tous les secrets
matière obscure d’une nuit d’un seul tenant
contre quoi il se cogne
l’affront dit son soleil au soleil –
Emmanuel Moses, Préludes et fugues, Belin, 2011, pp. 48 et 49
Emmanuel Moses dans Poezibao :
Bio-bibliographie, extrait 1, atelier de traduction à la Maison des Ecrivains (2/06), extrait 2, ex. 3, D’un perpétuel hiver, (par Georges Guillain)