Il a raté son coup. Non seulement ses diversions n'ont pas servi, mais en plus il est apparu presque ridicule, à visiter des poulets et faire si grossièrement semblant d'y attacher une quelconque importance.
Mardi 28 juin, à 11h33, Martine Aubry était à Lille, dans une ancienne gare, en tenue sobre sur une estrade dépouillée. « J'ai décidé de proposer ma candidature à l'élection présidentielle ». Les médias étaient tous là. Son annonce fit l'ouverture des journaux télévisés et radiophoniques.
Dans la Sarthe, Nicolas Sarkozy était parti, urgemment, visiter un élevage de poulets, dans la Ferme de Monsieur et Madame Thibault puis discuter de sécurité alimentaire, à Sablé, un village interdit à la circulation dès 7 heures du matin et bouclé par plusieurs centaines de CRS et gendarmes. Le déplacement fut faussement calme. La veille, un peu avant minuit, les Jeunes Agriculteurs et la FDSEA avaient annulé in extrémis la contre-visite d'une exploitation agricole qu'ils avaient organisé Le jour même, environ 200 manifestants étaient tenus à l'écart à un rond-point voisin. Vers 11h, deux hélicoptères de l’armée déposèrent Nicolas et François à 300 mètres de l'exploitation agricole. Le parc de présentation des poulets de Loué, « élevés en plein air » comme dit la publicité, avait été soigneusement nettoyé.
Devant la grosse troupe de journalistes, micros et caméras présents pour cette visite champêtre inoubliable, Nicolas Sarkozy se fit filmer en train de caresser un poussin (« Qu'est-ce que c'est doux ! »), de toucher un gros tube de maïs alimentaire (« que c'est grand ! »), puis, quelques minutes plus tard, tout souriant et attentionné avec son Fillon devant un buffet campagnard, une bouteille de cidre à la main : « Et toi, tu bois quoi ? » Fillon, élu local pour la circonstance, avait un petit cadeau, un ouvrage de Pierre Reverdy, grand poète, ami de Picasso,, Braque et Matisse, et mort à Solesmes, dans la Sarthe évidemment.
Les deux hommes purent s'isoler quelques minutes, face aux champs, ... pour mieux laisser les photographes prendre quelques clichés.
Quand un journaliste de France 2 réussit à lui décrocher quelques mots de commentaires sur les raisons de cette première visite dans le fief de Fillon, notre Monarque confia combien ils avaient, son premier ministre et lui-même, appris à se connaître à à travailler ensemble : « D'abord, nos métiers sont des métiers difficiles qu'on apprend au fur et à mesure. On apprend à mieux travailler ensemble, on apprend à mieux exercer ses fonctions (...) et un peu de stabilité dans une France qui avait été habituée au changement des ministres continuel, je crois que c'est important.» Sur le coup, Sarkozy s'interdit de réagir à l'annonce de candidature d'Aubry. Il l'attendait évidemment. Il ne pensait qu'à cela, depuis des semaines. Mais jusqu'au bout, il tient à jouer son rôle de composition. Quand on lui demande ce qu'il pense de cette candidature, il ne répond pas. Fillon s'empresse de donner un peu de poulet à un journaliste : « Prenez du poulet. Quand vous aurez la bouche pleine, vous ne poserez plus de question ».
Un peu plus tard, 1.500 participants, un public « trié sur le volet et composé en grande majorité de militants UMP » convoqués depuis 9 heures, relevait un quotidien local, attendaient le Monarque et son Premier Chambellan dans la salle Georges-Mention de Sablé-sur-Sarthe., pour une table ronde sur la qualité et la sécurité de l'alimentation, « à laquelle des personnalités nationales ont pris part. Quelques militants UMP scandèrent à l'entrée « Nicolas ! Nicolas ! Nicolas ! ».
Installés sur leur table, sous l'habituelle immense structure métallique où l'on avait perchés les projecteurs de ce show télévisé, les deux se sont lancés quelques compliments : « François Fillon s’est dévoué sans compter depuis quatre ans au service de la France. (...) On en a traversé des crises, on en a affronté des difficultés, et ce fut toujours pour moi un grand soutien que de pouvoir compter sur le conseil et sur le sens de l'Etat » (Sarkozy). « Après quatre ans, nous n’avons pas à rougir du travail que nous avons fait ensemble » répondit Fillon, qui, justement, était encore écarlate de timidité après l'hommage de son patron.
« Nous sommes avec François Fillon dans la vraie actualité des Français: peuvent-ils avoir confiance dans ce qu'ils achètent pour se nourrir .» De proposition sur la fameuse sécurité alimentaire, objet de ce déplacement en fanfare, il n'y en eu aucune. Ou presque. Fillon a quand même appelé de ses voeux la création d’une appellation « Rillettes ». Nous sommes rassurés...
A 13 heures, les deux hommes repartaient à Paris.
En privé, le Monarque lâcha qu'il trouvait Aubry archaïque et sectaire. L'agacement du clan sarkozyen devant l'échec de cette nouvelle manoeuvre pouvait se lire, indirectement, sur le blog de Franck Louvrier. Le conseiller en communication du Monarque est aussi élu des Pays de Loire. Et il n'était pas content, au sortir de cette rencontre campagnarde. A peine rentré au bureau, il s'est donc lâché sur son blog : « A l’occasion du déplacement aujourd’hui, du chef de l’État et du Premier ministre dans la Sarthe, sur la qualité alimentaire, dans la 2ème région agroalimentaire de France, l’exécutif régional n’est pas représenté. Pendant ce temps Jacques Auxiette rédige son communiqué de soutien à la candidature de Martine Aubry…»
Sarkozy avait pourtant autre chose à faire que de caresser le duvet des poussins. Il aurait pu ainsi commenter la nouvelle envolée du chômage, en mai. « Une vraie douche froide ! » commente le Figaro. Plus de 2,7 millions de personnes n'avaient aucun emploi à fin mai. En ajoutant les précaires du temps partiels, le « sous-emploi » officiel grossit à 4,1 millions en France métropolitaine, soit 151.000 chômeurs de plus inscrits en catégorie A, B et C sur 12 mois glissants.
En Grèce, de nouvelles manifestations monstres et une grève générale agitaient le pays, tandis que son parlement devait voter un nouveau « plan de sauvetage », condition de la nouvelle tranche de 110 milliards d'euros de prêts . L'enjeu est de taille. Les précédentes manifestations, il y a 15 jours, avaient provoqué la démission du gouvernement, et empêché l'adoption d'un plan d'austérité. Sans plan de rigueur, les Etats-membres de la zone euro semblent prêts à lâcher l'Etat grec. Et l'euro pourrait disparaître.
Dans ce contexte si grave, Sarkozy devait remplacer sa ministre des finances. 15 minutes avant les JT de 20 heures, la nomination de Christine Lagarde pour succéder à DSK à la tête du FMI était annoncée.
Ouf ! Sarkozy pouvait être soulagé. On allait oublier sa si ridicule prestation médiatique du matin au milieu de quelques poulets.