Série La naissance d'une nation t.1
Bibliothèque québécoise
588 pages
Résumé:
La grande aventure, c'est la naissance d'une nation. Et il n'est de naissance sans femme pour la donner. Thérèse Cardinal débarque en Nouvelle-France en 1653 et prend aussitôt conscience d'un pays à construire. Laissant les hommes à la guerre, au commerce et au pouvoir, elle lutte pour l'approvisionnement du quotidien, l'instauration de traditions et d'institutions, la pérennité d'une race nouvelle.
Mon commentaire:
Dès les premières pages de cet imposant roman, j'ai su que je tenais entre les mains un livre d'exception. Pour mon plus grand bonheur, il me reste encore deux tomes à lire pour poursuivre cette belle aventure à laquelle nous convie l'auteur Pierre Caron avec sa trilogie La naissance d'une nation.
J'ai lu plusieurs ouvrages documentaires ou de fiction sur la Nouvelle-France. Cette période de l'histoire m'intéresse particulièrement. Si je trouve souvent ce que je recherche dans la lecture des documentaires - soit de l'information et l'occasion de plonger dans notre passé - la fiction me laisse souvent sur ma faim. Le cadre de la Nouvelle-France sert souvent de prétexte à l'histoire et celle-ci pourrait se dérouler à peu près à n'importe quelle autre époque. Les histoires sont souvent trop légères, peu documentées. Avec le roman de Pierre Caron, c'est tout autre chose. On plonge littéralement à l'époque des premiers colons avec l'impression de vivre au temps de la Nouvelle-France. Il ne nous épargne aucun détail, aucune information. Tout y passe: la nature, la fondation de Ville-Marie, les différences entre la France et la Nouvelle-France de l'époque, la nourriture, les guerres iroquoises et la peur constante d'une attaque, les mariages et la vie de famille, les vêtements, le quotidien et l'habitation, la place de la religion, le rôle des hommes et celui des femmes, la politique et le gouvernement, la faune, les coutumes. Il en ressort un roman très riche qui mêle fiction et éléments historiques avec beaucoup de rigueur. Thérèse c'est une fiction très détaillée, qui nous plonge dans tous les aspects de la vie quotidienne en Nouvelle-France.
Le roman est divisé en trois grandes parties. La première, Le grand printemps, débute en 1663. Les personnages nous sont présentés et la vie journalière à Ville-Marie aussi. Ce village qui deviendra un jour Montréal est un véritable coupe-gorge. Boudé par les gens de Québec, l'endroit est constamment assailli par les iroquois qui enlève et tuent les blancs. L'auteur présente beaucoup de détails sur la vie des colons face aux menacent amérindiennes et leur courage à reconstruire leur village. On s'attarde essentiellement sur Thérèse dont le destin et les espoirs nous sont contés. On apprend d'où elle vient, ce qu'elle a vécu de tragique et comment elle vit présentement. On entre dans sa maisonnette, où elle tente d'éduquer deux enfants tout en comblant de son mieux les besoins quotidiens. Ce que j'aime particulièrement dans ce roman, c'est que l'auteur brode autour de ses personnages un passé complexe et un présent plein d'aventure. Car la vie en Nouvelle-France n'est pas nécessairement facile et soulève bien des passions!
La seconde partie, Marie-Ève, se déroule à partir de 1677. Marie-Ève est la fille de Thérèse, une jeune femme à l'image de sa mère, fière et indépendante. Si les deux femmes ont connu des passions contrariées, elles n'en demeurent pas moins très fortes pour leur époque, avec des idées qui détonnent et une certaine propension à la liberté qui ne cadrent pas vraiment dans une société menée par la religion. Marie-Ève et Thérèse sont des esprits libres qui vivent comme elles l'entendent. Pas question de se laisser encager par un mari aux conventions rigides. Si elles subissent parfois les règles de la société où elles vivent, elles n'en demeurent pas moins des femmes libres, de corps et d'esprit.
La troisième partie, Le Bout-de-l'Isle, fait ici allusion au Manoir de Pierre Gagné, qui finit par retrouver une certaine âme lorsque les personnages y convergent tous. D'ailleurs, tout au long de l'histoire, les différents personnages se croisent et se recroisent, créant des liens amicaux, amoureux et parfois, des liens étonnants tant les destins se recoupent au fil du temps. C'est aussi le moment d'aborder la façon dont était traitées les affaires, le commerce et la justice. Vadeboncoeur et Marie-Ève doivent tous deux affronter les conséquences des gestes commis par leur entourage et faire face à la justice de la Nouvelle-France. On aborde entre autres les duels, les crimes et la sorcellerie.
Thérèse est un roman riche, passionnant et écrit avec minutie. Les aspects historiques sont particulièrement bien intégrés à la fiction, ce qui en fait un roman à la fois fictif et documentaire, regorgeant de détails passionnants sur la vie en Nouvelle-France. On sent l'évolution de la colonie à travers les années. Les personnages ont beaucoup de chair, ils ont du vécu, connaissent des drames, des passions et sont animés d'un désir de participer à la naissance d'un nouveau pays, d'une nouvelle nation. La nation aussi vit toutes sortes de changements. Qu'ils soient dû à l'homme, aux guerres, aux politiques du gouvernement français, aux méthodes pour augmenter la population ou aux éléments naturels, toutes ces manifestations modifient le visage de la Nouvelle-France pour forger un pays en devenir.
Aux côtés de Pierre, Thérèse, Marie-Ève, Vadeboncoeur et de toute une panoplie de personnages historiques tels le Sieur de Maisonneuve, Jeanne Mance, Marguerite Bourgeoys, j'ai eu l'impression de vivre, moi aussi, un peu de l'aventure qu'était la naissance de notre nation. Les premiers arrivants étaient dotés d'un courage à toute épreuve et la qualité du roman de Pierre Caron projette un nouveau regard sur la fondation de notre pays. J'ai tourné la dernière page en ayant une pensée pour tous ceux qui nous ont précédés et qui ont forgé notre Québec tel qu'il est.
Si vous êtes passionnés par la Nouvelle-France, que vous souhaitez lire un roman de qualité qui mêle avec talent la fiction à l'histoire, je ne peux que vous suggérez fortement de découvrir l'oeuvre de Pierre Caron. Thérèse est une femme de caractère qui inspire le respect. Son histoire est écrite avec beaucoup de recherche et nous faire vivre à l'époque de la Nouvelle-France comme si on y était.
À noter que Thérèse a aussi été édité dans le passé à quelques reprises, entre autres sous le titre de Vadeboncoeur.
À lire!
En complément:
À noter la magnifique couverture du roman qui est illustrée par Francis Back, un artiste de talent qui travaille beaucoup sur les portraits d'époque. Elle s'intitule Les premiers Montréalais et on peut en voir un agrandissement sur le site de Illustration Québec.
Quelques extraits:
"Au bout du fleuve géant, grande comme une province de France, l'île dormait sous la neige. Elle était allongée entre deux bras d'eau glacée, découpés à même la forêt dont l'immensité recouvrait tout un continent. Autour de l'île, le territoire était si vaste, la nature si sauvage, que le moindre vent, la moindre pluie, la moindre variation brusque de température prenaient des proportions de catastrophe. Les changements de saison étaient des mutations d'univers qui bousculaient profondément la vie des êtres, les chassaient, les ramenaient, les broyaient ou les libéraient, les sauvaient ou les perdaient." p.11
"Mathurin Regneault pensa au temps de son enfance quand, dès l'arrivée des premiers grands froids, les gens se barricadaient dans leur maison pour attendre le printemps. L'hiver ne dérangeait plus vraiment, on s'y était habitué. S'il n'était pas venu, on l'aurait sans doute déploré. De verdoyant qu'il était l'été, le paysage devenait splendide l'hiver. Le parfum des fleurs cédait la place à la pureté de l'air, les couleurs multiples, au blanc immaculé. Il y avait de l'orgueil chez les Canadiens à se tenir debout dans la bourrasque, surtout lorsque quelque nouvel arrivé geignait devant eux sous les coups de dent du froid. Mathurin aimait à se répéter: "Moi je suis d'ici." En descendant la côte de la Montagne, du bras il désigna le blanc infini, doré par endroits, du fleuve: "Des couleurs pareilles, ça ne s'invente pas!" p.485