Initialement annoncée le 15 juin, la quatrième conférence de presse de Nicolas Sarkozy a été décalée à ce lundi 27 juin pour une raison bien simple : le Monarque voulait occuper l'espace médiatique de la semaine, à la veille de l'annonce de candidature de Martine Aubry à la primaire socialiste.La démarche, déjà mesquine, fut finalement peu convaincante.
Il y avait pourtant d'autres sujets pour occuper le terrain. En Syrie, par exemple, les massacres de civils se poursuivent. A Gaza, une seconde flottille va tenter de briser un blocus. La France suivra-t-elle l'exemple grec ? Que Sarkozy avait-il à répondre aux inquiétudes de la Cour des Comptes, exprimées pourtant la semaine dernière, sur le dérapage incontrôlé des comptes publics ?
Ce lundi, Sarkozy faisait donc le service après-vente de son Grand Emprunt - 35 milliards d'euros - et de ses « investissements d'avenir ». Qu'avait-il donc de si important à annoncer ? Rien. Vraiment, rien. « L’objectif est de mettre en scène un gouvernement au travail » notait l'envoyé spécial du Monde, « le candidat s’est vite révélé derrière le président » compléta Hervé Nathan de Marianne. Pour faire bonne figure, et montrer qu'il bosse dur, le Monarque promit de venir faire le point chaque mois sur le bilan du Grand Emprunt. Fichtre ! Quelle agitation ! En février 2010, Sarkozy s'était payé quelques publicité à oups de millions d'euros, dans tous les journaux du pays, figurant une Marianne enceinte souriant à l'horizon.
Il était évidemment trop tôt pour dresser un quelconque bilan de cette opération d'endettement électoraliste. Tout n'a pas été dépensé, et, il faudra des années pour savoir si les choix initiaux ont été judicieux. Seuls treize milliards d'euros ont été engagés à date, sept supplémentaires le seront d'ici la fin de l'année. 396 projets ont été retenus. Surtout, Nicolas Sarkozy s'est bien gardé, 18 mois après ses premières annonces d'expliquer combien d'autres crédits d'investissement avaient été supprimés depuis 2010.
Sarkozy commença par rappeler qu'il avait annoncé, en juin 2009 devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles le lancement d'un Grand Emprunt « pour financer les investissements d'avenir dont la France avait besoin pour garantir son avenir ». Le Grand Emprunt était la réponse à la crise. En décembre de la même année, le Monarque adoptait la mesure. Une minute venait à peine de s'écouler que déjà Sarkozy s'interrompait : « je suis frappé par la capacité de sous-analyse que nous avons de la force de la crise que nous avons connu, que le monde a connu. ... Je sais bien que l'actualité chasse l'actualité... Mais cette crise fut d'une gravité sans précédent.»
Il reprit le fil de son texte, rappelant qu'en trente ans, aucun budget de l'Etat n'a été voté à l'équilibre et que « dans le même temps le niveau des investissements de l'Etat n'a jamais cessé de décliner » : 12,5% des dépenses publiques en 1974 à 7,5% en 2007.
« En vérité... la vérité est là, elle est incontestable, nos déficits ont servis à financer des dépenses courantes au détriment des investissements ». Il répéta ses chiffres, les sourcils toujours relevés, l'air presque ahuri par son propre texte : 12,5% en 1974 contre 7,5% en 2007 ! « Ce chiffre est me semble très illustratif du chemin que nous devons emprunter et du chemin que nous ne devons pas emprunter ». Soit. Mais le monarque se trompe : l'investissement public n'a pas fléchi en valeur absolue (hors inflation). Ce sont les autres dépenses qui se sont envolées !
Pour s'auto-féliciter, Sarkozy ne lésina pas avec l'emphase. Après « la plus grave crise depuis un siècle » (et hop ! Oubliées la crise de 29 puis la seconde guerre mondiale...), il s'étourdissait de compliments sur l'ampleur de son Très Grand Emprunt. 35 milliards d'euros ! Incroyable !!
« Je crois pouvoir dire que jamais dans son histoire la France n'a fait un tel effort au service de l'investissement ! »
Ben voyons ! Avant Sarkozy, la France était petite et aveugle. On ne faisait rien, sauf des bêtises, de la mauvaise dette ou des réformes contre-productive. Oh bien sûr, la France avait quelques atouts, comme la qualité de son enseignement, sa « démographie », ses « infrastructures modernes », « sa recherche fondamentale de tout premier rang », son énergie nucléaire et « donc de la plus grande indépendance énergétique en Europe», et, last but not least, son agriculture qui lui assure « l'autosuffisance alimentaire ». Fichtre ! Pour un pays si mal en point avant les Lumières sarkozyennes... que d'atouts ! En fait, expliqua le Monarque, ces atouts n'étaient rien sans le Grand Emprunt, et la nouvelle (?) priorité accordée à la production. Il lâcha alors :
« Une richesse qui n'est pas produite, c'est une richesse qui ne peut pas être distribuée ou redistribuée. »
Les formules sonnent souvent creux, comme si les conseillers ès discours du Monarque avaient eu quelques difficultés à politiser ce texte globalement barbant. Fallait-il énumérer les 396 projets déjà engagés ?
Le visage s'empourpra souvent, Sarkozy jouait aux faux-modestes. Il répétait. « La seule façon de profiter de la mondialisation et de ne pas subir, c'est l'innovation, la recherche, et l'investissement. On voit d'ailleurs avec ce que se passe en Grèce que la réduction des dépenses ne suffit pas pour sortir de la crise. » Effectivement... On voit plutôt l'inverse...
Sarkozy se lança ensuite et enfin sur le fameux bilan du Grand Emprunt. Allons-y !
D'abord, la méthode, qu'il résume en deux mots, pompeux à souhaits : « sélection et excellence ». Il adore le terme excellence. Dès le début, en décembre 2009, Sarkozy abusait du terme. Et cette fois-ci, tout au long de sa conférence, l'excellence fut saupoudrée à de nombreuses reprises : laboratoires (malgré la baisse de 11% des crédits du CNRS cette année), décisions, brevets, campus, internats, chercheurs, instituts, etc... Tout sera dont « excellent ».. Quelle conférence... d'excellence !
« Je sais que ce ne sont pas des mots faciles. Nous avons absolument voulu éviter le saupoudrage. (...) Nous avons décidé de nous appuyer sur des jurys internationaux (...) Ce sont près de 1500 projets qui ont été déposés. » Toujours bravache, il ajouta :
« Jamais il y a une telle émulation et un tel dynamisme en France ! »
Jamais ! Puisqu'on vous le dit ! Une cagnotte de 35 milliards ... et aussi peu de projets ?
Seconde innovation... « L'Etat n'est pas simplement un sélectionneur, l'Etat devient également un investisseur que nous souhaitons - monsieur le premier ministre - avisé. » dit-il en se tournant sur sa droite, vers Fillon, gros sourire aux lèvres. Sélectionner et investir ! Quelle innovation ! Sarkozy voulait dire que l'Etat subventions contre des contreparties : quote-part de capital, royalties ou agios... N'était-ce pas une décision contrainte par les agences de notation et le niveau d'endettement (plus de 1.500 milliards d'euros au moment de l'emprunt) ?
Troisième remarque, avec le renfort des entreprises et des collectivités locales, Sarkozy espère dépasser les 60 milliards d'investissements.
« Alors, j'entends bien les critiques... » Et il se fait lui-même les questions et les réponses. Procédures lourdes ? Peut-être, mais il fallait « éviter de donner l'argent aux ministères ». Trop grande centralisation des projets ? C'est faux. Sarkozy embraye ensuite sur la lecture, fastidieuse, d'une longue liste de projets retenus. « Pardon de cette évocation un peu à la Prévert ». Mais il continua : 1,7 milliard d'euros pour l'enseignement supérieur et la recherche, 2,85 milliards d'euros pour l'industrie (« dans laquelle on croit ») et les PME, 1,64 milliard pour le développement durable; 610 millions pour le numérique; 2,4 milliards d'euros pour la santé; un milliard pour les réacteurs nucléaires de 4ème génération, un autre pour les énergie renouvelable.
12 minutes plus tard, le monologue se terminait enfin. Sarkozy concluait enfin: « La France est confrontée à un monde totalement nouveau, à des concurrents qui ne nous attendent pas. » L'essentiel de l'assistance est larguée. Tout juste retiendra-t-on que lorsqu'un jury, malgré sa « sélectivité » et son « excellence », ne retient pas un projet cher au président, le Monarque demande à son premier ministre de trouver d'autres financements. Ce sera ainsi le cas pour un centre de recherche contre le Cancer, sans doute jugé peu rentable ou moins « d'avenir » par les experts du jury...
Sarkozy est-il un investissement d'avenir ? Pas sûr. Place aux questions. Une à une, elles furent l'occasion de propos politiques bien éloignées du simple grand emprunt. La première vint de TF1, sur une éventuelle réorientation des décisions vers les énergies alternatives au nucléaire. Mangeant ses mots à quelques reprises, le Monarque ne répondit pas sur le fond : les « réorientations » de priorités ne concernèrent pas les énergies alternatives, mais... le cancer, et ... la sûreté du nucléaire ... Il a bon dos, le Grand Emprunt. Et que dire de la recherche contre le cancer ? Un peu plus tôt dans sa conférence, le Monarque expliquait qu'il avait du demander à Fillon de trouver comment financer un centre de recherche, puisque les « experts » du Grand Emprunt avaient refusé le concept.
Pense-t-il à 2012 ? Le mensonge qui fit office de réponse fut énorme. Sarkozy ne réalisait pas l'énormité de son propos : « 2012 c'est l'année prochaine donc dire qu'on ne pense pas à l'année prochaine, personne n'y croirait. (...) Mais j'ai du travail. (...) c'est mon devoir, je n'ai pas le choix. (...) Je ne me peux pas me distraire de cela. »
A propos de la « règle d'or » - l'obligation constitutionnelle de l'équilibre budgétaire, il ressortit l'argument bi-partisan : « C'est pas une question de gauche et droite. Croyez moi ! » L'occasion aussi de fustiger, avec de faux arguments (mais qu'importe !) d'éventuels opposants : « ceux qui auront l'idée de revenir sur le non remplacement d'un (fonctionnaire) sur deux (partant à la retraite, NDLR), de revenir sur la réforme des retraites ou de refuser une règle d'or qui obligera tous les gouvernements à prévoir un budget en équilibre à terme, ce sera l'explosion de la dette, l'explosion des déficits et l'impossibilité de la France de se financer. » Le chantage est bien gros. En février dernier, la Cour des Comptes rappelait combien le gouvernement était incapable de justifier plus de 100 millions d'euros d'économies liées aux suppressions annuelles de postes dans la Fonction publique. 100 millions, à comparer avec les près de 1.600 milliards d'euros d'endettement public...
« Je n'ai pas été élu pour que la France connaisse les affres de la Grèce, du Portugal ou de l'Irlande » précisa le Monarque.
A-t-il été élu pour raconter autant de bêtises ?
Bizarrement, aucun journaliste ne fut là pour demander ce que notre Monarque pensait de la contradiction suivante : la suppression de 15 à 16.000 postes par an d'enseignants dans nos écoles, collèges, lycées et universités est-elle un investissement d'avenir ?
Notre confrère Guy Birenbaum avait une autre question, elle-aussi ne fut pas posée. Il y a quelques jours, dans le Figaro, on pouvait lire cette confidence de Nicolas Sarkozy :Tout se passe comme je l’avais prévu. Bien sûr, je ne pouvais pas prévoir ce qui se passerait pour Strauss-Kahn… Mais j’étais sûr qu’il ne pourrait aller à la présidentielle. »
Pourquoi donc Sarkozy était-il si sûr de lui ?