« Mettre la société en mouvement », telle est pour François Hollande la mission du prochain Président de la République. L’expression (d’ailleurs empruntée à Jacques Delors) est heureuse. A rebours des tonitruantes annonces du retour de l’État, elle fixe le cap d’une société civile plus libre et plus responsable.
Pour cela, François Hollande propose d’inscrire une véritable autonomie normative pour les partenaires sociaux dans la Constitution. En clair, donner force de loi aux contrats conclus sous certaines conditions par les partenaires sociaux. La proposition n’est pas nouvelle. Longtemps défendue par les libéraux, elle a été au cœur de la « refondation sociale » esquissée en 1999 par les partenaires sociaux (le MEDEF et trois syndicats CFDT-CFTC-CGC). C’est dire qu’elle dépasse aujourd’hui les clivages politiques traditionnels. Son retour sur la scène politique à l’occasion de l’élection présidentielle est bienvenu car la refondation du droit social est nécessaire. Sa modernisation s’impose. Celui-ci a été créé par et pour la civilisation de l’usine : emploi à durée indéterminée, horaires réguliers, salaires fixés garantis négociés dans le cadre de conventions collectives assurant une uniformité de traitement selon l’ancienneté, le grade, le métier exercé…
Il est possible aujourd’hui de laisser le contrat individuel et collectif organiser les rapports de travail dans un cadre plus souple et tout aussi protecteur.
Mais retracer la frontière entre le contrat et la loi n’est pas chose facile. La notion envahissante « d’ordre public social » et le « principe de faveur » (qui ne permet de déroger à des normes que dans un sens plus favorable aux salariés) réduisent l’espace du dialogue social et les possibilités d’accord « gagnant-gagnant ».
Cette situation particulière du droit social tient au caractère déséquilibré de la relation contractuelle, conséquence de l’état de subordination du salarié et de la disproportion de pouvoir entre le patron et le salarié.
On connait la célèbre phrase de Lacordaire « entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime et la loi qui libère ». Certes, mais entre la liberté « qui opprime » et la loi « qui libère », il y a l’association qui rétablit l’équilibre. C’est d’ailleurs avec cette conviction que les libéraux ont été au 19ème siècle les premiers défenseurs du droit de coalition et les acteurs de la reconnaissance des syndicats avec la loi Waldeck-Rousseau du 21 mars 1895 (dont il est intéressant de rappeler qu’elle fut adoptée contre le patronat mais aussi contre beaucoup de socialistes qui dénonçaient là une « loi de police » visant à détourner le travailleurs de la lutte révolutionnaire en leur faisant croire qu’ils pourraient améliorer leur sort dans le cadre de la société capitaliste !).
Vouloir aujourd’hui élargir le domaine du contrat par rapport à celui de la loi suppose d’une part de délimiter plus étroitement la part du droit du travail que l’on considère d’ordre public absolu et d’autre part de définir les règles d’équilibre et de représentativité qui permettent de conclure des accords et des conventions pouvant avoir force de loi.
Pour cela, François Hollande propose d’élargir le préambule de la Constitution de 1946 qui dispose que « tout travailleur participe par l’intermédiaire de ses délégués à la détermination collective de ses conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises » en précisant et en élargissant le périmètre de cette négociation collective.
En fait, cette démarche refondatrice se rattache plus volontiers à l’article 34 de notre Constitution. Celui-ci délimite le domaine de la loi en distinguant suivant que la loi « fixe les règles » dans certaines matières – par exemple, la détermination des crimes et délits – ou qu’elle « détermine les principes fondamentaux » dans d’autres matières, par exemple le droit du travail.
Une application plus stricte de cet article 34 de notre Constitution au domaine du droit du travail suffirait à libérer l’espace contractuel de cette refondation sociale. Elle permettrait de parfaire un mouvement engagé depuis longtemps avec les lois Auroux de 1982 (supériorité de l’accord collectif sur la loi), la loi Fillon du 4 mai 2004 (extension de la capacité de dérogation entre accords différents) jusqu’à la loi du 20 août 2008 sur la durée du travail (qui renverse la hiérarchie des normes, place l’accord d’entreprise devant le droit commun, la convention de branche ne s’appliquant qu’à défaut et la réglementation n’ayant effet qu’en l’absence de tissu conventionnel).
Ce faisant, la refondation sociale ouvre le chantier d’une refondation juridique plus vaste qui touche à la nature du pouvoir et au rôle de la loi.
Portalis, notre grand jurisconsulte à qui l’on doit notre Code Civil, disait déjà :
« l’office de la loi est de fixer par des grandes vues les maximes générales du droit ; d’établir des principes féconds en conséquence, et non de descendre dans le détail des questions qui peuvent naître sur chaque matière ».
Nous en sommes loin.
Demander à la loi de revenir dans les bornes de la Constitution, de « fixer les règles » ou « les principes fondamentaux » – comme l’avait d’ailleurs souhaité Jean-Louis Debré quand il était Président de l’Assemblée Nationale – c’est vouloir une loi plus légère et plus claire. C’est permettre ensuite aux français par leurs contrats, aux partenaires sociaux par le contrat collectif, aux pouvoirs locaux au travers d’un pouvoir règlementaire délégué, de fixer – dans le cadre d’un droit général – leurs propres règles en fonction des réalités locales économiques et professionnelles.
Cette conception remontante du pouvoir et du droit, en rupture avec notre conception jacobine, est assurément un grand choix moderne, celui d’une démocratie de confiance.
Article repris du site de l’auteur avec son aimable autorisation.