La saison américaine 2010-2011 s'achève tout juste en ce début d'été, et avec elle, la première saison de celle qui s'est révélée comme une des meilleures - et ma préférée - de ses nouveautés : Game of Thrones (Le trône de fer). Lors de ma critique déjà très enthousiaste du pilote, j'avais replacé tout l'enjeu et le contexte qui sous-tendaient cette adaptation d'une des grandes sagas littéraires de fantasy encore en cours (4 tomes à ce jour sortis, le cinquième est prévu pour ce mois de juillet aux Etats-Unis, l'intégrale devant normalement comporter 7 volumes). La pression était forte, le challenge compliqué... si bien que la réussite n'en est que plus savoureuse !
Au vu du déroulement de cette première saison, où la qualité, mais aussi l'intensité, auront été constantes, je ne doute pas que la saga aura glané au passage plus qu'une poignée de lecteurs que la perspective d'une longue attente avant la saison 2 (laquelle a - heureusement - été très rapidement commandée) galvanise tout autant que les émotions fortes procurées au cours de ces dix premiers épisodes. En ce qui me concerne, Game of Thrones n'aura pas simplement rempli toutes mes attentes, la série aura bel et bien dépassé mes espoirs. C'est quelque chose de tellement rare que je me suis même surprise à regarder plusieurs fois - avec toujours autant de saveur - certains épisodes.
Si la première scène de la série introduisait une menace lointaine semblable à une épée de Damoclès pesant sur tout le continent de Westeros, l'histoire de Game of Thrones reste en cette première saison avant tout une lutte de pouvoir. Sur l'échiquier impitoyable du trône du fer, chaque pion se place et chaque coup se révèle létal pour le perdant. D'alliances en trahisons, les rapports de force se redessinent sans cesse modelant les batailles à venir. Tout en nous plongeant dans un univers très complexe, l'ensemble n'en demeure pas moins accessible : sa densité fascine, notamment parce qu'elle oblige à recourir à une grille de lecture des conflits à plusieurs niveaux. Les grandes maisons focalisent les attentions, déclenchant de vastes engrenages. Mais chaque protagoniste, chaque choix fait, apparaît comme autant de contributions à la partie qui a commencé il y a deux décennies ; et ceux qui veillent dans l'ombre sur leurs propres agendas sont tout aussi déterminants.
La réussite de l'adaptation va être d'avoir su capter l'âme et la force du récit d'origine. L'ensemble acquiert rapidement une véritable dimension épique prenante et intense. Dans cette course au trône, aucune alternative n'existe, comme le comprendront trop tard certains : seule la mort attend le vaincu. Au-delà de la multiplicité des camps en présence, la force de cette mise en scène doit beaucoup à une approche dénuée de tout penchant manichéen. Les parallèles faits avec certaines oeuvres littéraires (et sériephiles) comme Les rois maudits me semblent assez bien refléter cet aspect. Et si le téléspectateur éprouve une inclinaison naturelle pour les Starks, force est de constater rapidement que chacun oeuvre pour des intérêts qui ont tous, de leur point de vue personnel, une forme de légitimité indéniable. Que leurs actions se fondent sur l'honneur, la vengeance ou au nom du sang familial, tout est enveloppé dans un voile de pragmatisme qui brise les stéréotypes. La fresque qui prend forme peu à peu devant nos yeux ne comporte ni noir, ni blanc... constamment en mutations, elle n'est que nuances...
C'est par la richesse de ces destinées personnelles qui s'entrechoquent que Game of thrones assoit sa légitimité de grande saga de fantasy. Retranscrire l'ampleur des enjeux impliquait de savoir gérer une vaste galerie de protagonistes : c'est le cas ici, le nombre impressionnant ne faisant pas obstacle à ce que la psychologie de chacun soit travaillée. Se jouant des codes traditionnels, les personnages transcendent et dépassent souvent les simples canons du genre. Cela leur confère une authenticité qui leur permet de sonner justes jusque dans leurs failles et leurs impulsions irréfléchies. Non seulement, ils ne sont pas unidimensionnels, mais ils ne sont pas non plus figés. C'est sur les plus jeunes que la saison pèse le plus, les voyant perdre leur innocence initiale : s'adapter, c'est survivre aux épreuves qu'ils doivent affronter. Mais qu'ils soient honorables ou méprisables, grandioses ou pathétiques, brillants ou aveuglés par leurs émotions, tous ces personnages s'imposent immédiatement avec force à l'écran, galerie bigarrée qui retient assurément l'attention d'un téléspectateur captivé et charmé.
Cette mise en scène de l'ambivalence de ces protagonistes hauts en couleurs va même légitimer l'adaptation : la série apporte sa propre valeur ajoutée, même pour quelqu'un connaissant l'univers par le livre. Alors que les romans offrent des chapitres contés suivant le point de vue particulier et biaisé d'un personnage, la série, avec sa vision d'ensemble extérieure, objectivise les évènements. Le lecteur redécouvre ainsi, sous un jour presque différent, tel ou tel passage important. Non seulement des vérités sautent soudain aux yeux, mais en plus des personnages peu mis en valeur dans le premier tome bénéficient d'un tout autre traitement, et dévoilent très vite leur potentiel en gagnant considérablement en épaisseur. C'est par exemple le cas pour Jaime Lannister auquel il faut plusieurs tomes pour acquérir une autre étiquette que celle du "Régicide" introduit par un acte si choquant au tout début, qu'il en aura marqué plus d'un. Dans la série, le personnage est immédiatement bien plus soigné et donc nuancé. De même, l'avènement de Robb, pas seulement vu à travers le regard maternel, prend une dimension supplémentaire vraiment galvanisante.
De manière générale, Game of Thrones atteint une maîtrise de sa narration impressionnante et aboutie. Commençant plutôt dans l'exposition, afin que chacun puisse situer enjeux et protagonistes, la suite de la saison se construit en allant crescendo, pour atteindre un souffle et une tension aussi jubilatoires qu'éprouvants dans son dernier tiers. Le téléspectateur (peut-être celui qui est familier des livres y est-il plus sensible) reste fasciné par sa faculté à sélectionner avec soin les informations à partir d'une base excessivement dense : on perçoit le choix minutieux fait de chaque scène, de chaque dialogue. C'est ce qui va permettre de jongler avec fluidité entre tous ces lieux et toutes ces intrigues. Les scénaristes sont parvenus à capturer l'essence même du récit, en préservant son esprit, mais tout en sachant le rendre accessible à l'écran : l'explicite côtoie le symbolique, mais aussi des éléments simplement suggérés implicitement. Un vrai délice.
Pour ne pas totalement verser dans la critique dithyrambique uniforme, quelques points éventuellemet discutables peuvent être soulevés. Parmi les choix de scènes, il y a celui de ne nous montrer aucune bataille : la caméra se contentant des scènes avant/après. Cependant, cela ne m'a pas dérangé : à aucun moment, dans cette saison, cela n'affaiblit la portée du récit. Comme on touche ici à des problématiques également financières, j'aurais tendance à penser que dans la mesure où l'intensité et les enjeux ne sont pas amoindris, il n'y a rien à y redire. Plus discutable est en revanche la tendance aux scènes de sexe gratuite dans laquelle la série verse parfois. Certes, on est sur HBO, face à d'autres moeurs et civilisations... nulle surprise donc de les retrouver dans la série. Certaines se justifient même sans aucun problème ; en revanche, d'autres frôlent le racolage un peu facile et assez dispensable (le show organisé par Littlefinger par exemple).
Totalement aboutie sur le fond, Game of Thrones l'est également sur la forme. Le défi que représente la fantay, c'est de parvenir à créer un univers médiévo-exotique qui garde une relative crédibilité à l'écran. La série s'en tire avec les honneurs. Non seulement, la réalisation est superbe, mais elle est aussi très intelligente. Ainsi, elle sait à l'occasion se jouer des limites budgétaires, en privilégiant notamment parfois les cadres serrés quand la présence d'une foule importante doit être suggérée. Elle va aussi se retenir de verser dans toute surenchère, nous offrant des scènes implacables dont la force réside justement par cette faculté à ne pas trop en faire. Bref, le téléspectateur se retrouve totalement immergé, de manière très convaincante, dans ces différents décors aux tonalités si dissemblables. Le tout s'accompagne d'une bande-son magnifique, qui apporte cette petite touche supplémentaire parachevant l'ensemble.
Enfin, Game of Thrones, c'est aussi un grand casting, extrêmement solide, qui va rendre justice aux personnalités fortes que la série transpose à l'écran. Parmi ceux qui m'ont vraiment marqué, Sean Bean est vraiment parfait pour le rôle d'Eddard Stark, apportant cette noblesse indéfinissable qu'il insuffle à chacun des personnages de fantasy qu'il joue. Peter Dinklage est caustique et jubilatoire comme j'en rêvais dans le rôle de Tyrion. La classe de Nikolaj Coster-Waldau sied de façon si naturelle à Jaime Lannister. Et du côté féminin, Maisie Williams incarne une Arya plus vraie que nature, tandis qu'Emilia Clarke dans la droite lignée de son personnage. Enfin, à titre personnel, je confesse ne pas être restée insensible au charme aux bouclettes noires de Kit Harington et de Richard Madden.
Bilan : A la fois féroce et magnifique, violente et épique, Game of thrones dispose de ce souffle rare qui construit les grandes épopées. La série signe une immersion convaincante et prenante dans un univers de fantasy complexe, où l'ambivalence règne, et dont elle va prendre la pleine mesure. Adaptation fidèle dans l'esprit comme dans son contenu, dotée d'une maîtrise narrative impressionnante, elle nous entraîne dans une lutte pour le pouvoir, impitoyable et létale, dont le froid réalisme marquera plus d'un téléspectateur. Cette série m'aura fait frissonner comme rarement devant mon petit écran : simplement superbe. A savourer.
NOTE : 9,25/10
Une bande-annonce de la série :
Le (superbe/somptueux) générique :