Dans un couple, l'homme se doit d'être plus grand que sa femme, sous peine de voir sa virilité en prendre un sacré coup, aux yeux de tous, y compris de ses enfants. Alors que dire du beau Léon, 1,66 m., marié à la rutilante Solange, 1,80 m., qui continue à perdre 39 cm à la naissance de chaque enfant, le quatrième le laissant réduit à la taille d'un orteil, et ô combien vulnérable...
Hélas, Pascal Bruckner manque de chance puisque j'ai relu en octobre dernier le formidable roman de Richard Matheson, écrit il y a plus de cinquante ans, L'Homme qui rétrécit***, et revu l'adaptation à laquelle il avait lui-même procédé au cinéma. Et le verdict est là : dans la lignée des oeuvres parcourues par ce même thème de l'homme confronté à un changement de proportion (Swift, Matheson et beaucoup d'autres avant lui), cet énième roman ne fait vraiment pas le poids !
C'est peut-être voulu, me direz-vous : la comédie se veut légère, la fable moderne, symbolisant le mal-être actuel de ces hommes qui ne savent plus où se trouve leur place, qui ont leur part des tâches et qui pouponnent, perdant dans leur mariage et leur paternité leur virilité. C'était déjà frapper à la mauvaise porte, ce genre de considération me semblant plus sexiste qu'autre chose.
"Léon faisait le tour du propriétaire, se disait : Tout ça est à moi ! Ouah, je suis riche. La Corpulente le fascinait. Il grimpait vers son visage, traversait la longue plaine qui sépare le haut des seins de la base du cou, se hissait, grâce à quelques plis judicieusement placés, jusqu'au promontoire du menton et s'asseyait en tailleur juste en dessous de la bouche. Il promenait alors le faisceau de sa torche sur le paysage tel un touriste assis au pied d'une pyramide. Quelle merveille que cette femme !" (p. 122-123)
Au demeurant, Pascal Bruckner s'est très probablement inspiré de certains épisodes du roman de Matheson pour construire son intrigue, déclinant sur un ton humoristique ce que le premier avait fait vivre de manière tragique à son protagoniste : le désir sexuel, l'interrogation sur ce qui fonde le rôle éducatif du père, la menace de l'animal domestique, le recours à une maison de poupée à sa taille,... tous ces éléments ont été repris et développés, faisant de ce "petit roman" quelque chose de tendre et de cruel, et de divertissant, émaillé de blasons du corps féminin. Enfin, sa jolie couverture qui en fait un bel objet m'empêcherait presque de m'en séparer pour qu'il aille courir sa chance chez d'autres lecteurs. Bref, une lecture qui pourrait être sympa si vous n'avez pas en tête ses précurseurs.
Vous trouverez des critiques plus élogieuses chez Lily et ses livres et dans Le journal d'une lectrice.
Grasset, 2007. – 211 p.. – ISBN 978-2-246-73141-2 : 13,90 €.