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Par Julie Cadilhac-Bscnews.fr/ Crédit-photo: Nabil Boutros/ Dire que l'ouverture du Centaure et l'Animal ne laissait rien présager de bon est un euphémisme: on découvre un homme au masque inquiétant, tête couverte d'un tissu blanc, qui martyrise les touches d'un piano de ses orteils et de ses doigts tandis que des vers macabres de Lautréamont résonnent sur le rideau tremblant. On tremble déjà d'assister à un spectacle qui sacrifie l'émotion en se noyant dans un projet trop conceptuel et sentant la lenteur pénétrer dans tous les membres du plateau, l'inquiétude de passer une ennuyeuse soirée pointe dangereusement le bout de son nez. Mais, alors, entre un cheval et la beauté sauvage de l'animal gomme tous les manques du début. La danse butô et le cérémonial équestre entament un dialogue troublant et primitif. Homme et cheval sont objet de métamorphoses aussi monstrueuses que fragiles, aussi puissantes que vacillantes. Les ombres se détachent, les corps s'affrontent, se débattent, sont soumis à de violents sursauts. Déguisés de lumière, l'homme et la bête se confondent: le cavalier Bartabas et ses quatre superbes chevaux ( Horizonte, Soutine, Pollock et Le Tintoret) qui dansent sur le plateau s'improvisent spectres inquiétants, papillons gigantesques, cauchemars voilés, centaure bavard. Sujets d'angoisse autant que de fascination. De miroir en jeux de lumière miroitant sur des rideaux d'argent, d'or ou de pierre de lune, on semble revenir au premier temps du monde. Monstre mythologique ou animal nu dans la lumière de la genèse, l'animal s'humanise lorsque l'homme a gagné la mort en un baiser. Sous une pluie de sable d'or cendre, Ko Murobushi ploie sous son humanité dont il souhaiterait s'extraire et son corps tout entier sait s'agiter de soubresauts qui ragent de ne pas quitter leur forme d'origine. On applaudira la beauté époustouflante de certains tableaux et le dressage de ces quatre montures, qui, guidées sans rêne, réussissent à rester immobiles pendant plusieurs minutes. Une prouesse dont on ressort admiratif et on salue la témérité d'une entreprise aussi ambitieuse. On félicitera aussi les contorsions du danseur- moine, Ko Murobushi: son travail respiratoire et sa concentration réussissent ainsi le tour de force d'un corps qui se transfigure et, le temps de quelques secondes, s'apparente de façon impressionnante à celui d'un équidé...
Titre: Le centaure et l'animal Conception, mise en scène: Bartabas Chorégraphie: Ko Murobushi, Bartabas Musique: Jean Schwarz Lumière: Françoise Morel Textes: Lautréamont ( Les chants de maldoror) dits par Jean-Luc Debattice