Les trois visages du PS

Publié le 27 juin 2011 par Sylvainrakotoarison

J-1 pour le départ de la primaire ouverte du PS : petit tour des forces en présence avant la déclaration de Martine Aubry prévue mardi 28 juin 2011 à 11h30.
Trois faces d’un même parti vont probablement s’affronter pendant plus de trois mois pour désigner le candidat socialiste à l’élection présidentielle de 2012.
Comme toujours, Ségolène Royal en a fait trop. Elle avait déjà déclaré sa candidature à la "primaire ouverte" du PS le 29 novembre 2010 et la voici obligée de relancer sa candidature ce 26 juin 2011 pour ne pas se faire oublier et surtout, pour marquer le terrain politique au cours d’une semaine cruciale dans le destin de Martine Aubry (ce n’est pas un hasard si Nicolas Sarkozy a tenu sa 4e conférence de presse ce 27 juin).

La situation de l’après-DSK est cependant un peu plus claire : les candidatures de Laurent Fabius et de Bertrand Delanoë s’étant autodésamorcées d’office en fin mai 2011, face à Ségolène Royal et à François Hollande est attendue pour le mardi 28 juin 2011 à 11h30 la déclaration de candidature de Martine Aubry, poussée par ses partisans à tel point que, bien que réticente, elle ne semble pas pouvoir se dérober.

Mais revenons à ces trois visages du Parti socialiste.

La Deuxième gauche…

Pendant près de deux décennies, dans les années 1970 et 1980, le PS avait connu deux gauches : la gauche sans épithète, que certains accusaient d’archaïque, et la "deuxième gauche" ou "nouvelle gauche" qu’incarnait Michel Rocard qui fut entre 1978 et 1981 la personnalité politique la plus populaire de France et qui crut en son destin pour le 10 mai 1981 (il n’en a rien été) malgré son échec interne à Metz en avril 1979.

Cette gauche moderne, novatrice, avait une caractéristique : elle s’était (déjà) convertie à l’économie de marché, n’était plus anticapitaliste primaire (face à des discours très anticapitalistes et marxisants du PS de l’époque) et avait également une origine chrétienne. L’idée était de pouvoir redistribuer de façon socialement juste les richesses qui auraient été produites dans une société libérale avancée.

c’est la gauche chrétienne !

Le 12 mars 2009, Michel Rocard le disait d’ailleurs très franchement (dans l’hebdomadaire "Réforme" n°3311) en expliquant qu’en tant que scout (chef de troupe des Éclaireurs), il était même très actif religieusement : « La parole du Seigneur était encore présentée et administrée par les chefs de troupe. Cette responsabilité éminente m’a fait lire la Bible plus que la plupart de mes contemporains parce qu’il fallait bien la commenter et m’a conduit à donner plus d’importance à l’instruction religieuse. Cette formation m’a beaucoup marqué. ».

Et il retenait l’essentiel : « Mon parcours politique et mon chemin spirituel se mélangent, puisque j’ai donné beaucoup de mon temps à des réunions publiques, sans être théoricien du protestantisme. (…) Certes, Calvin avait la main lourde, il était autoritaire, il aimait être suivi, mais il prêchait une sécularité des pouvoirs. C’est cet élément-là que je retiens de lui désormais. ».

Finalement, les idées de cette "seconde gauche" ont gagné dès le sommet du G7 à Versailles en juin 1982, puis lors de le semaine postélectorale en mars 1983 où le choix de rester dans le système monétaire européen a donné aux gouvernants socialistes une réalité social-démocrate (malgré la vitrine verbale qui l’a niée). Aux commandes à l’époque, à l’Économie et aux Finances, le catholique Jacques Delors, ancien collaborateur de Jacques Chaban-Delmas et, selon le journaliste Jean Boissonnat dans "La Lettre des Semaines sociales de France" n°34 d’avril 2004, « figure de proue du christianisme social ».

Malgré une philosophie politique très proche, il n’y a jamais eu "alliance" au sein du PS entre Michel Rocard et Jacques Delors, sans doute par incompatibilité de caractère ; pourtant, leur union aurait été d’une efficacité redoutable face à François Mitterrand et à tous ses disciples. Ils auraient pu bâtir un mouvement politique (à partir du PS) qui se serait basé sur du réel, une sorte de social-démocratie dont serait devenu l’héritier un Dominique Strauss-Kahn et pas très éloigné de la "doctrine" politique de l’ancien Centre des démocrates sociaux (la justice sociale dans l’efficacité économique) et plus particulièrement du regretté Bernard Stasi. Michel Rocard est par d’ailleurs le président du conseil d’orientation scientifique de la fondation Terra Nova.

Entre postures et réalité

Dans les faits, cette doctrine modérée aura gagné autant à droite qu’à gauche, et même un dirigeant pourtant très ancré à gauche comme Lionel Jospin est devenu l’un des Premiers Ministres qui ont par exemple le plus privatisé de l’histoire de France.

Et c’est là aussi l’importance des postures, de ces vitrines verbales, par rapport à une réalité qui est souvent incontournable au sein du gouvernement. Qui peut d’ailleurs penser qu’en cas d’élection d’une majorité socialiste en 2012, le programme appliqué serait différent en fonction de l’identité personnelle du socialiste qui serait élu à l’Élysée ? Certes, il y aurait des différences de style, de priorités, mais globalement, la même politique serait conduite au même titre que l’élection d’Édouard Balladur en 1995 n’aurait pas apporté une politique très différente dans son fond de celle menée par Jacques Chirac et Alain Juppé entre 1995 et 1997.

À partir du 28 juin 2011, c’est ce combat sur les postures qui va se déclencher au Parti socialiste.

Des postures assez étranges puisque les deux candidats qui ont le plus de chances de gagner la primaire sont tous les deux des "enfants" de Jacques Delors, comme l’a souligné Jean-Pierre Chevènement qui a confirmé dans "L’Express" le 25 juin 2011 sa candidature à l’élection présidentielle de 2012 annoncée sur Europe 1 le 4 mai 2011, quelques jours avant la chute de DSK (« Ils sont tous les deux des bébés Jospin, ou plutôt, des bébés Delors, les héritiers des choix faits au milieu des années 1980. »).

Les trois gauches

À la terminologie "gauche" et "nouvelle gauche" du PS, je serais tenté aujourd’hui d’appliquer la même terminologie que René Rémond avec ses trois droites pour distinguer en quelque sorte le "bonapartisme" de Jacques Chirac (et de De Gaulle, homme providentiel) des "orléanismes" de Valéry Giscard d’Estaing et de Raymond Barre, le "légitimisme" n’ayant plus beaucoup de représentants récents à droite (si on exclut le Front national qui est un regroupement politique trop hétéroclite pour en associer un unique héritage) à moins que ce ne soient désormais des souverainistes comme Nicolas Dupont-Aignan et Philippe de Villiers.

Au sein des trois grands candidats à la primaire socialiste, cette vision de René Rémond pourrait être déclinée de la même manière.

1. Il y aurait alors une gauche bonapartiste que défendraient Ségolène Royal et Jean-Pierre Chevènement, qui ont voulu faire de la sécurité et du nationalisme de nouvelles valeurs de gauche. Cela explique pourquoi Jean-Pierre Chevènement a tant soutenu Ségolène Royal en 2007.

2. Il y aurait également une gauche orléaniste, étiquetée social-démocrate ou sociale-libérale, représentée par François Hollande mais également par Dominique Strauss-Kahn, Bertrand Delanoë et même Lionel Jospin, qui verrait en l’économie de marché le moyen de redistribuer la richesse et de faire progresser les classes sociales les moins favorisées. Cette gauche serait décentralisatrice et proche des élus locaux.

3. Enfin, il y aurait une gauche légitimiste, menée par Martine Aubry (mais également par Laurent Fabius), pour qui l’État resterait le grand ordonnateur, prêt à tous les interventionnismes au sein de l’économie et même de la société (exemple des piscines ouvertes uniquement aux femmes à Lille) pour réguler et protéger les personnes "différentes" et les plus défavorisés (ce à quoi Jean-Pierre Chevènement s’oppose en préférant miser sur ce qui unit et pas ce qui diffère).

Le triangle infernal du PS…

La bataille des postures pourra se révéler très trompeuse au cours du temps. Il suffit de regarder comment les deux héritiers politiques de François Mitterrand ont misé sur des images très différentes et les comparer avec leurs actes ou prises de positions. Lionel Jospin avait une image très axée à gauche tandis que Laurent Fabius avait été de récupérer cette gauche moderne par une politique économique très libérale. Finalement, Lionel Jospin aura été un socialiste libéral et Laurent Fabius aura voté non au référendum européen du 29 mai 2005 alors qu’il avait brillamment accompagné le passage à l’euro en 2002 à Bercy.

En cette veille de campagne pour la primaire, les trois grands candidats sont sur le devant médiatique. Si la remontée de Ségolène Royal paraît bien incertaine, la candidature de François Hollande est aujourd’hui bien illisible depuis l’éviction de DSK (le thème de la normalité ne donne aucune crédibilité présidentielle), alors que le manque patent d’envie présidentielle de Martine Aubry lui plombe la densité politique retrouvée depuis décembre 2008.

Quant aux mini-candidats à cette primaire, en particulier Manuel Valls et Arnaud Montebourg, ils ne semblent dans la compétition que pour monnayer leur futur portefeuille.

Que le meilleur gagne !

Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (27 juin 2011)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
La polémique sur la primaire du PS.
Que vont faire Fabius et Delanoë ?

DSK, un immense gâchis.

PS, le partage des dépouilles.

Le PS sans leader.



http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/les-trois-visages-du-ps-96662