« Je reviens aussi quand la nuit est tombée, et dans le fracas de l’océan, là, dans le noir, devant les vagues qui déferlent et écument, je pleure sans pouvoir m’arrêter. Je pleure parce qu’il n’y a pas moyen de savoir ; si elle a su. Si elle est tombée dans le coma avant ou si elle l’a vu venir (…). Comment accepter que lorsqu’on meurt, on s’y retrouve confronté tout seul ? »
Au travers d’une succession de portraits de personnes disparues – certaines connues du grand public telles que River Phoenix, Joey Ramone, Edie Sedgwick ou encore Hervé Guibert –, Ann Scott livre ici, pour la première fois, des textes intimistes sur la perte des êtres chers et le souvenir insatiable que l’on garde d’eux.
Comme le présente de la plus claire manière le quatrième de couverture reproduit ci-dessus en italique, il y a un thème bien précis qui lie la douzaine de textes de ce recueil, c’est la mort – « ce sombre rivage vers lequel nous voguons tous sur une mer d’incertitudes, » comme disait le poète… Si cette conclusion funeste reste notre lot à tous, certains la rencontrent néanmoins dans des circonstances assez particulières, pour ne pas dire personnelles, et souvent bien trop tôt. C’est la seconde idée qui sous-tend chacun de ces récits : il y a des vies plus violentes que d’autres.
Ce qui somme toute étonne assez peu de la part d’Ann Scott. Car ce recueil en fin de compte nous permet surtout de mieux saisir l’orientation générale des jeunes années de l’auteur – ou en tous cas d’une certaine facette de sa jeunesse. Entre sexe(s) et drogues et rock ‘n’ roll – ou plutôt punk dans ce cas précis –, elle trouva bien des occasions de croiser des originaux, si ce n’est des excentriques, voire même des marginaux – et sans que ce dernier terme se veuille un quelconque jugement de valeur –, soit des gens souvent assez enclins à une certaine forme d’autodestruction par leur désir irrépressible d’échapper à un réel dont le conformiste les étouffe forcément, par définition.
Il va assez de soi que l’inspiration d’Ann Scott trouve une bonne partie de ses racines dans ces sources inhabituelles, ce qui fait ainsi de cet auteur l’un des véritables porte-paroles d’une génération, ou du moins quelque chose de cet ordre. Cette Génération X née dans une période d’abondance et ainsi habituée à affirmer sa différence, son caractère, sa liberté enfin… pour mieux les voir à présent condamnés par les excès des marchés. Une génération tuée dans l’œuf en quelque sorte, et qui n’a donc plus rien à perdre – ou si peu : d’où sa prédisposition pour l’explosion de tête sous une forme ou une autre.
En une douzaine de textes, donc, et à travers les portraits de ses rencontres d’un temps, Ann Scott nous parle en fait beaucoup d’elle et d’où elle vient, mais surtout où elle compte aller et où elle ira en effet – au moins un temps. S’il s’agit indiscutablement d’une série d’hommages souvent très touchants aux gens qui lui étaient chers, Poussières d’anges s’affirme aussi comme une excellente introduction à l’œuvre d’un auteur à lire.
Poussières d’anges, Ann Scott, 1988-2002
J’AI Lu, collection Librio n°524, 2002
123 pages, env. 10 € (occasions seulement), ISBN : 2-290-31859-0
- le site officiel d’Ann Scott
- d’autres avis : Mes Petites idées, GloryBox, MatooBlog, Le Grand Nulle Part