(Communiqué par Luc Collès, directeur de Dialogues et cultures)
Appel à collaboration numéro de revue
« La scolarisation dans des langues sans tradition scolaire : conditions d’une réussite »
Coordination Bruno Maurer, Université Montpellier III, EA 739 Dipralang
Si toutes les langues du monde sont égales en dignité, si toutes constituent des valeurs, en même temps qu’elles véhiculent des valeurs, toutes ne sont pas également équipées face à l’univers de l’école et aux exigences de la scolarisation.
Dans la plupart des pays qui ont historiquement développé des systèmes scolaires étatiques, la scolarisation s’est accompagnée de la promotion de langues ou de variétés de langues en nombre limité, souvent une langue unique : le cas du français en France face aux langues régionales est souvent cité comme exemplaire de cette situation mais celle-ci concerne en fait la plupart des situations européennes et le cas est repérable au-delà des frontières de ce continent : promotion très ancienne du mandarin en Chine, de l’espagnol et du portugais en Amérique dite latine, de l’anglais en Amérique du Nord, etc. Dans les pays qui appartenaient à des empires coloniaux, il est bien connu que les langues des colonisateurs ont également eu un poids considérable qui continue à se faire sentir.
Mais les réalités politiques et éducatives changent.
En Europe, la construction d’une entité politique passe par la naissance d’un sentiment de citoyenneté européenne qui pourrait être fondé sur une « manière d’être aux langues » (Beacco, 2005) essentiellement faite d’ouverture au plurilinguisme et au pluriculturalisme : on peut discuter ce point de vue au plan politique et idéologique, il n’en demeure pas moins que depuis plus d’une décennie se pose de manière renouvelée la question de la scolarisation dans les langues minoritaires (dites langues régionales) et de leur articulation aux langues de scolarisation traditionnelles.
Sur les autres continents, c’est par le biais de la scolarisation pour tous, Objectif du Millénaire pour le Développement, que cette question des langues des apprenants, qui ne sont pas la langue du système éducatif, se pose. En effet, la stratégie Education pour tous a entraîné une massification de l’enseignement qui s’accompagne d’une ruralisation l’arrivée en nombre de publics ruraux, moins exposés que les publics urbains aux langues officielles, pose d’une nouvelle manière la question de l’utilisation d’autres langues que celles des anciennes puissances coloniales dans l’éducation. Le Rapport mondial de suivi sur l’éducation pour tous de 2005 (UNESCO, 2004) a rappelé que le choix de la langue d’enseignement et de la politique linguistique dans les écoles jouait un rôle essentiel dans l’efficacité de l’éducation.
Dans ces deux cas de figure, au départ sensiblement différents, la question de l’utilisation scolaire de langues qui ne sont pas traditionnellement associées à l’école pose celle des conditions requises pour un usage réussi. Ces conditions peuvent être linguistiques (aménagement de la langue, transcription, choix d’une ou plusieurs variétés dans un continuum dialectal), mais elles sont aussi didactiques, et c’est plutôt sur cet aspect que nous voudrions porter l’accent dans ce numéro.
Ce qui est en jeu, ce n’est pas simplement l’enseignement/apprentissage d’aptitudes communicatives dans une langue que les apprenants peuvent déjà maîtriser à des degrés divers ; c’est aussi la nécessité de prendre en compte les fonctions de langue de scolarisation et de langue d’enseignement que celle-ci doit assurer dès lors qu’elle n’est pas simplement une matière enseignée. En effet, la fonction de scolarisation concerne trois domaines (Verdelhan-Bourgade, 2002) : le domaine du savoir et des représentations, celui des comportements sociaux et langagiers et celui de la méthode, c’est-à-dire de la structuration de la pensée et du raisonnement. Pour le formuler autrement, remplir la fonction de scolarisation, c’est amener les apprenants à prendre conscience de leur représentation du savoir et des langues (celle(s) qu’ils parlent et celle(s) qu’ils étudient) ainsi que du rapport entre les langues et le savoir, à manipuler la langue propre à l’école et à mener une réflexion sur leurs propres techniques d’apprentissage. Il s’agit principalement de développer chez l’apprenant ses capacités à la conceptualisation en prenant fortement appui sur ses représentations des savoirs et des langues.
Au-delà de cette perspective, qui est celle des conditions de l’enseignement de la langue comme langue première, se pose la question de son articulation avec « l’autre langue », celle qui a acquis une légitimité scolaire historique et que, généralement, il n’est pas envisagé d’évacuer dans un processus de substitution. « Il est important de veiller à ce que le monolinguisme colonial ne soit pas remplacé par un monolinguisme africain » : cette prise de position nette est affirmée dans un plaidoyer Pourquoi et comment l’Afrique doit investir dans les langues africaines et l’enseignement multilingue de l’Institut de l’UNESCO pour l’apprentissage tout au long de la vie (Ouane et Glanz, 2010 : 8). Cette perspective est donc celle de son enseignement dans un espace scolaire où elle n’est pas la seule mais où « l’autre langue » reste un horizon indépassable, celle vers l’apprentissage de laquelle il convient toujours d’aller, plus ou moins vite, à plus ou moins long terme, dans des proportions variables. On parle de pédagogie convergente, de didactique intégrée, de didactique de la convergence, de didactique du bilinguisme ou du plurilinguisme, et ces dénominations recouvrent des réalités différentes.
Les deux perspectives présentées ci-dessus constitueront les deux axes des communications de ce numéro, déclinés en points de vue complémentaires.
Les communications pourront porter aussi bien sur les contextes européens (problématique de l’usage scolaire des langues régionales ou minoritaires) et non européens (problématiques post-coloniales) de manière à croiser les regards et à mettre en résonnance des pratiques qui se développent actuellement dans des univers de réflexion trop étanches.
Axe 1 : Pour une didactique des langues des apprenants comme langues premières dans leur fonction de scolarisation
1.1.Instrumentalisation didactique de la langue pour remplir des fonctions de langue de scolarisation
L’usage d’une langue comme langue de scolarisation conduit au développement de trois dimensions :
- référentielle (nommer et catégoriser l’environnement scolaire, s’y orienter, en comprendre la fonction) ;
- relationnelle (rapports hiérarchiques, règles de communication spécifiques, attitudes scolaires) ;
- institutionnelle (comprendre les finalités de l’école et donc les tâches à y accomplir selon les règles scolaires).
Présentation/analyse de pratiques de cas d’instrumentalisation de L1 pour répondre à ces besoins.
1.2. Enseignement/apprentissage des compétences de base en L1
- Définition des grandes options de l’enseignement de la L1 : part des apprentissages communicatifs/apprentissages réflexifs (méta-) en L1 ;
- Construction des premières compétences linguistiques en L1 : structures élémentaires de la langue (conscience phonétique, morphosyntaxe, lexique) ;
- Définition d’une progression pédagogique en littéracie et numéracie en L1 ;
- Articulation de l’oral et de l’écrit en L1 : présentation/analyse d’expériences de mise en valeur des formes de culture orales traditionnelles dans la constitution de ressources pour l’enseignement de l’écrit en L1 (proverbes, chansons, mythes, contes) ;
- Création/mise à disposition de supports pour l’enseignement des compétences écrites en L1 (adaptation de supports existants dans d’autres langues ou utilisés pour l’alphabétisation des adultes) ;
- Présentation/analyse de cas de développement de structures éditoriales supports de l’enseignement en L1, pouvant être utilisées dans le cadre de politiques d’enseignement bilingues.
1.2.Utilisation de la L1 pour la construction de connaissances et compétences disciplinaires dans les matières scolaires
- Présentation/analyse de cas où la L1 est le moyen premier et privilégié pour les apprentissages autres que simplement langagiers
Axe 2 : Pour des transferts de compétences et une articulation des L1 et des L2
2.1. Dans le domaine des aptitudes communicatives
- Articulation de l’oral et de l’écrit en L1 avec l’oral en L2 : présentation/analyse de pratiques de didactique intégrée en matière d’aptitudes communicatives ;
- Articulation de l’oral et de l’écrit en L1 avec l’oral et l’écrit en L2 : présentation/analyse de pratiques de didactique intégrée de l’écrit (avec utilisation possible de codes alphabétiques différents) ;
2.2. Dans le domaine des compétences linguistiques et culturelles
- Articulation des compétences linguistiques construites en L1 avec celles à construire en L2 : problématique des transferts positifs, de l’intercompréhension ; présentation/analyse de pratiques ; analyse de constructions curriculaires ;
- Articulation des compétences culturelles construites en L1 avec celles à construire en L2 : problématique interculturelle ; présentation/analyse de pratiques ; analyse de constructions curriculaires.
2.3. Les supports didactiques d’une didactique intégrée des L1 et L2
Présentation/analyse des matériaux didactiques actuellement utilisés dans quelques pays et pertinents pour les points présentés en 2.1. et 2.2. : intérêts et limites.
2.4. Dans la construction des connaissances disciplinaires
- Présentations et analyse de cas où
o la L1 et la L2 alternent dans la construction des savoirs disciplinaires
o la L2 succède à la L1 pour les apprentissages disciplinaires
- Solutions envisageables pour la question des manuels et des matériels scolaires
Références
BEACCO J.-C. (2005), Langues et répertoire de langues : le plurilinguisme comme « manière d'être » en Europe. Conseil de l'Europe. Disponible sur www.coe.int/lang/fr
MAURER B. (2011), Les langues de scolarisation en Afrique francophone. Enjeux et repères pour l’action. Rapport général du projet LASCOLAF. Paris, AFD-AUF-MAEE-OIF/Éditions des archives contemporaines. Offert en téléchargement sur le site http://www.bibliotheque.auf.org/index.php?lvl=notice_display&id=431
OUANE A., GLANZ C. (2010), Pourquoi et comment l’Afrique doit investir dans les langues africaines et l’enseignement multilingue. Hambourg, Institut de l’Unesco pour l’apprentissage tout au long de la vie.
UNESCO. 2004. Rapport mondial de suivi sur l’EPT 2005 : l’exigence de qualité. Paris, UNESCO.
VERDELHAN-BOURGADE M. (2002) Le français de scolarisation - pour une didactique réaliste. Paris, Presses Universitaires de France.