Pour ma première participation au blog de Mad Will, j’ai choisi de vous parler d’un récit incroyable que j’ai découvert récemment et adoré sur-le-champ : il s’agit de Game of Thrones, série adaptant la saga littéraire bien connue de G.R.R. Martin, produite par HBO, et dont la première saison vient de s’achever en apothéose.
Bref ! J’espère ici ne pas m’attirer les foudres vengeresses des médiévistes inconditionnels ! Mais ce préalable me semble indispensable pour la lecture de l’avis que je vous propose, même si cela peut paraître un peu kamikaze au premier abord.
Donc voilà, Game of Thrones est tout simplement LA MEILLEURE SERIE DE L’ANNEE, peut-être même la saga de la décennie si les saisons suivantes sont au niveau de celle-ci !!! C’est dit, me voilà réconciliée avec le Moyen-Âge !
Au commencement était le texte…
Nous n’avons pas à faire ici à un dernier-né de l’écriture puisque le respectable George Raymond Richard Martin a commis moult ouvrages de fantasy ou de science-fiction, avec plusieurs prix Hugo à son actif (excusez du peu !), et quelques incursions déjà dans le monde de la télévision, dont les scenarii d’une quinzaine d’épisodes de la regrettée série La Belle et la Bête. Durant cette première saison, le tome 1 de la série littéraire A Song of Ice and Fire (titre original) est adapté, dans l’idée que les sept volumes, dont trois encore à venir, donneront sept saisons à l’écran. Et quelle bonne nouvelle de voir la chaîne HBO, mythique pour son audace et son originalité en termes de création audiovisuelle au temps pas si lointain de Six Feet Under, Carnivale ou des Contes de la Crypte (ahhh les jeudi soirs sur M6…), revenir à son meilleur niveau avec cette incursion dans un genre pourtant inédit pour ce network.A la barre du « showrunning », en revanche, deux jeunes parvenus (ou presque !) nommés David Benioff et D. B. Weiss aux carrières encore récentes, surtout pour le second gus. Benioff a connu des fortunes diverses, mais s’est surtout illustré avec son premier roman, La 25è heure, qu’il a ensuite adapté pour le film du même nom réalisé par Spike Lee.
Œuvre que je vous conseille au passage, descente aux enfers intime et progressive d’un dealer patenté qui vit ses dernières vingt-quatre heures de liberté avant sa mise en détention pour une lourde peine : ambiance urbaine incomparable, réalisation haletante, scénario palpitant jusqu’au bout, Edward Norton et Rosario Dawson (toujours aussi envoûtante) à leur meilleur… un très très bon film ! Donc ! La bonne nouvelle est quand même que Benioff et Weiss ne sont apparemment pas des apparatchiks de studio, mais plutôt de jeunes auteurs issus de la littérature, ce qui leur confère une certaine légitimité sur un projet de ce type.
Et la série alors ?
Ben elle déchire tout ! On est directement plongé dans l’histoire d’un monde qui n’existe plus ou qui n’a jamais existé, un univers moyenâgeux et fantastique dans lequel se côtoient princes et sorcières, légendes féériques et guerres fratricides, à travers les Sept Royaumes de Westeros qui le constituent. Le roi Robert Baratheon règne alors sur le Trône de fer, symbole du pouvoir royal sur ce territoire unifié, et vient de perdre son gouverneur ou Main du Roi, Jon Arryn. Il demande alors à son vieil ami Eddard Stark, seigneur dirigeant de Winterfell, le royaume du Nord, d’accepter ce poste et de le suivre à King’s Landing où se décident les affaires du royaume. Stark finit par accepter, à regrets, laissant derrière lui sa femme Catelyn, ses fils Robb, Bran et Rickon, et emmenant ses deux filles Sansa et Arya désireuses de découvrir la cour du roi. Dans le même temps, encore plus au Nord, son « bâtard » Jon Snow rejoint The Wall et sa Night’s Watch, muraille gigantesque édifiée contre les créatures maléfiques et malfaisantes qui se trouveraient au-delà, et gardée par une armée sombre de gardiens assignés à vie. Tout à l’Est du continent, les derniers représentants de la maison Targaryen, Viserys et sa sœur Daenerys, s’allient au peuple autochtone, les Dothrakis, dans l’espoir de reconquérir le trône qui leur appartenait autrefois. Daenerys épouse alors le chef guerrier Khal Drogo en échange d’une promesse d’invasion de King’s Landing. Tous, où qu’ils se trouvent, doivent pourtant faire vite car chacun sent que « l’hiver arrive », un hiver glacial, et qu’il va s’abattre sur le monde pour plusieurs années…
Voilà résumée l’intrigue principale depuis laquelle se déroule toute la narration de Game of Thrones. Et encore, je ne vous raconte pas les imbrications politiques, les personnages secondaires à double facette, les rebondissements imprévisibles, le déluge de sentiments irrépressibles… Rarement œuvre audiovisuelle aura bénéficié d’une telle latitude créative, HBO ayant comme souvent choisi de ne contraindre nullement l’indépendance artistique des auteurs, avec ici des choix radicaux qui en surprendront plus d’un ! Sang, sexe et mort règnent sur les Sept royaumes, sans que l’habituelle pudibonderie américaine n’intervienne pour censurer quelque scène que ce soit, visuellement ou moralement. Les codes traditionnels de la fiction sont ici abandonnés, n’importe quel personnage, principal ou non, enfant ou vieillard, pourra ainsi perdre la vie au hasard des luttes armées ou des complots revanchards, aucune transcendance particulière n’épargnera « les gentils » ni ne condamnera « les méchants ». Et c’est une véritable cour des miracles qui évolue sous nos yeux, nains et monstres compris ! J’en profiterais pour vous parler ici d’un de mes personnages préférés : Tyrion Lannister, frère nain, justement, de la reine Cersei et du chevalier Jaime, tous enfants du puissant Tywin Lannister.
Autrement appelé « Le Lutin », Tyrion est interprété par le génial Peter Dinklage, déjà repéré par exemple dans le multi-primé The Station Agent. Perçu tout d’abord comme un simple bouffon épicurien mais désabusé, le cadet des Lannister se révèlera rapidement un esprit complexe et subtil, autant à son aise dans les draps des bordels qu’il fréquente assidûment que sur les rudes remparts du Mur du Nord. C’est ainsi l’un des seuls personnages « transversaux », en ce qu’il est ouvert sur le monde et sur les univers multiples qui l’entourent. Sa difformité revendiquée deviendra un parfait atout pour passer inaperçu aux yeux et aux considérations des autres. Un peu comme chez David Lynch, la figure du petit homme étrange accouchera les consciences de tourments ignorés et saura s’imposer auprès de compagnons improbables. Et c’est bien à cela que nous invite les créateurs de Game of Thrones : à nous dépouiller de nos préconçus culturels, et à nous laisser ouvrir l’esprit à toute forme de possible, existant ou imaginaire, amical ou cruel, bienfaisant ou diabolique, car c’est seulement ainsi que le spectateur pourra embrasser réellement la richesse et la complexité de ce monde infini.
La réalisation léchée, installant le climat et l’environnement parfait à chacun des territoires, renvoie constamment le personnage filmé à son rôle dans la société qu’il habite et aux choix qu’il doit y faire, grâce à ce va-et-vient entre questionnements individuels et position à tenir dans un collectif plus ou moins hostile. D’anciennes peurs irrationnelles viennent se confronter à la cupidité des Hommes ou au manège des unions familiales, des puissants tombent, des faibles se redressent, le Bien et le Mal se confondent au gré des épisodes. Au-delà des métaphores et des symboles qui jalonnent ainsi le récit, c’est l’autopsie d’une société à l’aube de nouveaux dangers qui est ainsi réalisée, et qui nous renvoie évidemment à certains échos bien contemporains. Oui, il faut bien comprendre que Game of Thrones se révèle une dissection sans concession de la condition humaine toute entière ! Tout le génie des auteurs réside bien dans ce tour de force formel, celui d’attirer le spectateur lambda avec les atours alléchants d’un décorum bien connu à travers le monde, pour y traiter ni plus ni moins des fléaux qui agitent toujours davantage nos sociétés : la haine de l’Autre, le déchaînement des forces de la Nature, la crispation de dirigeants impuissants face à des menaces inconnues et incontrôlables… Toute la Création est ici conviée au spectacle de cette scène pluri-mythologique et hyperbolique, pour y contempler grandeur et décadence du genre humain à ce moment charnière de l’époque…
Oyez, oyez, amis lecteurs et blogueurs, pratiquants fervents des cultes celtiques ou parfaits incultes des traditions médiévales (dont je suis !), laissez-vous envoûter par des acteurs saisissants, par une musique puissante et par une histoire digne des plus grandes épopées chevaleresques et oniriques, plongez tout entier dans Game of Thrones…
DIRTY SAMIE