Service Clientèle, de Benoît Duteurtre

Par Onarretetout

C’est arrivé à quasiment tout un chacun : appeler un standard téléphonique automatisé qui nous met en attente et qui fait aussi des réponses automatisées, quand bien même elles sont dites par des opérateurs (souvent délocalisés, comme on dit). Et perdre ses mots de passe, répondre à des questions en anglais quand on est francophone, survoler des pages modifiant le contrat que l’on a avec un fournisseur de logiciel et cliquer sur « j’accepte » sans savoir au juste quoi, etc. La société telle que nous la vivons n’a pas que ces défauts. Elle isole terriblement avec un discours vantant la communication, elle nous parle mais ne nous dit rien, elle ne peut rien pour nous. Parce que nos interlocuteurs souvent n’existent pas. Dominique Delmare, responsable clientèle de Cogecaphone, n’existe pas. Et quand bien même elle existerait (parce que, oui, c’est une femme), elle nous enverrait siffler là-haut sur la colline, comme le chantait Joe Dassin, et nous offrirait en prime des points cadeau et un badge à l’effigie d’Arthur Rimbaud (« absolument moderne »). Peut-être nous réserverait-elle aussi une suite dans un hôtel pour participer à des conférences : je me souviens d’une chaîne hôtelière pas très bon marché ayant baptisé toutes ses salles de réunion de noms de poètes, alors que, sans doute, aucun de ces poètes n’aurait pu de son vivant se payer une chambre dans ces hôtels. Il faut surfer sur le poétique pour masquer le trivial. Il faut vanter la beauté pour faire passer la laideur. Il faut nous barricader dans l’enfer des codes secrets pour que personne ne puisse plus rien pour personne. Et que le narrateur oublie même, au cours de son récit, ses parents qui lui « avaient offert un téléphone mobile extrêmement perfectionné » à la première page.