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Qu'est-il arrivé au pouvoir et à la pertinence de la photo? Les appareils ont beau être devenus hyper-puissants, je me demande de plus en plus quel est le but ultime des déclenchements. La chambre noire me manque. La photographie m'apparaît alternativement comme une douce rêverie, un leurre, un instrument perverti, une distraction de l'esprit. Que peut-il y avoir de vrai dans l'instantané qu'on a pris dans la rue d'une personne passante? Tout au plus, peut-être, la vérité de l'instant de celui qui prend la photo. De ce qu'il y a dans sa tête ou dans son regard, au moment où il appuie sur le bouton. Les images sont des images. Les images ne sont que des images. Des reflets dans le miroir. Des traces de ce qui a été. Des souvenirs dans la tête. Plus que l'argentique, le numérique met en exergue la dramatique évanescence de l'acte photographique. Un clic, un crash, et tout est effacé. Et puis il y a cette bousculade terrible. Jamais il n'y a eu autant de photographes en activité. Jamais il n'y a eu autant de bons photographes dans la nature. Jamais il n'y a eu autant d'images étonnantes. Jamais le monde n'a proposé autant de catastrophes, autant de situations dantesques, autant d'enfers et de rages à photographier. Des milliards d'images sont produites, postées en ligne, regardées ou pas, Certaines sont élues et deviennent emblématiques. Face à ce déferlement de clichés, face à ce bûcher aux images, quelle part de spontanéité, quelle illusion de créativité, reste-t-il au photographe? De qui ou de quoi est-il devenu l'esclave? Peut-il encore considérer la caméra comme l'extension de sa pensée, de sa sensibilité? Il y a toujours le choix de la non-photo...ou le choix de la photo non diffusée, gardée précieusement dans un coffre secret. Pour être révélée un jour à des yeux clairs et limpides. Des yeux ayant été épargnés par la surexposition. Des yeux qui s'arrêteront et s'interrogeront sur l'image.