Les hasards (mais en sont-ce ?) de publication BibNum m'amènent à mettre en regard deux textes indépendants de 1930, l’article des Philosophical Transactions de Dirac (lien BibNum, analyse Ilarion Pavel) et la lettre de Pauli au congrès de Tübingen (lien BibNum, analyse Marie-Christine de La Souchère).
En cette année 1930 sont faites deux prédictions théoriques importantes : celle de l’antimatière par Dirac, et celle du neutrino par Pauli (le nom de neutrino, petit neutron, sera donné plus tard par Fermi – entre-temps, en 1932, le neutron avait été découvert).
Ces deux articles illustrent la redoutable efficacité prédictive de la théorie quantique. Mais qui ne correspondrait à rien sans la saga de ses expérimentateurs, praticiens quantiques, qui fait suite à ces deux prédictions.
Dès 1932, Anderson confirme l’hypothèse de Dirac de l’antimatière en découvrant l’électron positif, ou positron, dans les rayons cosmiques. Irène et Frédéric Joliot-Curie le trouveront peu après en laboratoire, dans la radioactivité β+ (lien BibNum, analyse Pierre Radvanyi) ; on connaît l’utilisation du positron de nos jours dans la tomographie médicale, basée sur les traceurs radioactifs artificiels découverts par les Joliot-Curie. Quant à l’antiproton, il est découvert en 1955 au Bevatron de Berkeley par Emilio Segré (1905-1989) et Owen Chamberlain (1920-2006) : ils obtiendront pour cela le prix Nobel de physique en 1959.
Owen Chamberlain (1920-2006), prix Nobel de physique 1959
Quant à la prédiction de Pauli, celle d’une particule neutre et de faible masse nécessaire à l’équilibre énergétique de la réaction de radioactivité β, il faut attendre 1956 pour la voir se réaliser : Clyde Cowan (1919-1974) et Frederick Reines (1918-1998), dans la cuve Poltergeist montée près de la centrale nucléaire de Savannah Bay en Caroline du Sud, détectent la trace de neutrinos à un rythme de trois par heure… Et dans les rayons cosmiques aussi : Anderson, toujours lui, avait découvert le muon dans les rayons cosmiques en 1936 ; en 1962, le neutrino muonique était mis en évidence au laboratoire de Brookhaven, à New-York. Reines obtiendra (seul, Cowan étant décédé) le prix Nobel de physique en 1995.
Fred Reines (à g.) et Clyde Cowan (à dr.) en 1953 - Reynes sera prix Nobel de physique en 1995.
Ces deux articles BibNum nous content bien la saga des expérimentateurs en aval des prédictions théoriques faites par Dirac et Pauli respectivement. Comme l’écrit Jean-Marc Lévy-Leblond (membre du conseil scientifique de BibNum) dans Impasciences (Bayard 2000, Seuil 2003), p. 110, à propos de la physique quantique :
« Encore faut-il rendre hommage au travail des expérimentateurs qui ne fut pas moindre : Bohr sans Rutherford, de Broglie sans Davisson & Germer (…) ne peuvent illustrer qu’une face des médailles commémoratives des triomphes de cette physique. Que ces travaux pratiques n’aient pas connu, hors du milieu professionnel, la même notoriété que les recherches théoriques (…) ne fait que renforcer la nécessité de corriger une vision par trop désincarnée de la science contemporaine ».
Voilà ce à quoi BibNum essaie de contribuer avec ces deux analyses de M.C. de La Souchère et d’I. Pavel : pas de Dirac et son antimatière sans Anderson, pas de Pauli et son neutrino sans Cowan & Reines.
Finalement, ces deux prédictions théoriques de 1930 s’incarnent de nos jours tout particulièrement dans la radioactivité β+,
et notamment dans l’application médicale de tomographie susmentionnée – à peu près compréhensible par
tous. La radioactivité β+ se caractérise par l’émission d’un positron (anti-particule de l’électron) et d’un neutrino. Dans les appareils de TEP, qui utilisent un composé radioactif
artificiel de fluor, elle s’écrit (e+ est le positron et ν le neutrino) :