« La pire chose qu’on puisse faire avec les mots c’est de capituler devant eux. Si la langue doit être un instrument pour exprimer, et non pour dissimuler ou faire obstacle à la pensée, on doit laisser le sens choisir le mot, et non l’inverse »[1].
Cette citation m’a interpelé du moment où certains concepts usuels ont fait, effectivement, l’objet d’une recherche érudite. En fait, depuis Sartre, Descartes et Locke, à Freud et ses disciples, en passant par Barth, Giddens et Goffman, pour n’en citer qu’eux, la notion d’identité était, et est encore, sujet de plusieurs études et interprétations. La philosophie, la psychologie, la sociologie, l’anthropologie et d’autres disciplines ont pris part au développement de la question de l’identité et ont scruté ses détails, chacun dans son domaine, du fait qu’elle hante tous les discours et tourmente notre époque. Elle s’est centralisée dans les avatars psychosociologiques et culturels que connaît le monde actuel et est devenue « le » sujet de l’époque à l’instar de la sexualité aux temps de Freud.
Seulement, pourquoi toute cette attention qui l’a léguée au rang de la problématique ? Pourquoi cet encombrement de connotations essentialistes qui l’auréolent ? La réponse m’a parue claire à travers les propos d’Edmond Marc dans l’introduction de son livre Psychologie de l’identité :
« L’identité, lorsqu’elle ne se sent pas menacée, n’est l’objet d’aucune interrogation ; elle s’impose avec une évidence tranquille. C’est dans les moments de remise en question, de déni, de rupture, de bouleversement qu’elle devient problématique. L’incertitude et la fragilisation qui l’affectent sont les symptômes d’un « malaise dans la civilisation » qui mine les modèles, les valeurs, les repères traditionnels et les institutions qui les portent. »[2]
Ces propos expliquent pourquoi le concept d’identité est qui encombré de connotations essentialistes qui l’auréolent et le hissent vers le rang de la problématique. Seulement, afin de pouvoir le cerner, il faut d’abord nous interroger sur l’identité de l’identité : qu’entendons-nous par « Identité » ? Son utilisation dans les discours quotidiens de manière extensive ne la rend-t-elle pas confuse et par suite il est ardu d’en donner une définition précise et claire ?
Une première lecture dans le dictionnaire dévoilera toute la confusion que dissimule le terme : « Caractère de qui est identique ou confondu ». « Etat d’une chose qui reste toujours la même ». « Conscience de la persistance du moi ». « Ensemble des éléments permettant d’établir, sans confusion possible, qu’un individu est bien celui qu’il doit être ou qu’on présume qu’il est. Carte d’identité. »[3]
Déjà, nous pouvons souligner une certaine opposition au niveau de ce qu’avance cette définition, et ce, entre le « Caractère de qui est identique » c'est-à-dire le similaire, soit similaire à l’autre, et « Etat d’une chose qui reste toujours la même », et donc unique, unique par rapport à elle-même. En d’autres termes, toute personne est, à la fois, unique et singulière et analogue et ressemble à l’autre.
Il y a aussi « la persistance du moi » qui est généralement d’usage dans la psychologie et qui relève de l’Etant. Ce caractère présente que tout individu est le même tout au long de sa vie et ne change pas ; unique en soi.
Et enfin, in y a l’identification par un détail, un trait et l’admission comme vrai qu’un tel individu est lui et non pas un autre et ce par une pièce d’identité.
En somme la définition préalable de la notion d’identité laisse apparaître quatre sous-notions, va-t-on dire, qui sont l’unicité, la similitude, la permanence et la reconnaissance. Ce qui échappe, ou plutôt ce qui manque à ce préambule est que l’identité peut s’appliquer à d’autres catégories outre l’individu et la personne. Il y a, effectivement, la notion d’identité professionnelle, juridique, régionale, nationale, sociale, ou encore culturelle. Elle est donc « à la fois individuelle et collective, personnelle et sociale ; elle exprime en même temps la singularité et l’appartenance à des « communautés » (familiales, locales, ethniques, sociales, idéologiques, confessionnelles…) dont chacun tire certaines de ses caractéristiques. »[4] Elle relève autant de l’objectif (carte d’identité personnelle) que du subjectif du moment où elle porte sur la conscience, conscience de soi, conscience qui cherche à faire l’équilibre entre l’acquis (ce que je suis) et le devenir (ce que je voulais être). Elle est, du fait, un phénomène qui conjugue des notions paradoxales (personnelle/sociales, individuelle/collective, objective/subjective) et qui tend à les concilier dans un but constructiviste et évolutif de l’individu.
[1] Citation tirée de « Politics and the English Language », G. Orwell, A Collection of Essays, New York, Harcourt Brace, 1953, p. 169-170. In : R. Brubaker, Au-delà de l’«Identité», Actes de la recherche en sciences sociales, 2001/3, 139, p. 66
[2] E. Marc, Psychologie de l’identité : Soi et le Groupe, Dunod, Paris : 2005, p.1
[3] Dictionnaire Pratique du Français, sous la direction de P. Amiel, Hachette, France : 1987, p.558.
[4] E. Marc, op. cit., p.3