On nous croirait tous sortis d’un moule. Ou peut-être avons-nous séjourné dans quelque tuyau étriqué. Comme si on nous avait coulés dans des conduits, par paquets de dix ou de cent. Des gaines de chauffage ou autre ventilation. Serrés, coincés, nous nous serions extirpés tant bien que mal de tout ça.
Nous voilà marqués à vie.
Je sais que mon visage semble avoir été écrabouillé entre les mâchoires de je ne sais quel étau. Pareil pour mes compagnons de route.
Moi, je suis pâle comme une morte, mais j’en ai vus des rubiconds, des jaunes citron ou des gris souris. Une vraie troupe de clowns …
L’œil hagard, nous sommes tous des effarés.
Habitués à vivre en espace exigu, nous tenons le moins de place possible. La tête rentrée dans les épaules, les bras rachitiques ou racornis…Nous sommes entassés, empilés, emboîtés.
Parfois, je me demande si nous n’avons pas vécu aussi enfermés dans de vieilles armoires. Sinon, où aurions-nous dégotté tous ces tissus ringards qui nous habillent de bric et de broc ? Ces carreaux Vichy façon nappe de bistrot, ces rayures et petits pois façon papiers peints d’antan ? Moi, je porte une espèce de blouse-tablier de grand-mère qui ne va guère avec ma bouche pulpeuse (que j’aime souligner de rouge à lèvre). Et Marcel est affublé d’une chemise de bagnard ou de malade mental, assortie d’une cravate totalement démodée. Ma copine Julie, elle, est vêtue d’un patchwork débile et cacophonique.
J’en ai assez d’avancer avec cette bande de neuneus. Ils me collent. Me poussent. Me bousculent.
Quelque part, on nous a piégés, c’est sûr. Piège à rats.
Nous sommes propulsés en ligne droite, raides comme des piquets (il n’y a que nos yeux et nos genoux qui font des ronds…), craintifs, tendus et soumis.
Je sens que je vais bientôt crier. Tenter une sortie. Me désempêtrer de cet amas humain. Réapprendre à tourner la tête, à me déhancher, à zigzaguer toute seule.