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L’Italie et le crépuscule du berlusconisme

Publié le 25 juin 2011 par Copeau @Contrepoints


Un vent de changement s’est levé en Italie, avec les succès de la gauche lors des élections locales en mai, notamment à Milan et à Naples, et une séance de référendums qui s’est déroulé en juin.

C’est peut-être le début de la fin pour le règne de Silvio Berlusconi, le leader incontesté de la droite italienne depuis 1994, quand il est entré dans l’arène politique et en l’espace de quelques semaines, a créé un parti politique qui a remporté les élections législatives.

Depuis qu’il est entré activement en politique, Berlusconi a été le candidat premier ministre du centre-droit italien pour cinq élections consécutives, obtenant trois victoires (en 1994, 2001 et 2008) et deux défaites (en 1996 et 2006). Ces dernières n’ont point remis en question sa suprématie au sein de sa coalition, compte tenu du fait qu’elles se sont produites de justesse et qu’elles ont été la conséquence plus de la morphologie des coalitions politiques qui se faisaient face que d’une désaffection de l’électorat à l’égard du Cavaliere.

Pour la première fois aujourd’hui on constate que Berlusconi est en perte de vitesse parmi son électorat traditionnel et, même à l’intérieur de son parti le Peuple de la Liberté, on commence à s’interroger sur les stratégies de transition vers un après-Berlusconi.

On discute notamment de l’organisation d’élections primaires pour le choix de son successeur et en général pour la détermination des candidatures aux différents niveaux institutionnels, ce qui représenterait une indéniable nouveauté dans un pôle politique où toutes les positions de responsabilité ont toujours été attribuées selon des mécanismes de nomination et de cooptation.

Mais après 17 ans, est-il possible de dresser un bilan équilibré de l’ère berlusconienne ou plutôt Berlusconi reste-t-il une personnalité qui ne se plie pas aux critères objectifs d’analyse, quelqu’un qu’on est destiné à aimer ou à haïr a priori ?

En réalité, il faut reconnaître que le berlusconisme est un phénomène politique très complexe et que tout jugement qu’on peut porter sur lui doit forcément être un jugement articulé.

Berlusconi
La plupart des libéraux ont salué l’avènement de Berlusconi en 1994 avec attentes et espoir. Pour la première fois, dans la scène claustrophobique de la politique italienne, un politicien redonnait leur dignité aux concepts de libre entreprise, de libre marché et d’initiative individuelle. Avec son image de « self made man » il semblait même incarner ces concepts.

Étranger aux institutions établies traditionnelles, il était traité de parvenu par les professionnels de la politique et par les cercles intellectuels, mais pour cette même raison il se présentait comme un symbole crédible de la demande générale de renouveau, face à l’échec du système politique de ce qu’on qualifie de « première république ».

Moins d’état, moins d’impôts, plus de liberté. Le berlusconisme semblait l’expression d’un mouvement sans précédents dans la société italienne, ce que les analystes définissaient comme « la révolte des producteurs ».

Force est de reconnaître que grâce à Berlusconi des secteurs considérables du pays ont acquis une conscience nouvelle de leurs droits, y compris du droit à un système fiscal qui ne soit pas punitif – et cela représente une contribution positive des années du Cavaliere à la culture de fond italienne.

Pourtant les slogans berlusconiens ont été répétés d’innombrables fois, pendant ces 17 ans. Toujours les mêmes, mais ils ont progressivement perdu toute valeur, à mesure que la pratique quotidienne des gouvernements de Berlusconi s’éloignait des énonciations libérales pour embrasser une vision agnostique de la politique comme l’ « art du possible ».

Dépourvue de tout souffle réformateur, l’action concrète des majorités de centre-droit s’est révélée complètement soumise aux intérêts organisés des corporations et orientée vers une cohésion sociale fondée sur la sauvegarde du status quo.

Ainsi, de 2000 à 2011 – la « décennie perdue » du berlusconisme – l’Italie est passée de la 28ème à la 87ème position mondiale, dans le classement de l’Index for Economic Freedom publié par le Wall Street Journal et l’Heritage Foundation qui mesure le degré de liberté économique de tous les pays du monde.
Pendant que le reste de la planète se libéralisait, l’Italie restait verrouillée dans son système étatiste, bureaucratique et tout orienté vers la défense de positions acquises.

Au lieu de diminuer, la pression fiscale augmentait jusqu’à atteindre des niveaux record à l’échelle mondiale. L’Italie se situe en troisième position au sein de l’OCDE pour ce qui est des impôts par rapport au PIB, et en première position absolue si on tient compte de l’évasion fiscale et qu’on évalue seulement la partie du PIB sur laquelle les taxes sont effectivement payées.

Avec un endettement et une dépense publique contraignants, les années de Berlusconi laissent un héritage de faible productivité et de stagnation de l’environnement économique.

Si le « berlusconisme réel » à été indéniablement socialiste et étatiste, la fait qu’il était associé à une rhétorique libérale a engendré dans de vastes secteurs de l’opinion publique la conviction que le déclin économique italien ne représente pas un échec de l’étatisme, mais au contraire un échec des politiques « ultra-libérales».

La conséquence la plus nuisible de l’ère Berlusconi risque donc d’être le retour en force des recettes économiques ouvertement dirigistes et interventionnistes du passé.

En particulier l’opposition, pour mieux jouer sa partie contre le premier ministre, est en train de recourir à un enracinement identitaire sur des positions de socialisme traditionnel, que dans les années précédentes elle avait donné l’impression d’avoir dépassé.

Les succès des candidats de la gauche « radicale » aux élections locales et le succès des référendums contre la libéralisation des services de distribution de l’eau traduisent la victoire de la gauche idéologique sur la gauche à vocation réformatrice.

Pierluigi Bersani, le leader du Parti Démocrate, semble désormais avoir établi un lien indissoluble avec la nouvelle vedette de l’extrême gauche Niki Vendola et avec le leader populiste Antonio Di Pietro et ne fait plus de véritables efforts pour rééquilibrer sa coalition vers le centre.

Dans ces conditions l’opposition paraît aussi « unfit to lead Italy » que Berlusconi l’a été jusqu’à présent et il est difficile d’apercevoir parmi la classe politique actuelle quelqu’un qui puisse remettre le gouvernement sur la bonne voie et relancer un projet de réforme libérale.

Les espoirs de rouvrir les jeux sont peut-être maintenant liés à des personnalités étrangères au monde politique, comme la présidente de la « confédération de l’industrie » Emma Marcegaglia ou son prédécesseur Luca Cordero di Montezemolo, ce dernier crédité depuis longtemps d’une probable entrée dans l’arène.

La majorité de centre-droit devrait probablement préparer une succession rapide à Berlusconi, mais le premier ministre ne semble pas considérer l’abandon comme une option. Le « roi » reste barricadé dans son roque.

Berlusconi

Pourtant on risque de payer cher cette résistance à outrance, parce que les électeurs tolèrent de plus en plus mal l’interminable série de scandales dans lesquels Berlusconi a été impliqué et l’extrême faiblesse d’un gouvernement qui n’a plus une véritable majorité politique et qui reste exposé au « chantage » de chaque parti de sa coalition et même de chaque député qui la soutient.

Ces prochains mois seront probablement décisifs pour comprendre si ce gouvernement aura la force d’arriver à la fin naturelle de son mandat en 2013. Néanmoins, si ce cadre politique persiste, on va assister à un débat aux tons toujours plus populistes, tant à droite qu’à gauche – ce qui n’est pas forcément un bien pour un pays qui devrait penser à élaborer des stratégies pour sortir de la crise et recommencer un parcours de croissance économique.

Marco Faraci, chroniqueur d’opinion et essayiste libéral, est italien, cofondateur du think-tank « Libertiamo ».


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