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L'inévitable banalité du mal ?

Publié le 25 juin 2011 par Perce-Neige
L'inévitable banalité du mal ?C’est de Jean-Pierre Dupuy dans « Petite métaphysique des tsunamis » (Ed. Seuil), un texte terrible sur les catastrophes, naturelles et morales, passées et à venir :
Les « gestionnaires du risque» et autres économistes de l'assurance s'effarouchent qu'on puisse mêler dans une sorte de grand cocktail catastrophiste la pollution de l'environnement, la dégradation du climat, l'épuisement des ressources fossiles, les risques liés aux technologies avancées, les inégalités croissantes, la tiers-mondisation de la planète, le terrorisme, la guerre, les armes de destruction massive et j'en passe. Chaque problème doit être selon eux isolé, décortiqué, analysé pour lui-même, en pesant les coûts et les avantages. Ils ont les yeux tellement rivés sur leurs microscopes qu'ils ne sentent pas que le plancher s'effondre sous leurs pieds. Il faut dire haut et fort qu'une « rationalité » de spécialistes ou d'experts dont le sérieux se mesure à l'épaisseur de leurs œillères n'est pas différente de l'absence de pensée ou de la courte vue dont parle Arendt à propos d'Eichmann. Le premier « risque », tous le disent, est pour une nation ou un peuple de ne pas être « dans la course » que représente la compétition mondiale, comme si l'histoire de l'humanité se réduisait dorénavant à un grand prix de Formule 1. Peu importe qu'au bout de la piste on trouve le grand saut dans l'abîme, c'est à qui s'y précipitera le premier. Le nouvel impératif catégorique est la « performance », nous assure un acteur important du capitalisme sans frontières: « Dans ce monde où les frontières s'estompent, un impératif émerge avec toujours plus de force, identique en tout point de la planète: la performance. C'est une langue universelle. Qualité, coûts, délais: elle se parle de la même manière au Japon, en Europe ou aux États-Unis. La performance est un devoir. » (Carlos Ghosn dans Le Monde du 24 mars 2005) Cette singerie du discours de la philosophie morale donne la nausée. Pas un moment, ce grand constructeur automobile ne se pose la question suivante: il veut une part plus importante du marché chinois et indien que ses concurrents, c'est cela qu'il appelle la performance, soit. Mais que se passera-t-il lorsque chaque famille indienne ou chinoise roulera sur les autoroutes asiatiques ? Le système climatique mondial n'y résistera pas. Nous le savons à coup sûr. La responsabilité de ce capitaine d'industrie est immense, mais il est incapable de voir plus loin que le bout de son nez. Décidément, Anders a raison: Hiroshima est partout. Arendt a raison: Auschwitz est partout.

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