Le mythe des plans de relance

Publié le 25 juin 2011 par Copeau @Contrepoints

Daprès l’Oxford English Dictionary, un factoïde serait «Une opinion dépourvue de fondement que l’on rapporte et répète si souvent qu’elle en devient un fait accepté. »

La politique que les keynésiens recommandent ordinairement pour maintenir le plein emploi sans inflation est l’un de ces mythes en matière budgétaire.

C’est un factoïde que la classe parlante sait répéter à satiété:

Pour stimuler l’économie, il faudrait accroître le déficit (ou réduire l’excédent) public, et pour brider une économie en surchauffe, diminuer le déficit de l’Etat (ou accroître son excédent). Même les gourous de la finance reprennent à leur compte ce mythe de la politique budgétaire. Cela, bien sûr, est l’une des raisons pour lesquelles la formule incantatoire du keynésianisme budgétaire en est devenue un, de factoïde.

Le coup du factoïde budgétaire, le « Prix Nobel » Paul Krugman, et le professeur Larry Summers, naguère conseiller économique du Président Obama, viennent de nous le resservir dans deux articles distincts publiés par le New York Times Magazinedu 5 mai 2011

Le Professeur Krugman prétend que « la politique économique des Etats-Unis ne devrait s’occuper que des emplois, des emplois et encore des emplois. » Et pour en créer davantage, des emplois, que recommande le professeur Krugman ? Vous l’aurez deviné : « des déficits budgétaires persistants ».

Le Professeur Summers nous joue la même partition : le manque d’emplois lui donnerait à lui,  M. Summers, « des sueurs froides pendant la nuit ». Quand il opérait en tant que directeur du National Economic Council d’Obama, son conseil était clair :  »Nous avons dit au président qu’il n’y a aucun risque de faire trop de relance budgétaire, et que d’un point de vue économique, nous devrions en faire autant que possible. »

Certains – entre autres ceux qui ont des tendances libérales – haussent les épaules face aux divagations des professeurs Krugman et Summers. Mais cette attitude est pire qu’un crime, c’est une faute. Même si ces déclarations-là n’ont guère plus de valeur que de vagues rumeurs, les déclarations de lauréats du prix Nobel et d’anciens présidents de l’Université de Harvard pèsent toujours très lourd sur l’opinion. La célèbre « Conférence du Docteur Fox », faite à la Faculté de Médecine de l’Université de Californie du Sud dans les années soixante-dix, montre à quel point une foule peut se faire efficacement manipuler par de soi-disant « experts ». La conférence était faite par un certain Dr Myron Fox – qu’on présentait comme un « grand ponte  » et qui s’adressait à un public universitaire. La réaction à la conférence du Dr Fox fut  unanimement favorable. Mais ce que l’auditoire ne savait pas était que le « Dr Fox » n’était qu’un acteur qu’on avait affublé d’un faux curriculum vitae impressionnant, et à qui on avait donné pour mission de faire une conférence dépourvue de sens, bourrée de déclarations contradictoires, de double langage et de non sequiturs. Moralité : les grandes gueules sont celles qui savent se faire entendre.

Ces grandes gueules, des faits concrets, présentés calmement, peuvent quand même les réduire au silence. Et l’une des réussites les plus remarquables en la matière concerne justement le mythe de la politique budgétaire. Ainsi, c’est sur un tour de vis budgétaire que Margaret Thatcher, alors Premier ministre, a joué sa crédibilité en matière de croissance. En 1981, pour relancer l’économie, Mme Thatcher avait lancé une attaque féroce sur le déficit budgétaire britannique, associée à une politique monétaire qui, elle, était expansionniste. Ses initiatives furent immédiatement condamnées par 364 économistes éminents.Ceux-ci envoyèrent au Times une lettre dont le contenu était l’expression typique d’un réflexe keynésien :« …ces politiques aggraveront la dépression, saperont la base industrielle de notre économie et menaceront sa stabilité politique et sociale. »

Les évènements s’empressèrent de donner raison à Margaret Thatcher : à peine ces 364-là avaient-ils apposé leurs signatures que l’économie repartit à toute allure. On faisait de nouveau confiance à la Grande-Bretagne, et Mme Thatcher put mettre en oeuvre une longue suite de réformes libérales en profondeur.

Quant aux 364 économistes (lesquels comprenaient soixante-seize professeurs en activité ou à la retraite, la majorité des conseillers économiques en chef du gouvernement de l’après-Seconde Guerre mondiale, et le président de laRoyal Economic Societyde même que son secrétaire général et neuf de ses vice-présidents, présents et passés), non seulement ils avaient tout faux, mais en fait ils s’étaient ridiculisés.

Aux États-Unis, les camelots de la mythologie keynésienne n’ont jamais subi l’humiliation intellectuelle de leurs homologues britanniques. C’est pour cela que les professeurs Krugman et Summers peuvent, avec insouciance et abandon, continuer à colporter leur orviétan — et à influencer la politique de Washington et d’ailleurs.

Jetons un coup d’œil plus précis aux réalités de la politique budgétaire, et à ce que vaut vraiment la poudre de Perlimpimpin keynésienne.

Cette question, le prix Nobel Milton Friedman l’a traitée dans un éditorial du Wall Street Journal en date du 8 Janvier 1999. Voici ce qu’il écrivait  alors:

« L’idée keynésienne est que le déficit public stimule la conjoncture, qu’il soit financé par emprunt ou par de la monnaie nouvellement créée… Le point de vue monétariste est que ce qui stimule la conjoncture ce sont les dépenses financées par de la monnaie nouvellement créée, que ce soient les hommes de l’état qui les fassent ou que ce soit le secteur privé. Et c’est dans la mesure où les dépenses publiques évincent ou non les dépenses privées que les dépenses publiques financées par l’emprunt réussissent ou non à faire de la relance ; l’un et l’autre effet sont possibles, suivant les circonstances… Il n’est pas facile de départager ces opinions-là à partir de données empiriques, parce qu’en général la relance budgétaire s’accompagne d’un relâchement du côté de la monnaie. Les éléments de preuve pertinents, on les trouvera dans les rares occasions où la politique monétaire et budgétaire sont allées des directions différentes. »

Pour tester si les données empiriques confirment l’hypothèse monétariste ou keynésienne, le professeur Friedman s’appuyait sur deux épisodes où les politiques budgétaires et monétaires avaient pris des directions différentes.

Le premier était l’expérience japonaise du début des années 1990. Dans une tentative pour relancer l’économie japonaise, des relances budgétaires avaient été entreprises à répétition. En même temps, la politique monétaire demeurait « restrictive »… et l’économie n’est pas sortie de son marasme.

Le deuxième exemple du professeur Friedman était l’expérience américaine des années 1990. Lorsque le président Clinton est entré en fonctions, le déficit budgétaire structurel était de 5,3% du PIB potentiel. Au cours des huit années qui ont suivi, le Président Clinton a éliminé les déficits budgétaires et, en 2000, a quitté le pouvoir avec des comptes publics qui présentaient un excédent structurel de 1,5%.

On notera avec intérêt que c’est au cours des deux années (1999-2000) pendant lesquelles M. Summers était secrétaire au Trésor du Président Clinton que les États-Unis ont enregistré unexcédentstructurel de 0,9% et 1,5% du PIB. Ces années-là avaient été marquées par une politique budgétaire « restrictive » et une politique monétaire « plutôt laxiste »;  quant à l’économie, elle était en pleine phase ascendante.

Le Professeur Friedman concluait par la remarque suivante : « Il y a quelques années, j’ai recensé tous les épisodes que je pouvais trouver où les politiques monétaire et budgétaire allaient dans des sens opposés. Comme au cours de ces deux épisodes, la politique monétaire l’a uniformément emporté sur les politiques budgétaires. »

Nous pouvons réfuter plus avant le sophisme de la politique budgétaire en comparant comment ont évolué les écarts de production et les bilans structurels généraux de l’Etat.

Dans le tableau qui suit, la première colonne rend compte des écarts de production.

Lorsque l’écart est positif (ou négatif), la production réelle est plus grande (ou plus petite) que le potentiel de l’économie. La deuxième colonne du tableau est le bilan structurel général de l’Etat. Quand il est négatif (ou positif), il y a un déficit (ou un excédent) budgétaire. La troisième et la quatrième colonne enregistrent respectivement les variations de l’écart de production et celles du bilan structurel général de l’Etat. Un changement positif (ou négatif) de l’écart de production signale une expansion (ou une contraction) économique, et un changement négatif (ou positif) du bilan structurel général de l’état implique une stimulation (ou une consolidation) budgétaire.

Si les tenants de la politique budgétaire (les keynésiens) avaient raison, nous devrions observer une relation inverse entre les variations du taux de croissance de la production (la troisième colonne du tableau) et celles du solde budgétaire (la quatrième colonne du tableau). Or, de 2001 à 2016, si on en croit les projections du Fonds monétaire international, l’économie américaine ne se comporte pas de la manière dont les professeurs Krugman, Summers, et autres, le prétendent dans leur prosélytisme keynésien.
En fait, le nombre d’années où l’économie a réagi à la politique budgétaire de manière contraire à la représentation keynésienne a été plus du double de celles au cours desquelles l’économie a coïncidé avec le dogme keynésien. Une fois de plus, c’est le Professeur Friedman qui a raison.

Cependant, le problème qui détruit la confiance n’est pas celui de l’équilibre budgétaire. Le problème, c’est le niveau de dépenses publiques par rapport au PIB.

Depuis la prise de fonctions du président Eisenhower en 1953 jusqu’en 2008, dernière année de gouvernement du Président George W. Bush, les dépenses de l’état fédéral, en pourcentage du PIB, ont varié entre un minimum de 18,2% sous le Président Clinton et un maximum de 23,5% pendant la présidence de Reagan (voir le tableau ci-dessous).

Au cours du premier mandat du Président Reagan, les dépenses publiques ont eu beau battre de nouveaux records, le public est resté persuadé que « conservatisme fiscal » du président Reagan lui permettrait finalement de l’emporter et de maîtriser la croissance de l’Etat.

Ce n’est pas le cas, en revanche, avec le Président Obama, dont les discours et les actes ont convaincu le public que les dépenses publiques connaissaient un changement de régime. Le public est persuadé que les dépenses publiques record, enregistrées en pourcentage du PIB (24,4%) au cours de la première moitié du mandat du Président Obama, vont persister. Il pense que cela se traduira par davantage d’impôts, d’endettement public et / ou d’inflation.

Cela apparaît de manière évidente dans les débats sur les plans et scénarios budgétaires qui prévoient de faire rentrer le taux de dépenses publiques par rapport au PIB dans les limites d’après la Seconde Guerre mondiale (voir le tableau ci-dessous).

Si c’est la politique monétaire, et non la politique budgétaire, qui a le dessus – comme conclue le Professeur Friedman – alors qu’est ce que la politique monétaire est en train de nous dire? Deux choses :

- Premièrement, l’effondrement spectaculaire de la mesure globale de la quantité de monnaie aux États-Unis (voir le graphique ci-dessous) explique pourquoi les plans massifs de relance budgétaire du Président Obama n’ont pas fonctionné comme on l’avait claironné.

- Deuxièmement, les indicateurs monétaires généraux signalent également que la croissance récessionniste – des taux de croissance en-dessous de la tendance – va malheureusement se poursuivre.

Article repris du site de l’Institut Turgot avec l’aimable autorisation d’Henri Lepage