Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des autres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir.
Marcel PROUST
A la recherche du temps perdu,
Tome I. Du côté de chez Swann
Paris, Gallimard, Le Livre de Poche n° 1426-27,
p. 57 de mon édition de 1964
Une des deux pièces maîtresses permanentes en la salle 12 bis du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre est, vous ne pouvez plus l'ignorer maintenant, amis lecteurs, la Chambre des Ancêtres que Thoutmosis III, - important souverain de la XVIIIème dynastie qui, un temps, fut politiquement contraint, comme je l'avais expliqué en décembre 2009, de "partager" le pouvoir avec sa tante et marâtre la reine Hatchepsout -, fit ériger dans l'angle sud-est de la "Salle des Fêtes" de l'Akh Menou, à l'extrémité du temple d'Amon-Rê, à Karnak.
(Merci à François de m'avoir offfert ce cliché.)
Sauvée de la destruction du temps et des chaufourniers par l'archéologue et égyptologue français Emile Prisse d'Avennes en 1843, elle fut envoyée à Paris, à la Bibliothèque royale l'année suivante, avant d'être finalement hébergée par le Louvre dans le premier quart du siècle dernier.
Quant à l'autre monument majeur de cette petite salle 12 bis, je l'ai, rappelez-vous, signalé au passage : il s'agit du "Zodiaque" de Dendérah découvert par un officier de l'armée de Bonaparte lors de la Campagne d'Egypte, le général Desaix (prononcez "Deuzé") et ramené à Paris en janvier 1822 par un certain M. Lelorrain.
De ce planisphère circulaire gravé en relief jadis situé au plafond d'une chapelle osirienne elle même élevée sur le toit du temple d'Hathor, à Denderah, au risque d'en décevoir certains parmi vous, je n'en toucherai mot dans le cadre de mes actuelles interventions puisqu'il n'a strictement aucun lien direct avec le thème de l'exposition organisée ici ce printemps 2011, et uniquement dédiée à Prisse d'Avennes.
Toutefois, bon prince - ou bon "Passeur de mémoire", c'est selon -, je conseillerai ces quelques notes, sur le site internet du Musée du Louvre où ceux qui regretteront de ne pas me lire à ce sujet pourront glaner les premiers rudiments d'explications.
Revenons à présent, voulez-vous, à l'exposition proprement dite.
Après notre découverte, mardi dernier, de la partie Égypte de pierre uniquement centrée sur la "Chambre des Ancêtres", je vous propose ce matin de poursuivre notre visite par l'évocation de la seconde partie, que les concepteurs ont judicieusement intitulée Égypte de papier : bien évidemment, elle concerne toujours le monument, indubitable fil conducteur, mais elle est cette fois abordée sous l'angle de l'archivistique, c'est-à-dire par rapport aux nombreux textes de toute facture qu'elle a, en son temps, suscités.
Nettement plus "sévère", plus didactique puisqu'il faut lire et lire encore, cette partie du projet mettant en lumière des écrits datant du XIXème siècle, donnant à voir des manuscrits rédigés par certains des plus grands égyptologues de l'époque, "notre" Avesnois en tête bien sûr, fut loin de déplaire à l'amateur d'ouvrages anciens que je suis.
Oserais-je même une précision ; un aveu, pour l'écrire d'un mot ? Connaissant déjà pour les avoir ici maintes et maintes fois détaillées lors de mes précédents séjours depuis qu'elles ont été restaurées et les avoir quelque peu rencontrées au détour de mes études d'égyptologie et de mes lectures, ce sont moins les trois parois de cette chapelle que les manuscrits et autres ouvrages anciens de ces savants pionniers qui ont le plus retenu mon attention, que ce soit à la BnF - que j'évoquerai après les vacances scolaires -, ou, au Louvre, dans l'étroite salle 12 bis.
Un regret. Car j'en éprouve toujours un lors de ce type de manifestation, identique à chaque fois : ne pas avoir la permission d'enfiler des gants blancs pour manipuler, ouvrir, feuilleter et m'enfouir tout entier dans ce trésor de papier aux dimensions souvent peu communes.
Et ce regret se révèle en outre consubstantiel à un second, convoquant également un de mes sens : ne pas être à même, à cause de la vitre qui nous sépare, de les renifler, de les humer, d'inhaler l'odeur quasiment enivrante du papier vieux, de m'en saouler, comme quand je pénètre avec délectation dans la caverne aux richesses de certains bouquinistes de la galerie Bortier, rue de la Madeleine à Bruxelles, près de la gare centrale.
Ma propre madeleine proustienne, en quelque sorte ...
Toutefois, que mes lectrices se rassurent : je n'escompte pas changer d'eau de toilette pour me griser de la fragrance "Paper Passion", promise aux senteurs de livres anciens que l'infatigable Karl Lagerfeld désire, paraît-il, prochainement commercialiser.
D'effluves, point, ce matin, mais de précieux et très éloquents documents protégés dans les quelques vitrines de l'exposition que je voudrais maintenant, - je n'ai que trop tergiversé ! -, vous donner à voir.
Quelles sont donc ces merveilles provenant essentiellement du Département des Manuscrits de la Bnf que, par la force des choses, je n'ai pu découvrir qu'aux pages choisies par les concepteurs de l'exposition ?
Une première alcôve vitrée, dans le mur face à l'entrée, me met déjà en appétit :
j'y relève deux manuscrits préparatoires d'Émile Prisse d'Avennes en personne sur "L'Enlèvement de la Chambre des Ancêtres" ;
un autre, de 23 feuillets, qu'il a consacré à l' Etude du Canon royal de Turin, papyrus qui propose également une liste de souverains égyptiens ; un dernier dans lequel il se penche et
s'épanche sur les noms de rois et de dynasties.
Deux autres ouvrages d'égyptologues français sont ici également mis à l'honneur : celui de Nestor L'Hôte traitant des cartouches royaux
et celui d'Auguste Mariette à propos de la "Salle des Ancêtres" : mémoire resté inédit constitué de 40 feuillets de réflexion générale avec commentaires et bibliographie.
Exposée aussi dans cette vitrine, une lettre prêtée par la British Library de Londres, rédigée par le père de l'égyptologie britannique, Sir John Gardner Wilkinson, dans laquelle il explique à son correspondant qu'il tente d'établir une chronologie relative des noms royaux en se référant à la liste de Karnak.
Enfin, provenant de la Bibliothèque centrale des Musées nationaux à Paris, un dernier bijou : le deuxième tome du Königsbuch des Alten Ägypter, publié à Berlin en 1858 par le fondateur de l'égyptologie allemande Karl Richard Lepsius dans lequel il dresse la liste généalogique des monarques de la XIIème dynastie à partir de trois sources essentielles : la Canon royal de Turin, la Table d'Abydos et, bien évidemment, la "Chambre des Ancêtres" de Thoutmosis III.
Tout à côté, sur la droite, à l'extrêmité de la même paroi, dans une vitrine encastrée qui,
habituellement, contient un fragment de chapiteau de colonne avec le visage de la déesse Hathor (D 32), trois documents d'importance pour l'histoire du monument qui nous occupe : à
gauche, le volume XVI de la "Correspondance politique, Egypte", conservé au Ministère des Affaires étrangères,
ouvert à la lettre datée du 18 mai 1844 adressée au ministre de l'Instruction publique par le marquis de La Valette, Consul général de France en Egypte ; document qui rend officiel l'acheminement vers la France des 27 caisses contenant les blocs de la "Chapelle des Ancêtres".
Dans la partie droite de cette même vitrine, Notices des Monuments exposés dans le Cabinet des Médailles et dans la Bibliothèque royale,
ouvrage que Théophile Marion du Mersan (1780-1849), Conservateur adjoint au Cabinet des Médailles et Antiques de la Bibliothèque royale, publia en 1832.
Et entre les deux,
deux feuillets correspondant au brouillon raturé d'un rapport manuscrit que rédigea en 1917 Ernest Babelon, alors Directeur du même Cabinet des Médailles, aux fins d'annoncer le transfert du célèbre monument au Musée du Louvre.
Contre le mur opposé, en cette petite salle 12 bis du Département des Antiquités égyptiennes dans laquelle aujourd'hui encore nous sommes allés, les unes après les autres, de découvertes en découvertes les plus captivantes, les plus émouvantes aussi parfois, d'autres tables-vitrines présentent elles aussi de très intéressants documents à propos de l'histoire de la "Chambre des Ancêtres".
C'est la raison pour laquelle, une dernière fois, je vous convie à m'y accompagner le 28 juin prochain, de manière à, non seulement poser le point final à cette visite de l'exposition présentée par le Musée du Louvre mais, surtout, sur un plan purement événementiel, à suivre le cheminement du monument en France, au XIXème siècle, à travers quelques exemples d'une correspondance détaillée, ainsi que l'un ou l'autre article dans la presse de l'époque.
A mardi, j'espère, pour ensemble partager l'enthousisame de rencontrer tant de trésors réunisà notre intention ...