La planète des singes, de Pierre Boulle (SSW-V)

Publié le 23 juin 2011 par Acdehaenne

Y a-t-il des êtres humains ailleurs que dans notre galaxie ? C’est la question que se posent le professeur Antelle, Arthur Levain, son second, et le journaliste Ulysse Mérou, lorsque, de leur vaisseau spatial, ils observent le paysage d’une planète proche de Bételgeuse : on aperçoit des villes, des routes curieusement semblables à celles de notre Terre. Après s’y être posés, les trois hommes découvrent que la planète est habitée par des singes. Ceux-ci s’emparent d’Ulysse Mérou, et se livrent sur lui à des expériences. Il faudra que le journaliste fasse, devant les singes, la preuve de son humanité...


Pour inaugurer notre participation au défi lancé par Lishbei, je vous propose de redonner à La planète des singes ses galons de Planet Opera, injustement perdus suites aux adaptations cinématographiques, pas forcément mauvaises par ailleurs, du roman de Pierre Boulle. C’est aussi l’occasion d’élaborer une petite grille de lecture, afin de s’y retrouver. Car, qu’est ce qui caractérise les romans de Space Opera, et de Planet Opera ? Les deux genres peuvent-ils cohabiter ? Cohabitent-ils avec la même intensité ? Ce que les protagonistes vivront, leurs affrontements entre vaisseaux autant que les intrigues, fera pencher la balance. Il faudra donc un vaisseau (1), une place conséquente accordée à l’espace dans la narration (2) et un ou plusieurs événements significatifs (3), justifiés par l’histoire (4). Le Planet Opera est marqué par l’exploration d’une planète inconnue. Les découvertes que les protagonistes y font, leurs manières d’y donner du sens, les autochtones rencontrés, seront pris en compte. Ainsi, ils devront atterrir sur une planète originale (I), en découvrir les caractéristiques (II) et les individus qui y vivent (III), a fortiori s’ils sont différents des explorateurs (IV).

Prêt-e-s pour ce premier voyage ?

A bord de leur vaisseau spatial, alors qu’ils passent des vacances oisives, Jinn et Phylis interceptent la version future de la « bouteille à la mer ». Le message que le récipient contient n’est ni plus ni moins qu’un témoignage. Mais un témoignage d’un genre particulier. Dans cette longue lettre, Ulysse Mérou raconte comment, accompagné d’un équipage à l’origine conséquent, il a atterrit sur la planète Soror, baptisée ainsi à cause de sa ressemblance avec leur planète d’origine : la Terre. Or, Soror est à des années-lumière de la planète d’origine. Situé dans le système de Bételgeuse, elle présente toutes les caractéristiques de la Terre. En ceci, le dépaysement est peu flagrant. Leur premier contact avec un représentant de cette planète n’est pas dépaysant non plus. Il s’agit d’une jeune femme, apparemment dépourvue de sens pudique selon les notions terriennes. Cependant, bien qu’humains, ou en tout cas s’y apparentant, Nova est très différente d’Ulysse et des autres voyageurs. Outre sa nudité, elle ne parle pas, elle ne sourit pas. Bref, elle se comporte comme un animal sauvage. Alors que les voyageurs tentent de l’apprivoiser, ils sont confrontés à une véritable battue méthodique. Nombre de leurs hôtes, mais aussi de l’équipage, sont abattus et certains, dont le narrateur, capturés. Leurs ravisseurs possèdent les traits simiesques. Soror s’avère régie par des singes. Toutes sortes de singes, selon les normes terrestres, qui se distribuent les rôles dans la hiérarchie sociale de la planète. Les hommes sont au mieux considérés comme des bêtes de cirque ou de zoo, sinon comme des cobayes. Au pire, ils sont exécutés. Heureusement pour Ulysse, il tombe bien et bénéficie de la bienveillance de Zira et Cornélius.

Jusqu’ici, l’histoire ressemble effectivement à ce qu’en ont fait les réalisateurs qui se sont frottés au roman de Pierre Boulle. Or, « la planète des singes » n’est pas la Terre. Il s’agit bien là d’une planète originale (I), qu’Ulysse apprend à connaitre (II). Il y découvre son peuple, apprend ses coutumes et sa langue, voire se prend d’affection pour certains (III). Certes, ses origines le rappellent toujours vers la Terre. L’Espace est bien présent, notamment en introduction et à la conclusion du roman (1). Qui plus est, les voyages y sont ordinaires. Cependant, il ne constitue pas vraiment l’intérêt principal du roman, servant davantage à lui donner un cadre en terme d’époque. Il s’agit donc clairement d’un Planet Opera à part entière. D’un genre particulier en ceci que le parallèle avec notre planète est flagrant a fortiori à sa fin, qui n’a rien à envier au tragique du film de Schaffner. 

La planète des singes est un roman rondement mené. Plein de rythme, aux intrigues peu nombreuses mais attachantes. On est vite prit dans les mailles de Pierre Boule et, pour moi ayant vu d’abord ses adaptations cinématographiques, prit dans la recherche de zones de contact entre les différentes relectures. Le roman garde sa dimension cynique. En effet, comme la plupart des romans de SF, La planète des singes parle de nous et de notre société. On y retrouve les critiques sur le rejet de la différence, sur l’obscurantisme face au progrès et même parfois les manœuvres pour maintenir au pouvoir des gens peu recommandables. Ulysse avance l’hypothèse des dons d’imitation des singes, sur Terre. Manifestement, les travers humains traversent l’univers. Notamment à propos de notre propension à expérimenter des médicaments, ou avec un prétexte scientifique, sur d’autres êtres vivants. Or, assister à ce genre d’expérimentation sur des individus proches de nous frappe incontestablement.

Cependant, quelques passages me gênent. Ils ne sont pas littéraires mais plutôt moraux. Je me garde bien d’attribuer une idéologie à Pierre Boulle. En revanche, les comparaisons avec « nos sauvages qui vivent dans les forêts », ou certaines considérations très proches du darwinisme social (pour ne pas dire du racisme) me gênent aux entournures.

Note :

Planet Opera :

Space Opera : 

Les Murmures.