La date fatidique du dépôt des candidatures pour les primaires du Parti Socialiste avance à grands pas. A partir du 28 juin et jusqu’au 13 juillet, les ténors du PS pourront en effet officiellement se lancer dans la grande course d’une élection présidentielle qui devrait donc comporter au moins trois tours, voire quatre si le premier tour des primaires ne sacre aucun prétendant. Que peut-on alors dire aujourd’hui de l’équilibre des forces entre les différents candidats plus ou moins annoncés ?
Un duel annoncé
D’abord que l’on connaît a priori les deux principaux protagonistes qui devraient s’affronter en octobre prochain. La chute de Dominique Strauss-Kahn, favori des primaires depuis que celles-ci font l’objet de sondages, a en effet laissé face-à-face deux personnalités : François Hollande et Martine Aubry. C’est ce qui ressort de la dernière vague de « La Course 2012 » publiée par CSA pour BFM TV, RMC et 20 Minutes : à la question de savoir quelle personnalité les votants pour les primaires préféreraient voir investie pour 2012, 35% répondent Martine Aubry (+12 depuis mai) et 34% François Hollande (-1) alors que le recul de Ségolène Royal (13%, -7) semble indiquer que les primaires seront bel et bien un duel. Quand aux plus « petits » candidats, visant probablement plus 2017 que 2012, ils sont bien loin derrière : 4% pour Arnaud Montebourg, 3% pour Pierre Moscovici, 3% pour Manuel Valls.
Ce sondage, qui n’est pas une intention de vote mais une préférence de choix, doit être pris avec précaution en raison de la grande incertitude vis-à-vis du corps électoral de la future primaire. Alors que l’IFOP interroge les sympathisants de gauche pour des résultats très proches (voir la dernière vague), CSA a en effet choisi de n’interroger que les répondants déclarant aller certainement ou probablement voter aux primaires, soit 34% des inscrits sur les listes électorales. Les résultats doivent donc être analysés avec prudence, surtout quand Martine Aubry et François semblent si proches, car il apparaît peu probable que 34% des inscrits (plus de 10 millions de Français) se déplaceront bien en octobre pour aller voter. Les sondeurs savent en effet depuis longtemps que l’intention d’aller voter est systématiquement sur-déclarée, les répondants rechignant toujours à se déclarer abstentionniste, comportement perçu comme incivique.L’intérêt de ce sondage réside donc dans l’équilibre général des forces qu’il présente, Martine Aubry et François Hollande s’étant en effet installés dans l’esprit des Français comme les deux seuls recours pour 2012. La position de Ségolène Royal semble en effet de plus en plus précaire : disposant toujours d’un bon socle dans les classes populaires (en 1ère position des préférences des ouvriers avec 31%), ses scores très faibles chez les CSP+ (5% chez les cadres notamment) semblent à l’opposé confirmer sa difficulté à rassembler ainsi que son isolement au sein du parti depuis 2007. Au-delà de la perspective de la primaire, elle peine d’ailleurs à décoller dans les intentions de vote, restant assez loin derrière les scores réalisés par la première secrétaire du PS et le député de la Corrèze : elle ne réalise en effet que 15% des intentions de vote au premier tour dans le même sondage CSA (hypothèse Hulot) quand Martine Aubry réalise 23% et François Hollande 27%. Un score qui serait d’ailleurs rédhibitoire car inférieur à celui de Marine Le Pen (16%) et Nicolas Sarkozy (23%) et donc synonyme de nouveau 21 avril.
Avantage Hollande ?
Cela dit, il est beaucoup plus difficile d’imaginer quel pourrait être véritablement le rapport de forces en cas de second tour Hollande – Aubry : le sondage CSA nous indique un avantage à François Hollande (51% contre 42%, 7% de NSP), tout comme la dernière vague de l’IFOP (52% contre 48%). Là encore, l’incertitude sur le corps électoral des primaires doit être gardée à l’esprit mais ces résultats n’en sont pas moins une information valable. Le rapport de forces semble en effet s’être inversé depuis quelques mois puisque Martine Aubry l’emportait par 57% contre 43% en janvier dans la première vague de « La Course 2012 » réalisé par CSA pour BFM TV, RMC et 20 Minutes. Ce retournement est d’autant plus intéressant qu’il s’inscrit pourtant dans un contexte de relatif isolement de François Hollande au sein du PS et de ralliement des principaux responsables pour la probable candidate Martine Aubry.Les intentions de vote pour le premier tour de 2012 semblent d’ailleurs jouer dans le même sens : comme cité plus haut, François Hollande réalise 27% dans le sondage CSA (+4 depuis mai) alors que Martine Aubry est à 23% (=) dans l’hypothèse Nicolas Hulot. L’écart se resserre un peu si Eva Joly est la candidate d’Europe Ecologie / Les Verts : 27% contre 25,5%. Comme souvent, cette prédominance dans les intentions de vote semble placer le candidat concerné en position de force en cas de primaires, les futurs votants ayant tendance à plébisciter le candidat le mieux placé en vue de l’élection présidentielle. C’est bien le cas ici puisque 52% des futurs votants à la primaire voient François Hollande comme le candidat le mieux placé pour battre Nicolas Sarkozy, contre 29% pour Martine Aubry et 11% pour Ségolène Royal. Autre question révélatrice, posée cette fois à tous, 44% des Français voient l’ancien premier secrétaire pour celui ayant le plus de chances de remporter la primaire (devant Martine Aubry, 30%), la hiérarchie étant la même chez les futurs votants (48% contre 33%) et les sympathisants du PS (50% contre 36%). François Hollande serait-il alors déjà installé dans une position de candidat providentiel ?
Un combat encore flou
Pas si sûr car la séquence des primaires vient en fait juste de s’ouvrir et plusieurs points restent encore en suspens. N’oublions pas pour commencer que la campagne de Martine Aubry est tout sauf lancée, sa déclaration d’intention toujours à venir pouvant marquer un tournant dans un duel que seul François Hollande est pour l’instant en train de jouer. Si ce dernier profite pour l’instant d’un effet d’entrainement grâce à de bonnes intentions de vote pour 2012, Martine Aubry pourra elle peut-être capitaliser sur une image marquée plus à gauche. 41% des futurs votants aux primaires la voyaient ainsi dans le dernier sondage CSA comme la candidate la plus proche de leurs idées et de leurs valeurs, devant François Hollande (34%) et Ségolène Royal (14%). Reste à savoir qui seront les électeurs des primaires, car si on la trouve de loin la plus proche de ses idées et des ses valeurs à l’extrême-gauche (53% contre 23% pour Royal et 20% pour Hollande), ce n’est pas le cas chez les seuls sympathisants du PS (44% pour Hollande, 39% pour Aubry, 11% pour Royal), visiblement peu sensibles aux signaux des grands barons du PS en faveur de Martine Aubry.On aurait par ailleurs tort de trop analyser les prétendues différences d’image entre les deux favoris tant ces différences relèvent pour l’instant plus d’une construction aléatoire que d’un véritable clivage idéologique. Des différentes enquêtes publiées sur l’image comparée des deux, on peine parfois à trouver ce qui différencie fondamentalement l’un de l’autre. Si semble se dessiner une plus grande proximité de Martine Aubry avec l’électorat de gauche traditionnel alors que François Hollande serait lui plus apte à capter au centre-gauche, on doit se garder à ce stade de toute analyse stratégique ou idéologique définitive. Les sympathisants de gauche ne s’y trompent d’ailleurs pas car ils semblent les apprécier autant l’un que l’autre, avril 2012 étant encore trop loin pour tout parier sur l’un des deux. Le dernier Observatoire CSA – Les Echos publié en juin les donnait ainsi à 74% (Martine Aubry) et 71% (François Hollande) d’image positive, avec des hausses respectives de +12 et +13 par rapport à mai. Plus intéressant encore, alors que l’on évoque parfois le prétendu déficit de Martine Aubry pour incarner la fonction présidentielle, les sympathisants du PS n’ont apparemment pas le même avis : 80% estiment dans un sondage Ipsos publié en juin qu’elle a la stature présidentielle, soit exactement le même score que pour François Hollande.
Quel électorat pour 2012 ?
Au-delà de ces clivages d’image, peut-on alors affirmer que Martine Aubry et François Hollande ont des électorats potentiels différents pour 2012 ? Les résultats constatés semblent plutôt infirmer cette hypothèse tant on retrouve les mêmes forces et les mêmes faiblesses*. Au rang des forces on relève des intentions de vote très élevées chez les CSP+ (38% chez François Hollande, 30% chez Martine Aubry), les plus diplômés (36% pour Hollande, 30% pour Aubry) et logiquement les sympathisants socialistes (67% pour Hollande, 62% pour Aubry). Des logiques de vote similaires donc, même si elles jouent plus intensément pour François Hollande. Leurs faiblesses sont également les mêmes, notamment chez deux populations pourtant opposées : les plus jeunes (21% chez les 18-24 ans pour Hollande, 16% pour Aubry) et les plus 75 ans (15% pour Hollande, 13% pour Aubry), électorat très largement acquis à Nicolas Sarkozy (45% et 40%). Plus que la captation de ces derniers, la difficulté à capitaliser chez les plus jeunes est une question de fond pour le PS, surtout quand on observe qu’environ 20% d’entre eux votent pour un des trois candidats de la gauche radicale, dont 12% pour un candidat du NPA qui n’est pourtant même pas cité.
Le cœur de l’électorat socialiste est donc aujourd’hui actif et diplômé, souvent CSP+ et/ou salarié du public : François Hollande réalise d’ailleurs 37% des intentions de vote chez ces derniers, Martine Aubry 29%, signe que les fonctionnaires restent une clientèle privilégiée pour le PS. Un profil de classe moyenne médiane voire supérieure qui s’éloigne de plus en plus des catégories populaires qui ont longtemps porté la gauche au pouvoir. Alors que Ségolène Royal garde elle toujours un certain crédit chez les ouvriers, les deux favoris du PS sont eux en retrait. François Hollande fait certes tout de même 22% chez ceux-ci mais c’est 9 points de moins que Marine Le Pen (31%), le constat étant encore plus marqué pour Martine Aubry (18% contre 31%). Le candidat investi pour 2012 ne pourra probablement pas faire l’économie d’une réflexion à ce sujet, l’éloignement croissant des classes populaires étant à termes un problème idéologique et politique fondamental pour le Parti Socialiste et la gauche en général.C’est en tout cas un point crucial sur lequel on a bien du mal à différencier François Hollande de Martine Aubry, la posture plus « sociale » de cette dernière n’ayant pour l’instant pas de véritable écho dans les intentions de vote des classes populaires. L’entrée en campagne de la première secrétaire se fera-t-elle alors sous le signe de la reconquête de celles-ci ? Le duel annoncé provoquera-t-il les mêmes divisions que lors de la campagne interne de 2006 ? François Hollande rejouera-t-il la partition de son ancienne épouse en prenant l’opinion à témoin contre la direction du parti ? Combien de Français iront voter à ces primaires et qui seront-ils ? Tant de questions pour l’instant sans réponse et qui devront être résolues pour que l’on puisse vraiment commencer à faire des pronostics fiables sur l’issue des primaires.
*Les chiffres cités proviennent des hypothèses avec Nicolas Hulot en candidat d’Europe Ecologie / les Verts.