Trajectoire de Barney Wilen

Publié le 24 juin 2011 par Les Lettres Françaises

Trajectoire de Barney Wilen

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Barney Wilen naît en mars 1937 à Nice d’une mère française et d’un père juif américain. En 1940, la famille quitte la France pour les Etats-Unis où elle restera six ans. « La terre d’enfance de Barney sera donc l’Amérique au son de la langue et de la radio qui débite à longueur de journées chansons populaires, standards et rythmes jazzés », résume Yves Buin, qui a consacré une biographie au saxophoniste, intitulée Barney Wilen, blue melody.

Bande originale du film de Louis Malle, Ascenseur pour l'échafaud

Est-ce cette familiarité avec le terreau du jazz, cette proximité naturelle, héritée, avec les Etats-Unis, qui lui donnent une longueur d’avance ? Le musicien connaît les débuts d’un prodige. Imprégné de bebop, ébloui par la musique de Charlie Parker et de ses disciples, il excelle dans cet idiome, avec une dextérité et une maturité qui forcent l’admiration. A 20 ans seulement, Miles Davis l’appelle pour enregistrer la bande originale du film de Louis Malle, Ascenseur pour l’échafaud. En compagnie de Kenny Clarke, Pierre Michelot et René Urtreger, il grave l’un des albums les plus fameux de l’histoire du genre. « Seule la rétrospective autorise à situer ce qui a pu se passer, et à donner à cette formation de circonstance un statut légendaire, puisque ceux qui en ont été en furent auréolés définitivement. Leur inscription dans cet événement est due à la magie du contact avec Miles, étant donné que de 1945 à 1991, tous les faits et gestes de celui-ci, accomplissements et retraits, avancées et incertitudes, appartiendront à l’histoire du jazz ». Pourtant, Barney Wilen est conscient de la vanité d’une confrontation avec le maître Charlie Parker, qui vient de s’éteindre. Son héritage est encore incandescent. Wilen sait instinctivement qu’il est inutile de s’y brûler. Au cours des années qui suivront ce coup d’essai et de maître, il explorera le champ immense du jazz, dans toute la diversité de ses expressions. Il est un des piliers de la florissante scène française, et tous les musiciens américains qui viennent se produire dans les clubs de la capitale se le disputent : Bud Powell, Art Blakey, Benny Golson… Le « cool » sembla avoir été créé pour lui, pour son phrasé élégant et maîtrisé : tout au long de sa carrière, son art de la ballade lui servira de point d’ancrage, de source à laquelle se retrouver, entre deux expérimentations. Car s’il y a bien quelque chose qui définisse Wilen, c’est sa capacité à refuser l’immobilisme ou la répétition, sa volonté forcenée de défricher. Dès février 1966, dans une interview avec Philippe Carles et Jean-Louis Comolli, pour Jazz magazine, reproduite en annexe du livre, le saxophoniste explique : « J’ai eu le sentiment de piétiner dans le bop il y 4 ou 5 ans, après avoir enregistré la musique des Liaisons dangereuses. Je me suis senti pris dans un engrenage. J’avais l’impression que tout sortait d’un même moule. Ca devenait une musique stéréotypée. »

Barney Wilen

Sa carrière sera désormais ponctuée d’absences et de voyages dont il tire les plus audacieuses expériences. Le destin tragique de Lorenzo Bandini (1968) incorpore des bruits du Grand Prix automobile de Monaco au cours duquel le coureur italien perd la vie ; Moshi (1973) lui permet de marier free jazz et musique africaine ; Wild dogs of the Ruwenzori lui offre la possibilité de se confronter à l’électro-acoustique…  »Que retenir, sinon que Barney continue d’exister tout en prenant le risque  d’improbables distributions qui condamnent ses albums au pilon ? En a-t-il cure ? » Peu de musiciens auront autant méprisé leur carrière et le succès. C’est presque un hasard si La note bleue le ramène au devant de la scène en 1986, à la faveur de la bande dessinée de Loustal et Paringaux. En 1990, plus de trente ans après la session originale, Barney Wilen se confronte de nouveau à quelques-uns des morceaux d’Ascenseur pour l’échafaud, à l’occasion d’un album, Movie themes from France, qui reprend des thèmes du cinéma français, accompagné du trio de Mal Waldron : « Florence sur les Champs-Elysées » et « Générique Julien dans l’ascenseur » : « La gageure est grande de revenir à la musique de Miles et de jouer en solo sur « Florence » tel que celui-ci le faisait avec ces pathétiques riffs et ce son bluesy qui ont inscrit ce titre comme le thème emblématique de la séance de 1957. Barney s’y emploie au soprano. Loin d’être simple et sage disciple, il laisse exprimer un envoûtement qui, paradoxalement, sur ce morceau nocturne, se fait incandescent ». En mai 1996, Barney Wilen disparaît, rongé par le cancer. Il aura été, jusqu’au bout, un personnage singulier, irréductible à un courant ou à un genre. « Il était égal à lui-même en son absence de présomption quant à une histoire qui serait la sienne et risquerait de le confiner dans des cadres étroits, lui qui n’avait pour loi que celles de l’errance et de l’imprévu ».

Pour finir, une anecdote,  rapportée au début de l’ouvrage d’Yves Buin, qui dit la place particulière occupée par Barney Wilen dans l’histoire de sa musique. A 18 ans tout juste, le saxophoniste participe au concours des amateurs : impressionné par sa maturité et son aisance, le jury lui attribue « la distinguée et éphémère coupe Jazz Cool, uniquement décernée à cette occasion ».

L’écriture d’Yves Buin, par son élégance et sa précision – par sa justesse – , rend hommage aux qualités de l’artiste que fut, sa vie durant, Barney Wilen.

Sébastien Banse

Barney Wilen, Blue melody, par Yves BUIN.
Ed. Le Castor Astral, avril 2011, 126 pages, 12 euros.

YVES BUIN, Barney Wilen Blue melody