A tort ou à raison, aux yeux de beaucoup de français, il n’y a jamais eu autant de désordres dans l’organisation des examens nationaux cette année. Rappelons en effet, tant le traitement de l’information semble si dépourvu de mémoire, que ces fuites dont les médias nous rebattent actuellement les oreilles avec si peu de discernement surviennent après d’autres faits scolaires du même tonneau :
1er juin : l’ultime épreuve de plusieurs milliers d’étudiants en 6e année de médecine était annulée du fait d’erreurs relevées successivement dans l’énoncé. Le jury a décidé de faire passer l’épreuve de réserve l’après-midi. Au cours de cette session, un retard lié à des problèmes techniques dans un centre a provoqué de l’agitation dans plusieurs sites. Certains candidats ont alors pris connaissance du sujet et l’épreuve a été suspendue. Elle s’est tenue finalement le 14 juin. (source)
10 juin : l’épreuve écrite du BTS Négociation et relation client (NRC), qui avait eu lieu du 9 au 11 mai à Villepinte (Seine-Saint-Denis), a été annulée en raison d’«irrégularités», après une enquête administrative ouverte en mai. Des professeurs avaient refusé de corriger les épreuves, dénonçant des livres posés sur la table, des «va-et-vient incessant aux toilettes», une «corruption» de surveillants et des «usurpations d’identités».
15 juin : l’épreuve de rattrapage au concours de professeur des écoles n’a pas pu se dérouler à l’Université Bretagne occidentale (UBO), les sujets étant introuvables. Les neufs candidats ont quitté la salle d’examen. (source).
Que le gouvernement ait préféré traiter cet épisode bachelier qui en suit d’autres aussi exclusivement sur le mode judiciaire en dit long sur son sens des responsabilités et des priorités. Je ne dis pas qu’il ne faille pas confronter les auteurs à leurs responsabilités, et à une sanction à valeur pédagogique et éducative, entendons nous bien. Mais ne s’agit-il pas là de délits somme toute mineurs, bien que les conséquences en soient effectivement si néfastes, par l’effet potentiellement démultiplicateur d’Internet ?
N’était-il pas plus urgent de s’interroger sur l’organisation même du Bac et de ses corollaires, l’absence de moyens en personnel, matériel et locaux eux-mêmes inhérents au rouleau compresseur dela RGPP qui impose le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux ? Ne se posera-t-on donc jamais de questions sur le sujet ? Ce débat est-il devenu tabou au point qu’il faille systématiquement traiter sans autre forme de procès stalinien ses détracteurs de gauchistes rétrogrades et de bolchéviques archaïques comme le fait si volontiers une certaine droite sarkozyste ?
Va-t-on continuer ainsi encore longtemps sur le chemin d’une judiciarisation à l’américaine de la société française, toxique pour tous ?! Alors qu’il n’y a jamais tant eu besoin de réflexion et de concertation collective… notamment pour mettre en place un vrai projet de société, puisqu’on sent bien qu’une page est en train de se tourner, si douloureusement…
Mais pour en revenir à l’affaire qui nous préoccupe ici, présenter dans les médias et traiter sur le terrain cette histoire en déployant des moyens considérables est à mes yeux disproportionnés. Comme s’il s’agissait d’un casse de grande envergure opéré par une bande de dangereux malfaiteurs qui auraient assassiné plusieurs otages, au point que certains médias se sentent obligés de parler de l’arrestation victorieuse du « cerveau présumé des fuites » ! Voilà qui me ferait presque sourire si par ailleurs le drame pour certains bacheliers n’était si réel.
En outre, Luc Chatel, selon l’avis d’une majorité, a pris la plus mauvaise décision qui soit : afin de contenter un seul et de châtier quelques uns, mécontenter la plupart : les milliers de candidats honnêtes, leurs parents, les associations d’élèves… et une bonne partie de la société civile qui ne comprend pas que le fait de diffuser la photo du sujet de l’un des exercices sur un site aussi peu connu puisse engendrer une telle punition collective. Au point que les associations de parents d’élèves envisagent de porter l’affaire devant les tribunaux. Ce qui aurait du se circonscrire de manière plus discrète et proportionnée devient soudain un combat national de tous contre quelques uns (ou l’inverse). Cela est absurde, et ne se justifie que par la satisfaction d’orgueils démesurés… Voire pathologiques, pour lesquels avoir raison à tout prix est plus important que l’intérêt national.
Je terminerai par l’anecdote suivante, relevée sur France Info ce matin. Maurice Szafran insistait (à juste titre) sur la valeur irrationnelle de ce diplôme bien français qui tout en représentant un symbole si puissant n’est plus un sésame pour rien, surtout en période de chômage de masse atteignant même les surdiplômés. A un moment de la démonstration, il utilise l’argument selon lequel si cette histoire prend de tells proportions, c’est que « Le Bac, ça vous fait un homme » en prenant la peine de rajouter : «qu’on soit un homme ou une femme, peu importe ! ». Belle perle de machisme ! Il y a encore bien des efforts à faire en termes de féminisme et de parité… Le bac ne serait-il donc pas une étape initiatrice pour les femmes comme pour les hommes ? Si les chroniqueurs du matin n’étaient pas si souvent des hommes, peut-être n’y diraient-t-on pas autant de conneries ? Quoique. Faut voir…
En tous les cas, cela m’a inspiré un sujet de bac pour l’année prochaine : en vertu d’une certaine boutade, « la femme est-elle un homme comme les autres ? ». ( humour ! pas taper ! )