La décision d'annulation de l'échange entre constitutionnalistes est attribuée au conseiller spécial du chef de l'Etat.
Dans le cadre de la mise en visibilité de la recherche à l'Institut supérieur de management public (Ismp), la Division de la formation supérieure et de la recherche organise, selon une périodicité mensuelle, « Les Mardis de l'Ismp ». Il s'agit d'une plateforme de valorisation des recherches en cours, menées à des degrés et dans des espaces divers. L'idée est d'inciter les enseignants de l'Institut à faire connaître leurs travaux tout en ouvrant l'Ismp sur l'extérieur.
La conférence de ce mois de juin devait exceptionnellement avoir lieu hier jeudi sur la thématique de l'éligibilité de Paul Biya à la prochaine élection présidentielle. La direction de cette école a choisi comme intervenants «trois constitutionnalistes purs» : Joseph Marie Bipoun Woum, Joseph Owona, et Magloire Ondoa. Selon des informations puisées à très bonnes sources, les trois universitaires chevronnés étaient disposés à se rendre à l'Ismp pour échanger avec les étudiants sur ce sujet d'actualité brûlante.
Curieusement, à la dernière heure, la direction de l'école s'est rétractée. Joint au téléphone hier, le Pr. Begne, l'un des responsables de cette école, a indiqué dans un premier temps qu'un débat était programmé à l'Ismp hier sur la gouvernance électorale. Mais, il n'a pas pu se tenir parce que certains panélistes ont fait valoir des contretemps. Dans un second, il fera savoir au reporter de Mutations que le sujet en débat était plutôt relatif à la Fonction publique camerounaise...
De sources introduites, l'instruction d'annuler l'échange d'hier est venue de Luc Sindjoun, le conseiller spécial du président de la République, en sa qualité de président du Conseil d'administration de l'Ismp. «Dans le sérail, l'on estime que les intellectuels à qui le pouvoir a demandé d'intervenir dans les médias publics pour justifier l'éligibilité du chef de l'Etat n'ont pas convaincu. En revanche les voix favorables à l'inéligibilité se font beaucoup plus entendre. Certains pontes du pouvoir subodorent simplement que cette thèse est fausse, mais ils n'ont pas d'arguments poignants à faire valoir », explique une source crédible.
Qui affirme que « le pouvoir a subodoré que les sorties des intellectuels invités au débat ne devaient pas forcément militer en leur faveur ». Joseph Owona, l'un des conférenciers invités a répondu de manière alerte : « Je suis à Maroua depuis une semaine, je ne suis pas intéressé par un tel débat ». Quant à Luc Sindjoun, le conseiller spécial du chef de l'Etat, à qui la décision d'annulation de la conférence-débat d'hier est attribuée, il a déclaré : « Ce n'est pas mon domaine. Le Pca ne s'occupe pas de la gestion quotidienne de l'école \[l'Ismp, ndlr]. C'est du domaine de la direction générale ».
Dispositions transitoires
Le débat sur l'éligibilité du chef de l'Etat à la prochaine élection présidentielle a été déclenché par la chronique juridique signée d'Alain Didier Olinga le 21 avril dernier dans votre journal, sous le titre « Election présidentielle, la nouvelle règle du jeu ». après une évocation des modifications apportées à la Loi sur Elections Cameroon (Elecam), le chroniqueur s'interrogeait : « la révision constitutionnelle du 14 avril 2008 peut-elle avoir eu pour effet, et si oui sur quelle base, de changer la nature du mandat obtenu du peuple en 2004 sous les auspices de la clause constitutionnelle de limitation des mandats, en un mandat renouvelable indéfiniment, en l'absence de toute précision de cette nature dans le texte constitutionnel même, à l'instar de ce qui avait été prudemment fait dans les dispositions transitoires lors de la révision du 18 janvier 1996 ? Evidemment, la question intéresse plus les amateurs des controverses doctrinales que les états-majors politiques qui se préparent déjà, sans états d'âme juridiques, à battre campagne...».
Dans les colonnes de Cameroon tribune, en mai dernier, Narcisse Mouelle Kombi, directeur de l'Institut des relations internationales du Cameroun et agrégé de droit public et de sciences politiques, indiquait que la « prétendue inéligibilité du président Paul Biya », relève de « la mauvaise foi ou d'un activisme pseudo-juridique ». Le dernier sujet débattu dans le cadre des « Mardis de l'Ismp » portait sur « le management des organisations sportives : le cas du football », avec comme invité Albert Mbida et Joseph Owona. L'annulation du débat d'hier va certainement raviver la polémique sur la constitutionnalité de la candidature de Paul Biya à l'élection présidentielle. Au moment où des sources soutiennent qu'un projet de modification de la Constitution de 2008 aux fins d'y inscrire les fameuses « dispositions transitoires » est depuis peu sur la table de Paul Biya.