Les 200 artistes camerounais qui ont serré la main de Paul Biya le 21 juin dernier à l'intérieur de sa concession privée, ceux qui ont partagé avec le président de la République et son épouse une collation dans leur convivialité familiale, ces artistes-là n'oublieront jamais ces moments certainement historiques de leur vie : avoir pénétré le cadre familial des Biya.
On ne connaît pas à Paul Biya une grande chaleur dans ses relations humaines ; il n'est pas non plus un habitué des bains de foule, même à des circonstances exceptionnelles telles que lors des campagnes électorales. Quelle mouche a donc piqué le président de la République pour qu'il ouvre sa résidence privée et communier avec un public réputé inorganisé, difficile à contrôler ? Comment expliquer que, depuis plus d'un an, alors que différentes couches sociales y compris les militants du Rdpc, parti politique dont Paul Biya est le président national, rédigent de milliers de motions pour témoigner leur déférence au président ; ils l'appelent à briguer un nouveau mandat à la tête de l'Etat. Curieusement, dans une indifférence presque cadavérique, le sollicité garde une distance et un silence étonnants à cette pression de ses fidèles ? Mieux, ces appels, compilés, cousus et façonnés en tomes, sont certainement parvenus à leur destinataire qui est resté - tout au moins officiellement - de marbre. Aucune information relative à ces appels n'a circulé sur la réaction du concerné.
Parce que les artistes, surtout les chanteurs sont une classe sociale proche des populations, ils ont souvent été sollicités, voire courtisés par les hommes politiques pour les accompagner en période de campagne électorale. Ils attirent des foules grâce à leur capacité de mobilisation et à leur aisance dans le contact. Les hommes politiques ont expérimenté avec succès ce mode de communication avec les publics. Les stratèges de la communication politique sont unanimes sur ce point. En voici quelques illustrations :
alors que Richard Nixon était donné largement vainqueur dans les sondages face à John Fitzgerald Kennedy dans leur duel de 1960, l'entrée en campagne du célèbre groupe de Boston, The Bee Gees aux côtés de Kennedy avec leur chanson à succès, « Massachusetts », renversa complètement les données. Les Américains se déplacèrent des quatre coins des Etats Unis pour suivre les Bee Gees ; ils tombèrent finalement sous le charme du candidat Kennedy qui en profitait pour passer son message électoral.
Jack Lang, en 1981 pour la campagne de François Mitterrand, ameuta autour de son candidat, des sommités de la chanson française : Jean Ferrat, Renaud, Serge Reggiani, Francis Cabrel, Jean-Jacques Goldman meubleront toute la campagne du candidat pour le résultat que l'on connait...
A son tour, Nicolas Sarkozy en campagne pour l'élection présidentielle de 2007 en France, s'affichait sur toutes les photos avec Johnny Halliday, Michel Sardou ou Doc Gynéco que les foules suivaient ensuite.
Paul Biya n'ouvre pas sa porte au premier venu. Il l'a fait pour les artistes, à la grande surprise de tout le monde. Doit-on croire à un acte spontané ? Personne ne se risquerait à répondre par l'affirmative. La proximité de cet acte de la prochaine élection présidentielle, laisse à penser que le candidat Biya a marqué un pas de plus vers l'annonce de son entrée en campagne électorale dans les prochaines semaines. En politique, les silences ne sont jamais des négations, mais plutôt le contraire. Celui qui n'est pas candidat à sa réélection, le fait savoir clairement et à temps, en des termes sans équivoque. Paul Biya a choisi lui, de procéder par petits gestes significatifs, jusqu'à l'annonce solennelle de sa candidature à sa propre succession : en octobre dernier, lors de la commémoration du cinquantenaire des Armées, à Bamenda, les annonces et promesses égrenées à l'occasion ne font l'ombre d'aucun doute. Que dire de cette générosité subite qui gratifie aux jeunes diplômés 25ooo emplois dans la fonction publique ? Au comice agropastoral, en suivant les annonces que Paul Biya a eu à faire à cette rencontre du monde rural, au cas où on parvenait à les réaliser ne serait-ce que de moitié, nul doute que la région du Sud entrerait dans la grande époque de son décollage industriel !
On ne saurait donc sortir la célébration de la Fête de la musique célébrée au village du président de la République de ce contexte d'annonces et de petits gestes d'un candidat qui avance à petits pas, testant les réactions de l'opinion publique, mais en évoluant résolument vers l'annonce de sa candidature à l'élection d'octobre prochain. Cela ne sera plus un évènement car, les multiples annonces et le show du 21 juin à Mvomeka'a auront suffisamment préparé les esprits et chauffé la place de l'évènement attendu.
Par Xavier Messè (REC)