Kris - Pendanx © Futuropolis - 2011
30 septembre 1938. Joseph Cerny, alias Pepa, a 38 ans lorsqu’il apprend à la radio que les accords de Munich ont été ratifiés. Pour cet ancien soldat tchèque qui a combattu sur le front russe en 1918, cette nouvelle affligeante fait vaciller ses idéaux et l’image qu’il avait de la France.
Il se retranche alors chez lui et reprend ses carnets de croquis et les textes écrits vingt ans plus tôt par son ami et compagnon d’armes Jaroslac Chveïk. Les deux hommes s’étaient rencontrés à Prague en 1914 à la veille de la première guerre Mondiale. Après quelques mois sans nouvelles l’un de l’autre, ils se retrouvent en mai 1918. Leurs trains sont bloqués en gare de Tcheliabinsk, ils souhaitent trouver un moyen de rentrer chez eux…
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Svoboda ! est le fruit d’une collaboration que je n’aurais manqué pour rien au monde. Au scénario, Kris dont j’apprécie le travail, de l’autobiographique (Les ensembles contraires, Coupures irlandaises qui s’inspire en partie de son vécu) au récit historique (Un Homme est mort, Notre mère la guerre). Un auteur qui se diversifie peu, quoique, si l’on regarde bien, je trouve son registre d’une richesse sans pareil (chronique sociale, polar…) et j’apprécie son engagement, même lorsqu’il s’agit de s’essayer à l’adaptation de romans comme Un sac de billes paru en avril 2011 (il retrouve ainsi Vincent Bailly avec qui il avait collaboré pour Coupures irlandaises). Ces dernières années, il a progressivement délaissé les one-shot pour étoffer ses intrigues et fouiller ses personnages. En ce qui nous concerne, pour Svoboda !, nous partons a priori sur une aventure qui devrait compter 9 tomes au final (dès 2012, le rythme de publication sera semestriel…).
On aborde la Seconde Guerre mondiale via la lutte que les légionnaires tchèques ont mené pour défendre leur liberté (en slave, liberté se dit « Svoboda »). Kris crée pour l’occasion deux personnages fictifs pour servir ses desseins, deux hommes diamétralement opposés. Voici les mots de l’auteur à leur sujet :
J’ai toujours pensé que l’on fait entrer le lecteur dans la grande histoire par le truchement de la petite, que l’on perçoit bien mieux l’essence d’une aventure humaine à travers le destins de quelques-uns. Et que pour mieux la raconter, il faut aussi, paradoxalement, savoir s’en éloigner un minimum. Dès le début, je me suis dit que l’interprète idéal de ce périple serait une sorte de Victor Hugo tchèque, un écrivain nationaliste et démocrate, qui aurait participé à cette anabase et nous raconterait ses souvenirs. Même si j’étais décidé à créer un personnage de fiction, en empruntant justement des traits biographiques de tel ou tel grand auteur répondant aux critères évoqués plus haut, j’ai un peu fouillé afin de savoir si ce personnage n’aurait pas réellement existé. Et je suis rapidement tombé sur Jaroslav Hasek, considéré comme l’un des pères fondateurs de la littérature tchèque, auteur du roman Le Brave Soldat Chveïk.
Ainsi, grâce à Hasek, je tenais mon personnage principal, que je vois comme un mix entre lui-même et Chveïk, son héros de roman (d’où son nom dans l’album : Jaroslav Chveïk). Romancier et pamphlétaire, anarchiste ne croyant en rien mais prêt à s’engager sur tout, juste pour « la beauté du geste », noceur invétéré et séducteur impénitent, adepte des bas-fonds et pourtant amoureux de la pureté. Ce dernier terme est important, car c’est ce qui va l’amener à nouer une amitié passionnée avec son exact contraire, un personnage totalement imaginaire lui : Josef Cerny dit « Pepa » (« le noir » en tchèque, un terme désignant en fait des personnes au teint plus ou moins « basané », souvent tout simplement d’origine juive).
Contrairement à Chveïk, dépassant déjà allègrement la trentaine en 1918-1920, Pepa a tout juste vingt ans. Juif slovaque, peintre-illustrateur et amoureux de la littérature, il voue une admiration sans borne à la culture française et par-dessus tout à sa Révolution. Démocrate convaincu, il s’engagera avec toute l’énergie de sa jeunesse dans la Légion tchèque. Admiratif des talents littéraires et du caractère de Chveïk, cela ne l’empêchera pas de haïr parfois son compagnon pour ses attitudes et paroles anarchistes. Ces deux-là seront comme le feu et la glace et s’accompagneront pour le meilleur et pour le pire, y compris jusque dans les bras d’une même femme : la comtesse Nora Kinsky » (extrait du dossier de presse Futuropolis).
Le scénario est agréable, son contenu est riche et dense. Une nouvelle fois, j’apprécie cette grande qualité d’écriture de Kris. Le rythme du récit est en partie assuré par des allées venues régulières entre passé et présent, les époques se répondant en écho. Ce premier tome jette les bases de l’épopée, le grief majeur serait que l’album met un temps fou à démarrer et que, lorsqu’il démarre, le tome se termine. Belle frustration pour le lecteur !
Au dessin, on retrouve Jean-Denis Pendanx. Le trait est un peu vieillot, les visages (trop) émaciés, personne ne se détache réellement si ce n’est les trois personnages qui occupent le devant de la scène : le duo d’amis et Nora, une jeune noble au caractère bien trempé. Les angles de vues donnent un sentiment de grands espaces, un bon rendu des perspectives. J’ai trouvé l’ambiance des scènes en intérieur plus étouffante, comme si les personnages étaient étriqués dans les décors. Certes, la majorité de ces scènes se passe dans des wagons : on est censé ressentir la chaleur étouffante de l’été russe, le confinement des hommes dans un espace réduit… concrètement, si j’ai perçu l’objectif du dessinateur, le rendu n’est pas concluant. Les dessins sont loin d’avoir la profondeur de ceux d’Abdallahi, j’avoue avoir eu des attentes (en terme de voyage visuel) à l’égard de cet album et être assez déçue. Accompagné par Isabelle Merlet qui s’occupe de la mise en couleurs, l’équipe graphique est alléchante pour un résultat qui, pour le moment, me laisse également sur ma faim (pour le moment… reste 8 tomes, ne l’oublions pas). Des tons sépia (ocre, rouille, sable) sont utilisés pour marquer la période de souvenirs (et le tumulte de la vie de garnison) et des tons plus tristes (bleu, gris, bruns) pour marquer le présent (et son ton intimiste) mais là aussi, pour avoir déjà eu l’occasion de lire des albums sur lesquels Isabelle Merlet a travaillé, je trouve le choix plutôt convenu.
Plus d’informations sur cet échange très intéressant sur le forum de BDGest.
Extraits :
« Il suffit de voir un matin russe se lever pour espérer le grand soir. Et, la nuit venue, rêver d’un lendemain qui chante. A n’en pas douter, la chimère est un enfant de putain russe » (Svoboda !).
« Oui, je me souviendrais toute ma vie de ce jour, ce 30 septembre 1938 où, à des centaines de kilomètres de Prague, dans les immenses bureaux nazis de Munich, ma mère m’a trahi et menti. J’étais orphelin depuis un âge où l’on est trop jeune pour conserver ne serait-ce qu’une seule image parentale. Mais à seize ans, je m’étais fabriqué une mère. Elle s’appelait la France, celle de 1789 et de Voltaire. Celle de 1848 et de Victor Hugo. Celle des Soldats de l’An II et des Communards. Je ne l’avais jamais vue qu’en livres, qu’en rêves et qu’en discours, mais j’ai bu à son sein jusqu’à plus soif. Jusqu’à déborder d’amour et de citoyenneté entremêlés. Orphelin pour la seconde fois… C’est étrange comme on n’en meurt pas » (Svoboda !).
Svoboda ! – Carnet de guerre imaginaire d’un combattant de la Légion Tchèque
Série en cours (9 tomes prévus ?)
Éditeur : Futuropolis
Dessinateur : Jean-Denis PENDANX
Scénariste : KRIS
Dépôt légal : juin 2011
Bulles bulles bulles…
Les 14 premières planches sur le blog de Futuropolis : c’est ici !
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