Jeudi 23 juin, on pouvait lire avec délectation et inquiétude le dernier rapport de la Cour des Comptes. Comme souvent depuis 2007, les conseillers n'étaient pas tendres avec le Monarque élyséen. Une nouvelle fois, ils contredisaient un à un les arguments du story-telling présidentiel.
Loin de là, à Washington, Christine Lagarde n'en avait cure. Cela fait près d'un mois qu'elle n'est plus avec nous.
Jeudi 23 juin, elle passait son grand oral à Washington, devant le conseil d'administration du Fonds monétaire international. Elle reste grande favorite pour succéder à Dominique Strauss-Kahn, et quittera donc sans doute son ministère des Finances le mois prochain, pour rejoindre le FMI. A moins que la récente enquête diligentée par le parquet de Paris, pour abus de pouvoirs sociaux, dans l'affaire Tapie/Adidas et qui vise deux des hauts fonctionnaires qui, sous ses ordres et recommandations, ont procédé au règlement arbitral du litige en faveur de l'homme d'affaires ne décourage certains de ses soutiens.
Pour l'instant, Lagarde tient la corde. Depuis des semaines, on murmure que Valérie Pécresse pourrait la remplacer aux Finances, même si Baroin, déjà au Budget, lorgne aussi sur le poste. Si elle file au FMI, Lagarde ira donc donner des conseils de redressement budgétaire aux pays du vaste monde.
En France, la Cour des Comptes s'inquiète justement de la dérive, toujours pas contrôlée, de l'endettement public. L'an dernier, par un tour de passe-passe comptable, François Baroin, son collègue du budget, et elle-même nous avaient fait croire que l'Etat faisait de sérieuses économies. En fait, ces dernières n'étaient que la non-reconduction du grand emprunt (intégralement comptabilisé l'an précédente) et du plan de relance.
Le rapport publié par la Cour contient quelques constats sans détour :
1. Le déficit public reste « très élevé et largement structurel »
La Cour rappelle que le plan de relance a pesé pour 1% du PIB en 2009, puis 0,3% en 2010. L'amélioration du déficit budgétaire en 2010 (versus 2010) n'a été que de 0,4% du PIB (de -7,5 à -7,1%). Côté dette publique, elle s'est alourdie de 98 milliards d'euros l'an dernier, pour atteindre 1.591 milliards en d'année, à 3,6% de taux d'intérêt en moyenne. Le grand emprunt pèse pour 35, l'aide à la Grèce pour 4,4 milliards, mais les remboursements de prêts des constructeurs automobiles et des banques l'ont compensée (6 milliards). L'aggravation est bien structurelle.
Chaque ménage est endetté pour 59.000 euros en moyenne fin 2010.
2. Les dépenses publiques ont été ralenties... grâce aux collectivités locales. La Cour des Comptes se réjouit que l'inflation des dépenses publiques ait été contenue en 2010, ce qui « marque une nette inflexion par rapport à leur croissance tendancielle de 2,4 % par an constatée sur les années 1999 à 2009 ». Mais elle fustige un autre argument gouvernemental : hors grand emprunt et plan de relance, « la norme de croissance zéro du volume des dépenses n’a en réalité pas été respectée, malgré des charges d’intérêts inférieures aux prévisions ».
Au passage, elle accorde son satisfecit aux administrations locales : en volume, « les dépenses publiques locales ont diminué de 1,9 % en 2010 », ce qui explique les deux tiers du ralentissement de l'inflation générale ! On se souvient combien Sarkozy et les ténors de l'UMP ne cessent de fustiger le poids des dépenses des collectivités locales, régions ou départements, majoritairement gérées ... par la gauche. Ils en seront pour leurs frais.
3. La Cour des comptes s'inquiète des choix fiscaux inconséquents du gouvernement ( les recettes ont été « réduites par des baisses d’impôts »). la critique n'est pas nouvelle. L'an dernier, la Cour dénonçait déjà l'aggravation des niches fiscales (comme la réduction de TVA sur la restauration). Cette fois-ci, elle critique le « coût élevé de la réforme de la taxe professionnelle », une mesure qui coûte 12 milliards en 2010, puis 4,3 milliards par an en rythme de croisière. Au final, le déficit structurel s'est aggravé de 3,7% du PIB en 2007 à 4,6% en 2009 et 4,9% en 2010 (hors plan de relance) : « L’effort structurel a lui-même été quasiment nul en 2010 ». Pour la Cour des Comptes, « la contribution de la crise au déficit est de 2,7 points de PIB (soit 38 % du déficit) ».
4. La situation française est « plus dégradée que dans le reste de l’Europe ». Le constat va à l'encontre de la vulgate sarkozyenne. « La reprise économique, plus forte qu’attendu, a entraîné, dans de nombreux pays, un surcroît de recettes publiques et, par conséquent, des résultats budgétaires légèrement meilleurs que prévus. » Sauf en France... « Le déficit public français est ainsi resté supérieur aux moyennes communautaires, comme ce fut presque toujours le cas au cours des quinze dernières années.» Si l'on se limite aux déficits structurels, ces derniers « sont restés ou devenus plus élevés que celui de la France en 2010 dans les Etats européens qui ont dû demander une aide internationale (Grèce, Irlande, Portugal) ou qui ont entrepris une consolidation budgétaire vigoureuse (Royaume-Uni, Espagne).» En d'autres termes, la Sarkofrance est la prochaine dans le peloton des Etats en difficulté.
5. La Cour des Comptes n'achète pas le story-telling présidentiel pour 2011 et au-delà : l’objectif de maîtrise des dépenses publiques sera « difficile à atteindre », car les « crédits de certaines missions budgétaires s’avèreront insuffisants ». Au passage, elle note que la prévision de déficit public à 5,7 % du PIB en 2011 place la France dans une situation nettement dégradée par rapport à la zone euro hors France (3,9 % du PIB) et à l’Allemagne en particulier (2,0 %). Et de toute façon, un déficit à 5,7% du PIB sera « encore trop élevé pour enrayer la progression de la dette publique de la France ». Après 2011, la Cour est plus que dubitative : les prévisions de croissance sont jugées « trop favorables », et les mesures d'économies annoncées sont « insuffisantes ».