Vingt milliards, le chiffre donne le tournis. Il était à la une de tous les journaux
radio-télévisés mercredi 22 juin. Ce serait l'estimation de la fraude sociale, réalisée par des députés de droite comme de gauche dans un rapport fuité ce jour à l'AFP. Au même moment, Nicolas
Sarkozy était saisi de quelques propositions par ses ministres sur le même sujet.
La « fraude sociale » est un fameux sujet en Sarkofrance, plus populaire dans les cénacles du Premier cercle que la
chasse aux expatriés fiscaux. Et très complémentaire des récentes polémiques contre « l'assistanat » lancées par
l'UMP.
Seulement voilà, ces députés dans leurs rapports confirment d'autres indices : la
fraude sociale vient d'abord et massivement d'une triche aux cotisations sociales et non des allocataires.
Début juin, le ministre du
Travail et de la Santé s'était félicité du bond de 20% des fraudes sociales détectées par les Urssaf en 2010. C'était, disait-il, la preuve que les efforts payent, que la vigilance qu'il
exige depuis des années (il était secrétaire d'État chargé de l'Assurance maladie en 2004) portait enfin ses fruits. Au total, 457,6 millions d'euros avaient été détectés l'an dernier, indiquait ainsi
Xavier Bertrand, mercredi 3 juin devant les
députés de la Mission d'évaluation et de contrôle de la Sécurité sociale.
Mercredi 22 juin, l'AFP publiait les bonnes feuilles d'un rapport de la Mission d'Evaluation des comptes de la sécurité
sociale (MECSS) sur la fraude sociale, alors que trois ministres, Baroin (Budget), Bertrand (Travail) et Bachelot (Solidarités) présentaient à Nicolas Sarkozy, en conseil des ministres, quelques plans
d'actions.
1. Le montant total
des fraudes sociales est en fait estimé entre 10 et 18,8 milliards d'euros par an... Un chiffre tout de même gigantesque gigantesque, quasiment
égal au déficit de la Sécurité sociale prévu pour 2011 (19 milliards). A noter que le montant total des
prestations sociales s'élève à 624 milliards d'euros.
2. L'importance du chiffrage relativise l'énorme mobilisation des services revendiquée par M. Bertrand : en
2010, seules 2 à 4% des fraudes ont donc été détectées.
3. Les employeurs trichent davantage que les allocataires. Dans le
rapport parlementaire de la MECSS, la fraude aux prélèvements (cotisations patronales et salariales non versées en raison du travail au noir) est évaluée entre 8 et 15,8 milliards, soit
plus de 80% de la fraude sociale. Entre 6 et 12
milliards de ce montant vient du travail dissimulé, et 2 milliards pour les redressements sur des erreurs ou des omissions de calculs de cotisations.
Le député UMP Dominique Tian, rapporteur du texte, rappelle que « entre 10% et 12% d'entreprises sont en infraction et
entre 5% et 7% de salariés ne sont pas déclarés.» Ces estimations confirment les résultats des contrôles des Ursaff. Sur les 458 millions de fraudes repérées en 2010, 186
millions d'euros portaient sur des arnaques aux cotisations sociales, soit 40% du total. La triche à l'assurance maladie pesait pour un tiers (156 millions), suivi des arnaques aux allocations
familiales pour 20% (90 millions), et aux retraites (2%). Le statut d'auto-entrepreneur a facilité la triche, certains salariés devenant auto-entrepreneurs et fournisseurs de leur ancien
employeur.
4. Les triches d'allocataires ne pèsent « que » pour 2 à 3 milliards
d'euros. Le rapporteur Dominique Tian dénonce quand même des réseaux organisés. Pourtant, il chiffre à 1 % le nombre d'allocataires fraudeurs. Comme le rappelle Samuel Laurent, dans le Monde, « la Cour des comptes évoque
plutôt le chiffre de 0,77 % pour
2008.»
5. N'en déplaise à Xavier Bertrand, les moyens de lutte contre la fraude sont insuffisants. Lors de leur audition en septembre dernier par la MECSS, des responsables de la gendarmerie et de la police nationale confiaient leur
impuissance : « en matière de fraude aux prestations sociales, notre rôle est très limité par rapport à celui des organismes sociaux » . expliquait le général Galtier. « La
gendarmerie constate moins de 1.000 infractions par an; ses agents de police judiciaire n’ont pas les moyens de déceler en amont les situations frauduleuses. » Lors de la même audition,
Patrick Hefner, contrôleur général de la police nationale, regrettait que l’interconnexion des fichiers des 1.750 organismes sociaux, médico-sociaux et sanitaires, décidée en 2006 n'avait été
mise en oeuvre que trois ans plus tard. Mais que fait la police ?!
6. Pire, le gouvernement préfère cibler ses efforts de lutte contre la fraude sur les
allocataires et moins sur les employeurs. La traque aux allocations familiales indues mobilise une
énergie quasi-inédite : en 2010, 264 000 contrôles sur place pour détecter 13 114 fraudes représentant 90 millions d'euros. La ministre Bachelot, mercredi en Conseil, s'est aussi félicitée de «
l'expérimentation de coopération renforcée entre les CAF et de nombreuses autres administrations ou organismes partenaires (banques, fournisseurs d’énergie, etc....) dans 14
départements.» En gros, on croise les fichiers.
7. Par comparaison, le contrôle des entreprises reste faible (avec un
contrôleur pour 10.000 entreprises en moyenne). Le nombre de faits de travail clandestin n'atteint même pas ce niveau, alors que ces derniers sont censés coûter 3 à 4 fois plus au budget des
organismes sociaux ! En 2009, 11.031 faits seulement ont été ainsi recensés en France par police et gendarmerie confondues. Un temps, on
avait promis de fermer les entreprises coupables de travail au noir. La mesure fut rapidement évacuée, et transformée.
L'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) ne dispose que de 220 contrôleurs et 1.550 inspecteurs du
recouvrement de cotisations sociales pour vérifier 40.000 établissements chaque année. Et rappelons que la règle du non-remplacement d'un fonctionnaire partant à la retraite sur deux s'applique
aussi à ces inspecteurs du travail. En mai dernier, l'un d'entre eux, syndicaliste, s'était
suicidé à Paris sur son lieu de travail.
En conseil des ministres, Xavier
Bertrand a ainsi expliqué qu'un « dispositif de fermeture administrative des entreprises dont l’activité serait structurellement
assise sur le recours au travail illégal sera opérationnel dès l’automne 2011.» On voit combien la lutte contre la fraude sociale est une priorité ! Il a fallu attendre 6
mois avant la fin du quinquennat pour en arriver là.
Et cet été, fin août, le gouvernement a prévu de dépenser quelques millions d'euros en
campagne publicitaire sur le thème de la lutte contre la fraude fiscale et sociale.
Nous voilà rassurés !
Sarkofrance