Le mois de juin est traditionnellement rythmé en France par deux grands événements : la fête de la musique et la fête du baccalauréat (que certains qualifient d'examen) ! Si la première est une institution depuis 1982, la seconde date - du moins pour sa forme moderne - d'un décret organique pris le 17 mars 1808 sous le Ier Empire. Ce diplôme, tant convoité, présente la particularité de sanctionner la fin des études secondaires et d'ouvrir l'accès à l'enseignement supérieur, en ce qu'il constitue toujours encore le premier grade universitaire même si bon nombres d'impétrants l'ont oublié ou ne l'ont jamais su...
L'Éducation nationale s'enorgueillit chaque année d'amener près de 64 % des jeunes d'une génération à avoir un baccalauréat. Ainsi, en 2006, selon l'enquête sur les résultats aux examens pour la France métropolitaine, il y a eu 64,3 % de bacheliers dans une génération se répartissant de la sorte : 34,8 % dans une série générale, 17,2 % dans une série technologique et 12,3 % dans une série professionnelle (cliquer sur le tableau ci-dessous pour l'agrandir)
Proportions de bacheliers dans une génération par type de baccalauréat en % (France métropolitaine)
[ Source : Ministère de l'Éducation nationale ]
Entre 2006 et 2009, on assiste à ce qui ressemble plus ou moins à une stagnation du nombre de bachelier, qui s'explique par le haut niveau atteint à cet examen : en France métropolitaine et dans les DOM, avec 625 700 candidats et 539 100 admis, le taux de réussite au baccalauréat 2009 est de 86,2 % ! On est bien loin des 21 malheureux récipiendaires de 1808... Globalement, tous baccalauréats confondus, les filles réussissent légèrement mieux que les garçons.
Évolution du nombre d'admis au baccalauréat (France métropolitaine + DOM)
[ Source : Ministère de l'Éducation nationale ]
Qu'en est-il pour le cru 2011 ? La réponse en image (cliquez sur l'image pour l'agrandir):
[ Source : www.lanouvellerepublique.fr ]
Il est à noter que pour l'examen 2011, on assiste à une augmentation sensible (+36 % par rapport à 2010) des candidats inscrits au baccalauréat professionnel. Cela fait suite à la réforme de la voie professionnelle en 2009, le baccalauréat professionnel se préparant désormais en trois ans après la troisième, le but étant bien entendu de "faire" du bachelier. Au total, toutes filières confondues, cet examen nécessite 4 880 sujets pour 642 235 candidats dans 4 428 centres d’examen, et 162 000 correcteurs pour les 4 millions de copies ! Soit un coût d'environ 50 millions d'euros !
Après ces longs prolégomènes, revenons au coeur de mon billet : l'attente méritocratique liée au bac. Car c'est au fond la seule et unique question qui se cache derrière les cris d'orfraie qui ont été poussés suite à la divulgation de certains sujets du prestigieux bac S. Immédiatement on a vu fleurir des sites réclamant par pétition l'annulation de l'épreuve de Mathématiques de la filière S, l'exercice de probabilités ayant été divulgué sur un site pour adolescents jeuxvideo.com. Depuis, des soupçons sur la divulgation des sujets d'anglais et de physique au bac S se sont fait aussi jour. Je passe du reste sur l'absurdité de la circulaire prise par le ministre, qui recommande "de porter une attention particulière, lors des délibérations, aux candidats dont la moyenne générale est à un point d'un des seuils décisifs". En effet, elle risque de créer encore plus de dégât lorsqu'un candidat du bac L sera recalé avec une moyenne de 9,8/20 tandis que son voisin du bac S pourra obtenir la clémence du jury avec 9/20...
Pourquoi conserve-t-on donc en l'état un examen qui ne doit son peu de lustre actuel qu'à l'existence de la série scientifique, et qui ne constitue plus depuis longtemps une passerelle vers les études supérieures (les dossiers d'inscriptions étant déjà clos au moment de l'examen) ? On entre là en plein dans la question de l'égalité, souvent mise en avant par les tenants du maintien de l'examen, ces derniers faisant valoir qu'un bac national est le meilleur garant de l'égalité des chances entre les élèves des lycées situés en ZEP et ceux des grands lycées parisiens. Toujours est-il que derrière ces nobles ambitions, personne n'est dupe que l'affaire des fuites n'aurait certainement pas eu cette ampleur s'il s'était agi d'une filière professionnelle ou technologique. De plus, plus personne ne peut réellement soutenir que tous les baccalauréats se valent pour la poursuite d'études ou l'insertion professionnelle (la question de l'insertion professionnelle avec le bac étant devenue quasiment caduque aujourd'hui). Et je ne sais combien d'élèves j'ai pu rencontrer qui ont choisi la filière S pour s'assurer un choix plus large de possibilités après le baccalauréat, certains détestant même les Mathématiques ! Quant aux différences entre établissements, il suffit de voir les déserts que l'assouplissement de la carte scolaire est en train de construire pour saisir les énormes inégalités qui existent entre lycées, quand bien même les examens sont les mêmes.
Non que je sois élitiste (encore que ce mot a été devoyé de nos jours), mais je constate que les exigences pour l'obtention du précieux sésame ne cessent de baisser au point d'aboutir à des situations ubuesques, comme cet élève qui avait obtenu plus de 20/20 de moyenne générale eu égard aux options bonifiées, ce qui transforme de facto le baccalauréat en vaste champ stratégique où chacun cherche à passer la matière qui assure le plus de points - et donc par là même la mention - sans tenir compte des aspirations des élèves. Ajoutez à cela une bonne dose d'officines à bac qui permettent à ceux qui en ont les moyens de s'offrir des compléments ou un soutien utiles, et vous obtiendriez le bac du XXIe siècle.
Pour en revenir à l'égalité des chances, très en vogue en ce moment, je dirais simplement qu'elle possède deux facettes qui en font un objectif ambitieux et dangereux à mener sans conditions préalables. Tout d'abord, côté pile, elle consiste à offrir à tous la possibilité d'occuper les meilleures places en fonction des capacités de chacun, ce qui suppose la suppression des discriminations. Mais côté face, on oublie souvent que cela signifie aussi que puisque toutes les places sont ouvertes à tous selon le mérite, les inégalités en deviennent dès lors acceptables et même justes ! Ce qui peut facilement déboucher sur une conclusion fallacieuse du type : celui qui a échoué en est responsable puisque tous avaient la même chance au départ. Un peu court dans une société où le capital économique (mais aussi social et culturel) d'un individu est encore largement issu de l'héritage familial, comme le décrivait avec brio Pierre Bourdieu dans son livre les héritiers... écrit en 1964 !
Je pense donc, à l'image du sociologue François Dubet, dont je conseille l'excellent livre les places et les chances, aux éditions du Seuil, qu'il faut s'intéresser avant tout à l'égalité des places pour ensuite aboutir à une véritable égalité des chances, les possibilités de s'élever dans la structure sociale (égalité des chances) étant d'autant plus grandes que la distance entre les places est resserrée (égalité des places). Sinon, on se condamne à reproduire les mêmes schémas qui créent des fossés entre les individus, en favorisant l'insertion d'un petit nombre d'élèves dans de grandes écoles au détriment de l'immense majorité à laquelle les politiques économiques et sociales se doivent également d'apporter une réponse concrète aux questions de la formation et de l'emploi. Et je ne parle même pas des différences abyssales de salaires que l'on semble tolérer dans nos sociétés au nom de la méritocratie...
Au final, si j'ai coordonné cette année un atelier d'aide aux devoirs au prix modique (6 € par an pour deux séances par semaine !), c'est bien d'abord parce que je souhaite que de nombreux élèves aient leur brevet des collèges ou leur baccalauréat, mais surtout pour qu'ils apprennent des méthodes de travail et des savoirs qui leur serviront à comprendre le monde et à créer leur parcours, et celui de toute une génération, par-delà les grands discours sur l'égalité supposée des chances !
N.B1 : je serai absent au début de la semaine prochaine, car je suis membre du jury d'admission dans les grandes écoles d'ingénieurs. Néanmoins, je chercherai à répondre au plus vite aux emails et commentaires.
N.B2 : mes collègues d'histoire et géographie du site "les clionautes" ont réservé une critique très positive à mon livre le dictionnaire révolté d'économie. Celle-ci est visible sur leur site.