Le discours du président syrien Bachar al Assad lundi 20 juin a marqué une nouvelle étape dans la crise en Syrie. Sa prise de parole indique qu’il a le sentiment d’avoir contrôlé la crise qui ébranle son pouvoir depuis plus de trois mois. Elle est également une réponse aux inquiétudes extérieures qui encouragent Damas à trouver une solution négociée aux violences qui agitent ce pays, stratégique pour la paix au Moyen-Orient.
Un discours convenu, mais avec des nuances
La presse internationale a été rapide à y voir une nouvelle tentative désespérée de justifier la violente répression de la révolte en Syrie. Elle a également jugé insuffisantes ou trop tardives les promesses de réformes faites par le président et sa main tendue vers les opposants dont certaines revendications, a-t-il dit, sont justifiés. Assad a également mis en cause des « saboteurs », une défausse facile, mais il n’a pas insisté comme il l’avait fait dans une précédente adresse sur un complot ourdi par un ennemi étranger, qui ne pouvait être qu’Israël. Rares sont les journaux qui ont souligné qu’Assad ouvrait la voie à une remise en cause de l’hégémonie du parti unique, le Baas, sur la vie politique syrienne. Et encore plus rares sont ceux qui ont retenu le nouveau rendez-vous pris par le président syrien, qui a indiqué que des élections parlementaires allaient se tenir dans son pays au mois d’aôut.
Les chemins lents de l’histoire
Ces avancées consenties par le régimes sont infimes, mais elles constituent des indications importantes dans une région du monde où l’histoire ne se déplace pas aussi vite que voudraient le faire croire les images des télévisions. La presse régionale et internationale commence à le comprendre et le récit qu’elle fait des évènements en Tunisie, en Egypte et au Yémen est passé de l’allégorie militante à la réalité. Les révolutions portées par une jeunesse enthousiaste ont accouché de régimes de transition dominés par des militaires, où l’influence des grands parrains saoudien et américain est incontestable. Les tyrans sont sous bonne garde en résidence surveillée ou sous assistance médicale à Jeddah, Charm el Cheikh, ou à Sanaa. Et les citoyens, attendent avec impatience et anxiété les nouveaux gouvernements –qui naitront des élections promises–, mais surtout des solutions à leurs problèmes de misère et de chomage. Tout le monde semble avoir compris que la magie du « printemps arabe » s’était dissipée. Que la Libye avait servi de signal d’alarme, et que l’enthousiasme des commentateurs et des journalistes ne suffisaient pas à apporter liberté et dignité à ceux qui en ont besoin.
La Syrie, leçon de prudence
La Syrie offre une illustration opportune de la prudence avec laquelle les informations qui arrivent de ce pays et du Moyen-Orient en général doivent être utilisées. La vision des évènements retenue jusqu’ici s’appuie sur les témoignages de militants qui ont décrit la brutale répression du régime contre les manifestations pacifiques de Syriens demandant plus de démocratie. La narration généralement admise insiste sur le caractère minoritaire du groupe au pouvoir, les Alaouites, décrit comme une secte adepte du secret. Le régime s’accrocherait à son pouvoir contre la volonté de la majorité, les Sunnites. Et le parti Baas, et ses organes sécuritaires, feraient régner la terreur pour conserver aux Alouites et au clan des Assad, les privilèges et les avantages économiques que le pouvoir leur confère.
Embarras à Washington et Ankara
Des éléments, encore épars, laissent dorénavant percer des incertitudes dans ce récit trop simple. Et un changement de ton est perceptible aux Etats-Unis et en Turquie, deux pays extrêmement attentifs à ce qui se passe en Syrie. Washington se refuse à appeler à un retrait du président Assad, étant incapable d’influencer le choix de son successeur. Ankara ne peut que souhaiter le maintien d’un partenaire stable à Damas, pour gérer les nombreux problèmes qui lient les deux voisins, et notamment les revendications indépendantistes kurdes. Aussi bien aux Etats-Unis qu’en Turquie, existent des cercles d’influence qui peuvent envisager comme une solution souhaitable la dislocation d’un pays, qui fut porteur des idéaux du nationalisme arabe. Mais cette politique du pire a fait des dégats, aussi bien au Liban qu’en l’Irak, et créé des difficultés pour l’état censé être conforté par le chaos arabe, Israël.
Changements (presque) imperceptibles
C’est donc dans ce contexte que les déclarations récentes d’officiels américains doivent être prises. Le 13 juin, le New York Times rapportait les propos d’un officiel américain, parlant sous couvert de l’anonymat. « Nous constatons qu’il y a des éléments d’une opposition armée dans toute la Syrie », expliquait ce responsable. « Dans le nord-ouest, nous constatons qu’ils ont pris le contrôle. Et ils sont trés nombreux ». « Nous ne savons pas vraiment qui ils sont », ajoutait ce responsable, « mais ils ont une dimension religieuse, absolument ». Quelques jours plus tard, des journalistes turcs étaient admis en territoire syrien sous bonne garde des services de sécurité syriens et se rendaient dans la ville de Jisr al Shughur. Ils évoquaient alors une ville fantôme, dont tous les bâtiments publics avaient été détruits. Ils assuraient également que 72 soldats syriens avaient été exécutés dans le bâtiment abritant les services de sécurité, et que des traces de décapitations étaient visibles.
Le jeu d’équilibriste du Département d’état
Le 21 juin, à Washington, le porte-parole du Département d’état faisait alors une déclaration étonnante. A l’occasion du point de presse quotidien, où est exposée la ligne officielle de l’administration, Victoria Nuland décrivait la visite de l’ambassadeur américain en Syrie, Robert Ford, dans la même localité de Jisr al Shughur. « Il fera un rapport », a-t-elle expliqué en réponse à une question. « Il fera une analyse de ce que les officiels syriens lui ont dit. Et il continuera de faire connaitre notre position non seulement au gouvernement syrien, mais aussi à l’opposition, que la brutalité doit prendre fin ». Le caractère singulier de cette déclaration réside dans le fait que pour Washington, les forces de sécurité syriennes et les groupes de l’opposition sont condamnés de la même manière pour leur usage de la violence. La porte-parole a en effet mentionné la brutalité des deux bords. Et ce parallèle en dit long sur la complexité de la situation en Syrie, et la prudence avec laquelle les responsables américains la prenne en compte.
Un incendie qui s’éteint
Un élément a encouragé aussi bien Assad à faire son discours le 20 juin que le Département d’état à renvoyer dos à dos les protagonistes dans son commentaire du 21. Les désordres ont débuté à la mi-mars dans la ville de Deraa, dans le sud du pays, après la détention de 15 écolières qui avaient écrit sur un mur des graffitis en faveur de la démocratie. La réprobation des familles et des tribus locales s’est transformée en rage lorsque les pouvoirs locaux sont restés sourds à leurs réclamations, et ont fait usage de la force pour leur imposer le silence. Dans une région pauvre, où les liens traditionnels sont trés puissants, la révolte s’est propagée comme un véritable incendie, et a pris rapidement une dimension politique. La colère populaire a servi de tremplin pour des opérations armées dirigées contre les symboles du pouvoir, et les foyers de rébellion se sont déplacés vers le nord du pays.
Depuis plusieurs jours, le dernier foyer de violence semble être coincé dans le nord-ouest de la Syrie, contre la frontière turque. Comme si les deux voisins, conscients des risques courus, prenaient les groupes armés en tenaille, pour étouffer la rébellion. En espérant, bien sûr, qu’elle ne se réveille pas ailleurs.
Département d’état
Presse turque
Financial Times