Les enfants volés du fascisme catholique espagnol

Publié le 23 juin 2011 par Marx

 reccueil de textes publié sur le site du PG Midi-Pyrénées

http://www.gauchemip.org/spip.php?rubrique58

 

1) Reportage sur les enfants volés du franquisme, l’un des derniers grands tabous d’Espagne

Entre les années 40 et 50, plus de 30 000 bébés auraient été soustraits dès la naissance à leurs mères républicaines. L’objectif était de "rééduquer" ces enfants en les plaçant dans des orphelinats religieux ou en les confiant à des familles proches du régime franquiste.

Pour visionner cette video de la télé suisse, cliquer sur l’adresse URL ci-dessous :

http://www.tsr.ch/video/info/journa...

2) Le fascisme catholique espagnol pratiquait couramment le vol d’enfants

L’historien Ricard Vinyes chiffre à 21 000, rien que pour 1942 et 1943, les enfants enlevés de force à des mères républicaines par le régime franquiste avec la complicité active de l’église catholique.

Un document d’une institution religieuse, cité par Baltazar Garzon, chiffre à 30.960 au cours de la décennie 1944-1954 le nombre d’enfants de prisonnières politiques placés sous tutelle de l’Etat. Selon ce magistrat, c’est "un nombre indéterminé" d’enfants qui, de manière "systématique, préconçue et avec une volonté véritablement criminelle", auraient été soustraits à des familles "qui ne s’ajustaient pas au nouveau régime [franquiste]". Des milliers de femmes républicaines venues accoucher dans les hôpitaux ressortent sans bébés. ("La madre biológica entraba por un lado y la adoptiva salía con un bebé por otro"). Tous, sont déclarés morts nés. En fait, l’enfant, bien vivant, est placé sous la tutelle d’une famille proche du régime franquiste, pour être rééduqué. Ce sont les religieuses qui sont chargées de voler les enfants, elles utilisaient leur influence et l’autorité de l’Eglise pour faire taire les plaintes des mères. C’étaient elles aussi qui venaient annoncer « votre enfant est mort ».

Garzon relate cet épisode du début des années 40 basé sur le témoignage de espagne milicienne guerre civile espagnoleFélix Espejo, ancien mineur des Asturies : "Un jour, les mères [prisonnières] sortirent avec leurs enfants dans la cour [de la prison de Saturraran]. Les religieuses leur dirent que les enfants devaient rester à l’intérieur pour une révision médicale. Il y en avait une centaine. Lorsque les mères rentrèrent, ils n’étaient plus là. Concepcion [une prisonnière], qui n’avait pas d’enfant, fut impressionnée par les scènes de douleur et par les cris des mères qui réclamaient leurs petits. Ils les menacèrent en leur disant de se taire si elles voulaient rester en vie. Une femme d’Oviedo libérée peu après vit sa fille dans une maison de militaires, à Valence, mais on ne sait pas si elle a pu la récupérer ou non".

Cette politique d’enlèvements, pour rechristianiser les enfants de mères rouges, s’est ensuite, avec toujours la complicité des « bonnes sœurs » et de leur hiérarchie, transformée en véritable trafic d’enfants. « Ce qui commence comme une sorte de vengeance politique et de mise au pas de la société se transforme au fil des années en un vrai « commerce » qui aurait perduré y compris jusqu’au début des années 80 », explique Hector Rojo (revue Diagonal). Ainsi Isabel, mineure et enceinte, dans la très catholique Espagne de 1974, a dû obéir à ses parents : accouchement discret et un bébé qui disparaît, confié par les religieuses, sous une fausse identité, à une famille bien sous tous rapports. (http://www.tdg.ch/actu/monde/enquet...).

Cette église franquiste, loin de tout repentir, continue d’afficher son cléricalisme avec la même morgue, pour tenter de bloquer les lois qui lui déplaisent. Le soutien du Vatican ne lui a jamais fait défaut. La radio contrôlée par la Conférence épiscopale espagnole prend très systématiquement position contre le gouvernement de Zapatero, défend, sur un ton souvent très violent, des positions proches du PP. (http://www.regards.fr/article/print...).

3) L’Espagne prête à faire la lumière sur les enfants perdus du franquisme ?

Par Elodie Cuzin, Journaliste à Rue 89

Le célèbre juge Baltasar Garzon continue de mettre le doigt là où ça fait mal en Espagne.

Alors que sa hiérarchie l’a empêché de mener personnellement l’instruction sur les crimes du franquisme il y a près de deux mois, il vient de transmettre à sept tribunaux la responsabilité d’enquêter, ou non, sur plus de 30 000 enfants de républicains qui furent placés dans des centre pour être « rééduqués ». Une manière de tourner les projecteurs sur cette page noire pourtant peu connue des Espagnols.

Selon les informations réunies par le juge, 30 960 enfants, la plupart fils et filles de républicains exilés, incarcérés ou fusillés, auraient été envoyés dans des internats religieux entre 1944 et 1954. Certains médias espagnols avancent en outre que 12 042 autres avaient déjà été mis sous tutelle de l’Etat franquiste avant 1944. Un chiffre colossal. Et pourtant, nombre d’Espagnols connaissent souvent mieux le drame des « enfants perdus » d’Argentine que le leur.

Le professeur de sciences politiques à l’université Pompeu Fabra et ancien exilé, Viçens Navarro, écrivait ainsi dans les colonnes d’El Pais récemment :

« L’une des surprises au retour de mon long exil fut de constater que mes étudiants (jeunes, éveillés, curieux intellectuellement, épouvantés par les actes barbares commis par les dictatures chiliennes et argentines […]) ignoraient que toutes ces horreurs s’étaient produites également en Espagne sous la dictature franquiste, y compris le vol d’enfants aux mères républicaines assassinées par l’armée responsable du coup d’Etat. »

Des enlèvements auraient eu lieu en France

Dans les années 90, l’une des émissions les plus populaires de la télévision espagnole était une sorte de « Perdu de vue » ibérique. Des familles d’anciens enfants « disparus » étaient alors passées sur le plateau sans que cela ne perturbe outre mesure la soirée des téléspectateurs, se souvient, encore surpris, Emilio Silva, le président de l »Association pour la récupération de la mémoire historique.

« On présentait leur cas à côté des histoires du fiston qui n’a plus donné signe de vie après être parti à la plage et les neuf millions de téléspectateurs ne réagissaient pas différemment, comme si ce qui s’était passé pendant la guerre relevait du destin implacable, et non d’un délit. »

S’ils sont peu commentés en Espagne, les faits sont pourtant loin d’être secrets. Un documentaire, « Les Enfants perdus du franquisme », a été réalisé par Montse Armengou et Ricard Belis pour la télévision catalane mais sa diffusion est restée limitée.

Un artiste originaire d’Alicante et vivant aujourd’hui en France, Saülo Mercader, a lui écrit un livre en français, « Les Chants de l’ombre », dont on avait parlé en France au moment de sa publication, en 2000, mais qui n’a pas encore été traduit en castillan.

Enfin l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a évoqué explicitement le sort de ces enfants entre 2005 et 2006 pendant l’élaboration de sa condamnation du franquisme, en ajoutant en outre que « des enfants réfugiés ont aussi été enlevés en France par le service extérieur de “rapatriement” du régime et placés ensuite dans des institutions d’Etat franquistes ».

4) "Je cherche mon frère" par Jean Ortiz

En 1963, deux jours après avoir accouché, Consuelo apprend que son bébé est mort mais elle ne pourra voir qu’un cercueil fermé. Sa fille prendra le relais de sa quête de vérité quant à la réalité de ce décès, qui met à jour un des pires crimes de la dictature.

Consuelo A. M., née le 21 avril 1922, a vécu depuis 1963 une vie où plus aucune consolation ne fut possible. Un « desconsuelo » (déchirement) qu’elle a porté jusqu’à sa mort, le 24 janvier 2011  ; dans l’intimité familiale, la dépression, le doute obsédant, la perte inacceptable. Le 13 août 1963, elle accoucha à l’hôpital général d’Alicante, après une grossesse sans histoire, d’un garçon de 5 kg  : Antonio C. A., en bonne santé, le jour de la Alborada (le moment le plus important des fêtes patronales d’Elche). Inexplicablement, il mourut quarante-huit heures après (le jour de la Vierge). Effondrée, Consuelo n’eut pas la force de réagir, de demander à voir...

Le personnel de l’hôpital lui présenta un petit cercueil blanc, fermé, où reposait supposément « le pauvre petit ange . On lui conseilla de ne pas l’ouvrir, afin d’éviter tout traumatisme. « C’était mieux ainsi »  ; la fatalité en quelque sorte. L’enfant, lui dit-on, aurait été handicapé à vie. Et Consuelo ne se résigna qu’apparemment  ; le doute, toujours le doute, et l’insupportable tabou. Elle plongea dans une dépression qui empoisonna sa vie et la rendit malade. L’hôpital, quant à lui, se chargea, sans doute hypocritement, de mener à bien les démarches d’usage nécessaires à l’enterrement, à la « disparition ».

Le mari, Miguel C. D., un homme effacé, de surcroît ébranlé par la situation, ne réagit pas davantage  ; c’étaient des pauvres gens du peuple. La faim les avait chassés d’un village de cette Mancha sans limites, près d’Albacete, le 4octobre 1955, pour aller chercher du travail à la ville  : Elche-Alicante. Consuelo y travailla comme couturière  ; tant bien que mal, ils élevèrent trois filles et un garçon, nés en 1950, 1953, 1955 et 1961. Le cinquième, Antonio, arrivé sur le tard, est vraisemblablement un de ces milliers de disparus-vivants qui hantent les rues d’Espagne.

Au village, la République d’avril 1931 et le Front populaire (février 1936) avaient été une magnifique embellie pour les ouvriers agricoles. Consuelo avait brodé nombre de drapeaux du Parti communiste, et aux trois couleurs républicaines. Son père, Antonio, né le 28 décembre 1895, fut arrêté le 28 avril 1939, et fusillé pour « motif de guerre » le 15 janvier 1940, à 6 h 30 du matin, au cimetière d’Albacete (1). Les bourreaux préfèrent l’anonymat de l’aurore. Il était accusé d’appartenir à la casa del pueblo (maison syndicale du village) où se réunissaient et s’informaient, lisaient, les petites gens. Il était « bracero » (ouvrier agricole)  ; avec sa mule, il travaillait pour les « caciques » (grands propriétaires)  ; il voulait que ses deux filles étudient. La sentence expéditive de condamnation à mort (n°3621 du gouverneur militaire d’Albacete) le punit pour « adhésion à la rébellion » (2), lui qui défendait la légalité républicaine contre les militaires putschistes  ! Son épouse, María del Pilar M. (née le 15 juin 1900, et décédée à quatre-vingt-trois ans), analphabète, en porta le deuil toute sa vie, comme ses deux filles, Consuelo et Pilar. Toujours de noir vêtues. Assise sur sa chaise de paille, sur le pas de la porte, dans sa robe de deuil, la tante Pilar portait fièrement le noir, comme un défi aux franquistes. Dans le village, on connaît le nom des assassins.

Nous avons suivi l’une des petites-filles, Eva C. A., la rebelle, la « rouge », dans ses démarches à Alicante pour réclamer la vérité sur son frère. Première étape  : l’hôpital général d’Alicante  : l’accueil est froid  : « Avez-vous les registres 1963  ? » « Ah, non, ils ont disparu lors d’une “riada” (inondation), allez voir le “juzgado” (tribunal). Nous n’avons les registres qu’à partir de 1976. (Franco mourut en 1975). La secrétaire tape en touche. Au juzgado, même accueil  : ne sont disponibles que les registres depuis 1976  ; que sont devenus les autres  ? Sans doute détruits. La justice espagnole est encore marquée par le franquisme.

Nouvelle étape  : El registro civil (l’état civil). On nous montre les vieux livres de « defunción »  : rien sur le décès du petit Antonio. Au registre des naissances, l’employée va demander à Mme la juge, qui répond  : « Nous n’avons rien  ; en 1966, une inondation emporta les documents ». Avant 1976, il y eut en Espagne beaucoup d’inondations non répertoriées par la météo  !

Eva enrage  : « Moi, j’ai toujours voulu savoir. Aujourd’hui tout coïncide  : je me souviens, j’étais petite, nous attendions le bébé  ; ma mère arriva seule dans un taxi. Je n’ai jamais cessé d’y penser. » Munie d’une lettre, signée le 10 mai 2011 par le père encore vivant, et adressée au registre civil n° 2 d’Albacete, Eva cherche une aiguille dans une botte de foin. La lettre du père dit  : « J’ai constaté que ni la naissance de mon fils ni la mort ne figurent dans le registre civil d’Alicante. Or, je l’ai vu vivant le 13 août 1963, et en bonne santé. Vu les doutes et le contexte, je veux savoir. » « Antonio est certainement un disparu en vie, comme des milliers d’autres. Il y a sans doute crime contre l’humanité, poursuit Eva. On m’a volé mon frère. L’État doit faire face à ses obligations  ; ouvrir une enquête judiciaire et des recherches génétiques. Nous demandons que le cercueil soit localisé, ouvert, et que le corps (s’il existe) soit examiné par un médecin légiste et identifié par test ADN. S’il est mort, nous voulons pouvoir l’enterrer dignement, dans une tombe, avec son nom. »

« Mais je suis convaincue qu’il est vivant. » Créée récemment, l’Association nationale des victimes des adoptions irrégulières, déjà plus de 1 000 cas recensés (El País, 27 mars 2011), a obtenu que le procureur général de l’État renvoie chaque cas aux tribunaux provinciaux concernés  ; une première petite victoire. Après la guerre d’Espagne, on évalue à 30 000 le nombre d’enfants de républicains confiés à l’Auxilio social de la Phalange et à des institutions religieuses, volés pour les « rééduquer », confiés à des familles bien-pensantes (franquistes). Par une loi du 4 décembre 1941, Franco autorise à changer le nom et le prénom des enfants ainsi « adoptés ». Il s’agissait, selon le psychiatre du régime, Vallejo Nágera, d’éradiquer le gène du marxisme, d’en rechercher les racines bio-psychiques (3). Jusqu’aux années 1950, ce vol d’enfants faisait partie d’un plan systématique pour éliminer les Rouges, et leurs idées.

On sait aujourd’hui, et cela a provoqué un véritable tsunami dans la société espagnole, que les mêmes réseaux de religieuses sans scrupule, d’avocats et de médecins ripoux, permirent des adoptions illégales jusqu’en 1987, date à laquelle on changea la loi (El País, 20 mars 2011). Dans le cas de Consuelo, l’acharnement fut à la fois politique et mercantile  ; la famille de Consuelo paya un très lourd tribut au franquisme. Antonio el Barajeño (le père de Consuelo), comme Juan José, Perico, José María, Sidro, Tate,etc. furent massacrés. Lorsque la famille déterra Antonio de la fosse commune pour lui donner une sépulture décente, elle retrouva sa pipe dans la poche de sa veste. Cette douleur est, pour nous tous, infinie. Pas question d’oublier  ! Nous cherchons, les larmes aux yeux et la rage au cœur, une consolation pour que Consuelo repose en paix.

(1) Lettre du 5 mai 1953, n° 29 340, 
ministère de la Justice, registre civil d’Albacete.

(2) Lettre du 23 décembre 1978, 
du directeur de la police d’Albacete.

(3) Feuille de service du lieutenant-colonel Antonio Vallejo Nájera, LGA  : B-382, 
Archives générales militaires de Ségovie.

Jean Ortiz, L’Humanité