La revue Europe a publié récemment un dossier consacré à cet important poète russe beaucoup trop méconnu. Poezibao reviendra prochainement sur cette publication, dans un entretien avec Jean-Baptiste Para.
Hier, comme je méditais sur la mort
Hier, comme je méditais sur la mort
Mon âme soudain s’est raidie
Jour de tristesse ! Dans la pénombre des bois
L’antique nature a fixé son regard sur moi.
L’angoisse de la séparation était si insupportable
Qu’elle m’a percé le cœur et qu’à ce moment
Tout est devenu audible : le chant nocturne de l’herbe,
Les paroles de l’eau, le cri minéral de la pierre.
Vivant, j’ai erré dans les pâtures
Et me suis dirigé sans crainte au fond des bois.
En colonnes transparentes les pensées des morts
S’élevaient jusqu’au ciel autour de moi.
On entendait la voix de Pouchkine au-dessus du feuillage,
Les oiseaux de Khlebnikov pépiaient au bord de l’eau.
J’ai rencontré une pierre impassible
Où se faisait jour le visage de Skovoroda1.
Il me fut donné de voir toutes les créatures,
Tous les peuples dépositaires de la vie impérissable,
Et moi-même je n’étais pas un enfant de la nature,
Mais sa pensée fluide, son esprit mouvant.
1936
Nikolaï Zabolotski, « La Fille laide et autres poèmes » in Revue Europe, numéro 986-987, juin-juillet 2011, p. 249
Hryhorii Skovoroda (1722-1794), poète et philosophe ukrainien. Considérée comme hérétique, son œuvre ne fut publiés qu’après sa mort et exerça une influence déterminante sur la pensée russe.
Biobibliographie de Nikolaï Zabolotsky
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