- Monsieur, machin !
Tiens, ça commence fort, aujourd’hui.
- Qu’est-ce que tu veux ?
- Je peux avoir… machin ?
- Tu préfères un machin ou un bidule ?
- ???
C’est tout moi, ça. Tenter de l’humour même dans les moments les plus désespérés. Le « machin » servant à désigner un objet suite à un trou de mémoire, et le trou commençant à devenir gouffre, je redeviens sérieux et retourne à mon mouton.
- Bon, explique-moi. C’est quoi, ton machin ?
- Heu… machin.
- Désolé, je ne comprends pas ce que tu veux.
- Je peux avoir… livre ?
- Bien sûr, je suis là pour ça. Livre, pardon, UN livre sur quoi ?
- Machin.
- Toi, tu veux ma peau ! Hein, c’est ça ?
L’expression « vouloir la peau de quelqu’un » comptant cinq mots et n’étant pas encore totalement assimilée, il ne réagit pas à mon brillant trait d’humour et attends stoïquement la suite. Je lui tends alors un roman pris au hasard sur mon bureau, « J’ai effacé la maîtresse » pour ne pas le nommer. Cela permettra peut-être d’éclaircir la situation, hein, qu’est-ce que tu en penses-tu-t-il ?
Il se saisit craintivement de l’opuscule, y jette un coup d’œil peu convaincu puis me le redonne, visiblement fort insatisfait.
- Non, livre machin !
- Tudjuuu ! Mais c’est quoi, un livre machin ??? Qu’est-ce que tu veux dire, et lire, exactement ?
- Football.
- Ah, d’ac-cord ! Tu veux un livre sur le football, c’est ça ?
- ^^.
- Tu ne pouvais pas me le dire ? Monsieur, est-ce que je peux avoir un livre sur le football ? C’est trop dur ?
- …
Oui, c’était trop dur.
- Bon, tiens, voilà un livre sur le football. « L’année du football africain 2010 », ça te va ?
- …
- Ça ne te convient pas ? Qu’est-ce que tu veux, alors ?
Il m’indique du doigt le présentoir à revue. Par une association d’idée dont je commence à avoir le secret, je traduis immédiatement sa requête :
- Tu veux le dernier numéro hors-série de Onze-Mondial, consacré à la coupe du monde ? C’est ça ?
- ^^.
Je lui tends l’objet tant recherché, dont il se saisit pieusement. Son visage est apaisé. Il a réussi sa mission et s’apprête à se plonger avec délectation dans les aventures de Messi et tous ses petits amis.
Lâchement, faisant passer son bonheur fugace et ma tranquillité d’esprit avant ma noble tâche pédagogique, je renonce à lui expliquer
la différence entre un livre et un magazine.