C’est désormais chose entendue et publiquement assumée, l’UMP et la majorité ont décidé de concentrer un tir de barrage sur les primaires socialistes, pour miner leur lancement. A première vue, c’est une stratégie sensée : Jean-François Copé et ses amis espèrent à la fois brouiller le message des primaires, en les déplaçant du terrain politique au terrain juridique (sont-elles légales ?), faire peur aux Français, en brandissant la menace du « fichage » (la leçon d’HADOPI a été retenue …), et enfin salir le processus en son ensemble, en réactivant toute une série de doutes sur la capacité du PS à conduire une élection (semi)interne sans fraude ou manipulation. Stratégie sensée, pour laquelle la droite déploie de gros moyens : les prises de parole des ténors UMP se succèdent sur ce thème, les éléments de langage sont martelés, et on nous annonce désormais une distribution de tracts massive. Le général Copé ne mérite-t-il pas ses galons de maréchal ?
Oui, mais.
Cette opération anti-PS est d’abord un assez cinglant aveu d’échec dans la maîtrise de l’agenda politique. Celles et ceux qui comme moi, défendaient les primaires en tant qu’instrument de politisation et de cadrage du débat public, peuvent voir aujourd’hui dans l’affolement général de l’UMP une sorte d’hommage du vice à la vertu : avant même d’avoir commencé, et alors même que l’on peut encore avoir des doutes sur la qualité de la confrontation auquel elles donneront lieu, les primaires ont déjà volé l’initiative politique à l’UMP. Il faut dire que la majorité reste sur quelques échecs cuisants en la matière, le débat sur l’Islam n’étant pas le moindre d’entre eux. Même si la partie ne fait que commencer, force est de constater que la droite a perdu, pour le moment, une des principales forces de Sarkozy en 2007 – la capacité à matricer le débat politique, à imposer son rythme et ses thèmes.
Mais ce n’est pas tout : le plan anti-primaires du parti présidentiel est en vérité, quand on l’étudie de plus près, complètement absurde.
Revenons aux fondamentaux. Toute stratégie peut-être évaluée à partir de quelques questions simples : que vise-t-elle ; qui vise-t-elle ; quels sont ses résultats attendus ? Reprenons l’argumentaire de l’UMP. Il se déploie à deux niveaux : d’abord celui de la légalité ; ensuite celui de l’intimidation et de la mise en garde des Français contre un processus dangereux pour eux. Le premier niveau est extrêmement clair. Il s’agit de prouver que le système inventé par le PS est illégal, anticonstitutionnel. Si cette démonstration fonctionnait, la conséquence directe en serait l’interdiction et l’empêchement des primaires socialistes, et donc une séquence de confusion et de désorganisation au sein du principal parti de gauche – qui serait en outre obligé de désigner son candidat par un congrès interne, avec toutes les dérives et suites chaotiques que l’on peut imaginer.
Seulement voilà. Ce premier niveau d’attaque ne fonctionne pas. Cela fait désormais plus de deux mois que l’UMP a annoncé officiellement le début d’une investigation à ce sujet, sans parvenir à soulever de lièvre suffisamment important. La page du site des primaires socialistes consacrée à leur légalité affiche même toute une série de trophées acquis dans cette bataille de tranchée : circulaire du Ministère de l’Intérieur aux préfets, avis de la CNIL, et, affront suprême pour la droite, un sauf-conduit délivré par Jean-Louis Debré au nom du Conseil constitutionnel. Cette première bataille fondamentale – celle de la légalité – semble donc perdue pour l’UMP ; reste le deuxième niveau, celui de l’intimidation. Et c’est à partir de là que la stratégie du parti présidentiel se brouille et entre en eaux troubles, faute d’objectif précis et concret.
Car une fois qu’il est établi que les primaires sont légales, le contexte change du tout au tout. Elles ne sont plus un problème national mais une question interne à une fraction de la société, la sphère socialiste, la gauche tout au plus. L’UMP et le gouvernement n’ont donc plus à s’en occuper : d’une part parce qu’on ne voit pas en quoi ils pourraient espérer avoir une quelconque influence politique sur cette partie de la population, d’autre part parce qu’en terme d’images, il n’est pas très avisé de montrer que la première préoccupation d’une majorité n’est pas le bien du pays, mais la guerre contre l’opposition. Qu’est-ce qu’un parti au pouvoir qui utilise son temps et son énergie à se mêler des affaires d’un autre parti, et donc à entraver la démocratie ?
N’ayant pas pris cette donne pourtant simple en compte, Copé a mis le doigt dans un engrenage infernal. Il lance une grande campagne pour expliquer que le PS va constituer un fichier de ses sympathisants et donc, en creux, de ses adversaires. Sur qui cette menace et cette peur peuvent-elles fonctionner ? Pas sur les sympathisants de gauche, qui, on l’imagine, se moquent bien d’être identifiés à gauche par un parti de … gauche. Les électeurs de droite sont donc la seule cible restante. Mais une fois la peur instillée dans leur esprit, quelle latitude d’action leur est-il donnée ? Signer des pétitions contre les primaires du PS, s’enchaîner à la porte des bureaux de vote pour en bloquer l’accès ? Dans cette phase de la campagne présidentielle, la préoccupation du PS n’est pas de s’adresser à l’ensemble des Français ou de ne pas déplaire à l’électorat de droite, mais de rassembler son camp autour de la désignation de son candidat. La campagne de l’UMP n’aura donc aucun impact sur les Français concernés par cette phase, si ce n’est peut-être, a contrario, en les mobilisant en défense autour du PS, tant la manœuvre est grossière et agressive.
Et ce ne n’est pas tout : non content de n’avoir aucune efficacité au regard des intérêts de l’UMP, ce plan d’attaque pourrait bien servir ceux du PS. D’ici à novembre, le parti socialiste a un seul problème : faire connaître un processus politique original à une population qui pratique de façon croissante l’abstention aux « vrais » scrutins, et convaincre celle-ci de s’y engager. Le principal défaut des primaires est en effet leur nouveauté, le manque de pratique et d’habitude démocratique autour d’elles. Or leur succès sera directement corrélé à leur taux de participation. Justement, en persistant à critiquer chaque détail des primaires, l’UMP permet fort simplement une sorte de « visite du propriétaire » et de démonstration gratuite du fonctionnement de celles-ci au grand public. Je serais curieux de comparer le degré de connaissance par la population française des primaires socialistes avant, et après, l’offensive UMP, qui risque de ne pas avoir d’autre effet que de renforcer la curiosité et l’intérêt … autour du dispositif socialiste.
Affoler en vain son électorat et faire, à grands frais, de la publicité pour son principal concurrent : on a connu mieux. Une fois la bataille de l’illégalité perdue, Copé et l’UMP n’avaient en réalité qu’une chose à faire, essayer d’étouffer les primaires pour amoindrir au maximum leur effet politique. Ce qui impliquait de se taire à leur sujet, de jouer discrètement leur pourrissement en pariant sur la propension à la division des socialistes, et idéalement de susciter un contre-feu politique conséquent à droite. Soit tout l’inverse de ce qui est actuellement fait, avec une débauche d’énergie et d’espace médiatique étonnante. Finalement, le bâton de maréchal attendra encore pour le général Copé.
Romain Pigenel