Lagdo :Des indemnisations pour démarrer une nouvelle vie

Publié le 22 juin 2011 par 237online @237online


Après les heurts ayant opposé les migrants à une société pressentie pour investir dans la région, le gouvernement vient de consentir une grosse enveloppe pour indemniser les paysans mécontents. Mais des tensions persistent.
Lagdo ce lundi 13 juin 2011. Dans la cour de la bibliothèque municipale de cette bourgade de la région du Nord, une foule de personnes attend. Sous un soleil de plomb, qui atteint parfois les 40° selon certaines autorités du coin, les paysans attendent l'énoncé de leur nom pour pénétrer à l'intérieur du bâtiment et obtenir le « sésame » : le chèque qui matérialise le montant des indemnités à percevoir.Un guichet de banque a été déplacé de Garoua (située à près de 70 Km), afin, d'après le sous préfet, d'éviter aux bénéficiaires le déplacement du chef-lieu de la région. « Nous sommes quasiment à la fin des opérations et tout se passe bien. A l'heure où nous parlons, plus de 90% des personnes expropriées ont déjà reçu leurs indemnités. Nous sommes en train de payer les retardataires et les cas litigieux », explique Nouhou Bello. Lui qui a dû personnellement convaincre les paysans d'accepter la modicité des indemnités proposées (50 000 Fcfa à l'hectare) vit comme un soulagement ce moment.

Commencée le 04 mai, l'opération aura concerné au total 3 081 personnes, réparties dans 26 villages de la région, dont 15 situés sur la rive droite du fleuve Bénoué et 11 sur la rive gauche. Soit un montant total de 296, 789 millions de Fcfa.

Conflit ethnico-religieux

Le paiement en numéraire de ces indemnisations vient ainsi apporter un début d'apaisement aux tensions qui secouent la région depuis 2000. Les populations paysannes, mécontentes de leur expulsion du périmètre agroindustriel du bassin irrigué de la vallée de Lagdo, s'étaient ouvertement opposées au démarrage des activités de la Société agroindustrielle de la Bénoué (Saib), une entreprise privée ayant reçu l'autorisation du gouvernement pour exploiter la zone. La querelle, qui avait pris les allures d'un conflit ethnico-religieux, a dû être résolue au prix fort : des indemnités payées, en plus de l'aménagement complet d'un site de recasement doté d'habitations et de parcelles de plantations, avec titre foncier au nom de chaque bénéficiaire.

Situé à une quinzaine de kilomètres du périmètre agroindustriel, le site de recasement présente les allures d'une forêt en friche. La végétation est encore verte. Les hautes herbes ne parviennent pas à dominer les arbres de taille moyenne qui se distinguent. On pourrait même s'y faufiler. « C'est un espace qui était encore inoccupé », confie Lonla Raymond, ingénieur chargé des travaux à la Société de Développement du Coton (Sodecoton). C'est cette société qui est chargée de l'aménagement du site.

Saut dans l'inconnu

D'une superficie de 5 300 hectares (ha), le site est situé aux confins des départements de la Bénoué et du Mayo Rey. La voie principale, d'une longueur de 14 Km, donne d'ailleurs sur la route menant à Rey Bouba. Les travaux d'aménagement et de viabilisation du site, qui devraient être livrés à la fin du mois de juillet, d'après les assurances de l'entreprise qui les effectuent, prévoient l'ouverture de 25 km de pistes pénétrantes, la construction d'ouvrages d'art, ainsi que le défrichage de 3 500 hectares de forêt. Il est prévu également le terrassement et la délimitation des zones d'habitation qui devraient occuper 500 hectares, le piquetage de 3 500 hectares de parcelles agricoles et la délimitation d'une zone de pâturage de 500 ha. Huit forages équipés de pompe à motricité humaine sont annoncés, de même que 12 salles de classes, deux blocs administratifs, six latrines et 02 logements. Un bâtiment complet équipé devrait servir de centre de santé, électrifié, comme pour tout le site, par un réseau monophasé aérien sur 15km. « Comme ce site est un peu éloigné des villages dans lesquels se trouvent ces populations, il était question d'aménager un espace, sous forme d'habitations, pour que ceux qui estiment que les champs sont éloignés puissent avoir sur place un accès décent », explique le maire de Lagdo, Mama Abakaï, qui se réjouit de voir sa localité bénéficier directement « d'investissements de près d'un milliard de francs et demi, hors les indemnisations qui ont été faites et des dons de semences et d'engrais promis par le ministre de l'Agriculture et du développement rural ».

Pour certains paysans rencontrés cependant, même si le geste du gouvernement est le bienvenu, les réticences observées restent liées à la peur d'effectuer ainsi un énième saut dans l'inconnu. Comme il y a trente ans, lorsque des camions partis de Lagdo, allèrent les chercher dans leur Extrême-nord natal.

Réactions

Mama Abakaï (maire de Lagdo):« Ceux de la rive droite pourront eux aussi faire l'objet d'un déplacement »

« L'opération ne consistait pas à détruire les villages. Il était question que ceux qui ont des parcelles dans le périmètre industriel soient recasés. C'est-à-dire que si vous aviez un hectare, on vous rend le même hectare dans le site de recasement. Mais comme ce site est un peu éloigné des villages dans lesquels se trouvent ces populations, il était question d'aménager un espace, sous forme d'habitations, pour que ceux qui estiment que les champs sont éloignés puissent avoir un accès décent. C'est rare en 2011 de voir une localité qui bénéficie directement des investissements de près d'un milliard et demi de Fcfa, hormis les indemnisations qui ont été faites et les dons de semences et d'engrais promis par le Minader. L'indemnisation a donc concerné ceux de la rive gauche (où se trouve le périmètre industriel de la Saib) et il y a ceux de la rive droite qui pourront eux aussi faire l'objet d'un déplacement, puisqu'il y a plusieurs sociétés qui frappent actuellement à la porte. »

Sioumou Valentin (paysan):« Il reste plusieurs problèmes »

« Les négociations ont été très difficiles dès le départ. Certains d'entre nous ont même été emprisonnés. Mais à la fin, on s'est rendu compte qu'il ne s'agissait que d'un simple malentendu avec les autorités. Aujourd'hui, tous les différends sont en train d'être réglés. Le nouveau site est bien, il nous convient. Au moment des négociations, le principe d'une indemnisation a été arrêté. Même si c'est peu, nous prenons. On nous a rassurés que le sol est bon pour la culture des arachides et du mil. On nous a promis des titres fonciers et que le terrain de chacun sera borné. Mais il reste plusieurs problèmes. Certaines personnes qui ont été recensées n'ont pas leurs noms sur la liste, certains ont vu leurs parcelles réduites. Après les paiements, une réunion est prévue avec les chefs traditionnels et les autorités de Garoua, afin de trouver une solution à ces problèmes. »