Le député européen, vice-président de la commission de l'Agriculture du parlement européen explore les contours de la « souveraineté alimentaire ». Non sans analyser la marche réprimée des paysans récemment à Yaoundé et celle qui est prévue le 30 août.
Le 31 mai, vous avez adressé à Mr Bernard Njonga et à l'ensemble des militants de l'Acdic, un message d'encouragement et de soutien suite à la manifestation réprimée par les forces de l'ordre à Yaoundé. Vous avez, par la même occasion salué les efforts dans la lutte pour la "souveraineté alimentaire au Cameroun". Comment percevez-vous cette lutte à partir de Bruxelles? Quels en sont les fondements et les dynamiques?
Depuis Bruxelles, je perçois la lutte des paysans du Cameroun pour la souveraineté alimentaire comme l'expression d'une nouvelle modernité ancrée concrètement dans le local et qui questionne l'ordre global. Elle entre en résonance avec les manifestations des éleveurs laitiers européens qui sont ruinés par la vision libérale de la Commission européenne qui continue d'appliquer froidement des décisions prises en 2008 alors que la réalité sociale et politique a été profondément bouleversée. Les femmes et les hommes politiques de la planète sont dépassés par la rapidité des changements. Ils s'efforcent à la va-vite de trouver des solutions qui ne sont que des replâtrages hâtifs, des rustines.
La société civile développe une vision à plus long terme qui n'est pas dépendante des échéances électorales. Je pense qu'il est urgent et nécessaire de construire des espaces et des temps de rencontre qui permettent un véritable dialogue entre les associations, comme l'Acdic au Cameroun, les syndicats et les décideurs politiques. Ces échanges doivent être constants et fluides et ne peuvent pas être réduits aux périodes de campagnes électorales. Le droit de manifester permet à des citoyens de se mobiliser et d'exprimer un point de vue et des propositions, d'interpeller les autres secteurs de la société. Ce droit est indispensable pour le fonctionnement d'une démocratie moderne. La tentation est grande parfois, pour les autorités publiques, de le restreindre voire de l'empêcher en arrêtant les personnes qu'elles considèrent comme les meneurs. En relâchant rapidement les militants arrêtés le 31 mai, les autorités camerounaises ont, me semble-t-il, montré qu'elles aussi entendaient privilégier la concertation.
A quoi renvoie pour vous le concept de " souveraineté alimentaire"?
La souveraineté alimentaire est le droit pour un pays ou un groupe de pays, de définir librement la politique agricole qu'il entend mettre en œuvre pour satisfaire les besoins alimentaires de sa population tout en développant harmonieusement son économie et son agriculture sans que les choix pris n'aient d'impacts négatifs sur les citoyens d'autres pays. Depuis la mise en place de l'Omc (Organisation mondiale du Commerce, Ndlr) en 1993, les Etats se sont vus retirer cette responsabilité. La libéralisation des échanges de matières premières agricoles a été imposée dans de nombreux pays par la baisse graduelle des droits de douanes sur les importations. Pendant une quinzaine d'années les prix sur les marchés mondiaux étaient très bas, et les paysans du sud, ont été ruinés par l'arrivée de blé, de maïs ou de poulets congelés qui étaient vendus à des prix inférieurs à leurs coûts de production. Incapables d'investir, acculés à la faillite, ils ont été des millions dans le monde, à abandonner la production agricole pour aller s'entasser dans les grandes villes. Depuis 2007, la tendance s'est inversée pour de nombreuses raisons (développement des agro-combustibles et spéculation financière essentiellement). Le prix de l'alimentation s'est envolé. Les pays qui dépendent de l'extérieur doivent maintenant payer des centaines de millions d'euros, voire des milliards, comme en Égypte, pour se nourrir. Le piège s'est refermé sur eux. La souveraineté alimentaire est un droit qui permet à des pays comme le Cameroun de dire Stop. Arrêtons les importations qui nous mettent à genoux et développons nos cultures locales.
En toile de fond de ce combat, se profile et s'affirme la fin des importations de certains produits. Jusqu'où croyez-vous que les paysans camerounais soient allés? Quel est l'horizon de ce combat? Quelles sont leurs "armes" face aux pouvoirs publics?
Je suis venu à plusieurs reprises au Cameroun, la dernière fois en décembre 2010. Je suis frappé par le potentiel agricole de ce pays et surtout par la diversité de ses terroirs. Du sud au nord du pays, des plaines à la montagne, une variété extraordinaire de climats, de sols, permettent de développer des productions complémentaires. Au XVIème siècle, Sully, ministre du Roi de France Henri IV déclarait « Labours et pâturages sont les mamelles de la France ». Cette formule s'adapte parfaitement bien au Cameroun qui doit en premier lieu générer ses propres richesses alimentaires. Les paysannes et les paysans camerounais que j'ai rencontrés souhaitent vivement développer leur agriculture. Pour y parvenir, ils ont besoins d'un environnement économique prévisible qui leur permette d'investir dans l'avenir. L'objectif à terme est de réduire graduellement les importations des produits de bases. Cette réorientation, de la dépendance vis-à-vis de l'extérieur vers la souveraineté alimentaire, doit se faire graduellement pour ne pas créer de ruptures d'approvisionnement et aggraver la situation des populations urbaines les plus démunies. La meilleure stratégie pour les paysans camerounais est selon moi de maintenir et d'amplifier le dialogue qu'ils ont avec les consommateurs. La bataille contre le poulet congelé est à se titre exemplaire. Les intérêts des producteurs et des consommateurs ne sont pas contradictoires ; au contraire.
Vous avez été associé intellectuellement et parfois physiquement à ce combat. Sans qu'on sache quelles étaient vos motivations réelles...
J'ai participé effectivement à une marche pacifiste à Yaoundé de soutien aux éleveurs de volailles, comme j'ai participé à de nombreuses manifestations en France et dans d'autres régions de la planète. Via Campesina, mouvement international paysan, dont j'étais un des porte-parole s'est toujours mobilisé pour créer une solidarité mondiale entre les paysans familiaux du nord et du sud de la planète. C'est grâce à cette réflexion globale que nous avons réussi à faire naître l'idée de la souveraineté alimentaire. Sans cette interaction entre les paysans d'Europe, d'Asie, d'Afrique et d'Amérique, nous n'aurions jamais pu avancer. La solidarité n'est pas à sens unique. De nombreux militants, dont Bernard Njonga, sont venus en France nous apporter leur soutien lorsque nous en avons eu besoin.
Dans votre lettre du 31 mai, vous avez ouvertement regretté de n'avoir pas pu vous rendre au Cameroun. D'abord pour quelle raison vous n'êtes pas venu au Cameroun? Peut-on s'attendre à vous voir aux côtés de ces paysans le 30 août prochain, date retenue " pour poser publiquement la problématique de l'agriculture au cœur de la campagne électorale pour la présidentielle de 2011"? Quel sera votre rôle à cette période politiquement délicate?
Je suis élu au Parlement européen depuis juin 2009 et pour moi, il est fondamental de répondre à la confiance que des électeurs et des électrices ont placé en moi. L'Union européenne doit réformer sa politique agricole commune en 2013. Les séances de travail de la Commission de l'Agriculture, dont je suis un des vice-présidents, me permettent de faire avancer la question de la reconnaissance du droit à la souveraineté alimentaire. Fin mai, les réunions que nous avions à Bruxelles, ne me permettaient pas de m'absenter pour me rendre au Cameroun. Comme vous l'avez remarqué, mon absence physique ne m'a d'ailleurs nullement empêché de suivre de près ce qui se déroulait à Yaoundé et d'apporter mon soutien aux agriculteurs. Le 30 août 2011, je ne doute pas que je saurai d'une manière ou d'une autre joindre ma voix à celle des paysans qui manifesteront. Qu'ils veuillent se faire entendre lors de la campagne électorale, quoi d'anormal? C'est très bien penser.