Je fais sans doute partie de ceux, nombreux depuis, disons, Joyce et Breton, qui estiment possible, souhaitable, marrant, de s'atteler, mine de rien ou de beaucoup, au réenchantement de la Littérature. A son niveau, bien sûr modeste. Tu penses !
Réenchantement de la chose littéraire qui, assez curieusement, passerait par la fin (une certaine fin) du roman. Une mise à distance du fictionnel, du récit, du personnage, du dialogue intérieur, du point de vue, du dialogue, de la description. Un légitime soupçon. Tout ce qui ne présente qu'une seule face, qu'une pauvre semblance de logique, m'émeut par sa candeur inutile. Les trois quart des "romans-romans" : je ne vois pas pourquoi on les lit, encore moins pourquoi on les écrit. Quel est le but : faire des piles, de beaux alignements ? S'ajouter à Montaigne ? Boire des coups au Deux Magots et avoir son rond de serviette chez Lipp ? Passer à la télé ? Se gratter un prurit mental ?
C'est qu'on en a tant vu. Tant lu. On écrit toujours trop, toujours trop tôt. On ne vit pas assez. Cette illusion de vivre, en tout cas, où l'on patauge, où l'on marine d'un coeur plus ou moins léger. On ne prétend pas à plus. On voudrait comprendre une fois pour toute : mais enfin c'est quoi toute cette histoire de littérature ? Le dernier roman que j'ai fini de lire, j'en suis sorti en me demandant ce que je foutais là. Ou devrais-je revenir à mes lectures d'antan, jamais de roman, jamais ?
Tant de phrases tracées, jetées là, qui n'ont de sens que pour leur auteur, et encore, ce n'est pas bien certain. La poésie, ah oui j'oubliai, la poésie. "Poème : n.m. Texte emmerdant".
Il y a des jours on voudrait plus. Plus des autres et plus de soi-même. Je lis le blog charmant et blablateur de Pierre Assouline. Je me dis "peut-on être plus manipulateur ?" Je lis le blog de François Bon. Il a quelque chose, mais quelle raideur, quel bricolage à la Tryphon Tournesol, quelle mollesse derrière la sécheresse. Et ses potes du Tiers-Livre. Quel ripolinage sur graphomanie agravée. Tout ça après les versions originales, Perec, Butor, que sais-je. On ne peux pas trop se décreter soi-même "hypermoderne". Ce serait comme vouloir sauter par-dessus soi. Faisons la chose : on ne dira ce que c'est qu'après. On jugera le prophète à la prophétie.
Répéter, alors ? Singer, alors ? A-t-on bien appris la leçon ? L'a-t-on bien déconstruite ? La littérature, au bord, donc, d'un réenchantement toujours possible ; mais combien d'efforts, combien d'efforts encore ? Dois-je coller le mode d'emploi Ikea dans mon texte pour faire vraiment moderne ? Dois-je mettre toutes mes bonnes feuilles sur le web comme on renverse ses poubelles du haut des immeubles, dans la cité ? Ne devrais-je pas au préalable les passer à la flamme, pour voir dans ces premières nuits de l'été monter leurs serpentins brûlants ?