Insight et Count Bass D réaniment le rap

Publié le 22 juin 2011 par Musicisnotajoke

Insight est Dj, producteur, MC et depuis peu, concepteur d'applications pour I-Phone. Il a déjà collaboré avec Edan, Edo G, Ag et OC du D.I.T.C sans oublier Mr Lif. Count Bass D fut un étroit collaborateur de Mf Doom. Il est poly intrumentiste, dj, producteur, Mc et à ces heures perdues chanteur. Tout deux se sont associés le temps d'un album. Il reviennent sur la genèse de "The Risk Takers", un album qu'il place sous le signe de l'hédonisme, de la complicité et de l'espoir en ces temps d'aphasie dans le monde du disque.


Pourquoi avoir travaillé sur un album en commun alors que vous êtes tout les deux connus pour votre indépendance de caractère et des discographies déjà gargantuesques ?
Insight : J'avais déjà collaboré en groupe avec Electric Company. J'ai aussi fait travaillé avec Damu sous le nom Y Society et avec un producteur japonais Shin. Mais c'est vrai que cette collaboration est la première avec un alter ego qui produit, rappe et scratch. C'est ce qui m'a motivé à travailler avec Count Bass D. On a dans ce cadre là pas de problème à se comprendre. Il y a des automatismes qui se créent d'eux-mêmes.
Count bass D : Je viens de sortir un projet avec Dj Pocket. Mais c'est vrai que je ne collabore que rarement. J'avais entendu parlé de Insight par Edan qui m'en faisait des louanges. J'ai écouté plus attentivement et découvert l'ensemble de sa discographie avant de rentrer en contact avec lui. Et puis nous avons sympathisé et l'idée de ce projet est né comme ça de manière naturelle et spontanée.
Est-ce que vous vous retrouvez dans l'appellation Boom Bap ?
Insight : Oui et non. Je pars du principe qu'il faut bien des termes pour expliquer les choses mais en même temps ça les réduit considérablement. Le Boom Bap renvoie à une manière de produire et je pense que oui, je fais partie de cette famille là. Le problème, c'est qu'aujourd'hui le boom bap est mis à toutes les sauces et il représente une scène moribonde qui essaye de sonner comme à l'époque. Il faut faire ce que l'on ressent et ne pas oublier d'être soi-même à défaut d'être original. Le revival qu'il y a en ce moment est pénible car il pompe de manière très "surfaite" ce que d'autres faisaient il y a déjà quinze ans. Quand tu écoutes par exemple 45 King, ces morceaux sont intemporels et il n'a eu de cesse de se renouveler.
Count Bass D : Je rejoins Insight sur le fait que la nostalgie n'a jamais été un bon moteur pour faire de la musique. Le Boom Bap, ça n'est pas plagier ce qui a été déjà fait. C'est une conception de voir la musique, de travailler à partir de samples. Rien de plus. Parti de ce postulat, tout est possible.
Count, tu as fait l'expérience d'être en major au début de ta carrière. Insight, tu as travaillé avec beaucoup de labels indépendant. Insight, est-ce que l'expérience en major est quelque chose qui tente ? Count, quel bilan fais-tu de ta carrière dans le disque, entre major et indépendant ?
Insight : Je ne pense pas que signer en major soit aujourd'hui une solution alors qu'hier encore, c'était une solution peut adaptée à la création. On te donne une avance, c'est confortable mais on peut décider à tout moment de l'arrêt ou non de ta carrière, de la vie ou la mort de tes créations. Aujourd'hui, les majors proposent des contrats à 360° alors qu'elles sont de moins en moins impliqués dans la vie d'un artiste. C'est grotesque. Donc je pense que l'industrie du disque doit être repensé de A à Z. Et les artistes doivent faire parti intégrante de ce changement. Il y a énormément d'opportunités qui sont à saisir et que l'industrie du disque ne parvient même pas à entrevoir.
Count Bass D : Mon premier album est arrivé chez Sony. Je ne regrette pas cette expérience. J'étais jeune et ça m'a permis de gouter à cela. Mais je crois que j'ai été signé sans vraiment savoir pourquoi et je pense que Sony ne le savait même pas eux-mêmes.
Comment s'est construit l'album ?
Insight : De manière complètement empirique. J'ai allumé la MPC. On est parti de la conception de beats. Je n'avais pas produit depuis un moment et j'ai retrouvé le plaisir de produire instantanément. J'avais perdu cette sensation car la plupart des beats que je faisais provenait directement du séquenceur que je me suis installé sur Mac. Le simple fait de retrouver l'ergonomie de la mpc, c'était magique.
Count Bass D :
C'est vrai qu'à ce moment, j'étais embourbé dans des problèmes d'ordre pratique et j'ai commencé à produire. Je suis incapable de produire à la commande. Je produis comme je le ressent. Je n'utilise plus de samples et nos styles étaient trop aux antipodes. Du coup, j'ai laissé plus de place à Insight pour la cohérence du projet. J'ai produit un son et un interlude qui collent bien à la couleur de l'album. Mais ça n'est que partie remise. Sur une suite, nous ferons l'inverse.
Insight : Count est vraiment bon. On aurait peut-être dû travailler sur des bases de morceaux ensemble et après les étayer mais j'aime l'idée que Count ai pu écrire sur des morceaux qu'il ne produisait pas. Je l'avais fait dans Y Society et sur Shinsightrio. Et là j'étais content de l'entendre sur mes productions et voir l'alchimie que cela pouvait donner. Tout de suite, j'ai vu que cela fonctionnait et après seulement j'ai posé et là je me suis dis qu'on tenait quelque chose de vraiment intéressant. De complémentaire et très différent en même temps.
Quelle est la différence entre produire pour des tiers et sur un projet comme celui de "The Risk Takers" ?
Insight : La frustration. C'est la grosse différence. Quand tu envoie des beats pour un gars. Il prend ce qui lui plait sans forcément comprendre ce qui lui correspond le mieux. Rares sont les mCs qui choisissent les bons beats, ceux qui leurs correspondent le mieux. Tu n'as que trop rarement l'occasion de suivre toutes les étapes qui mènent à la réalisation ou au mastering. J'ai bossé avec Lif et très vite, je n'ai plus eu la possibilité de mixer les morceaux et d'y apporter ma touche. Faire juste de la prestation, c'est finalement assez pauvre. Sur un projet comme "The Risk Takers", on a pu travailler dessus, échanger, revenir, peaufiner sans être pris dans les affres d'un agenda. Nous étions tout les deux impliqués et il y a eu un dialogue permanent.
Count Bass D : Lorsque d'autres artistes veulent collaborer avec toi. C'est parce qu'ils veulent ton nom ou qu'ils cherchent juste le son parfait pour leur morceau. Trop rares sont ceux qui savent exactement ce qu'ils attendent de toi et d'une collaboration. Travailler sur tout un album, c'est plus fastidieux mais ça permet de créer l'échange nécessaire, le dialogue pour créer un projet collectif.
Comment voyez-vous l'industrie du disques actuellement ?
Insight :
Beaucoup disent quelle est morte. Ce sont ceux-là même qui ne jurait que par elle, il n'y pas si longtemps. Je pense qu'il est encore possible de vivre de sa musique mais pas dans les sentiers déjà éculés depuis des années. Il faut créer de nouveaux modèles business, trouver des idées originales. Créer du contenu indéit sur I-phone, des applications qui donnent envie au gens de te découvrir, d'acheter quelque chose de ludique sinon c'est mort. Sortir des mix-tapes pendant des années pour faire du buzz, c'est ce qu'on fait les mC's amércians depuis des années, qui en est sorti de ce système de promotion. Pas grand monde alors que tout le monde avait Papoose sur les lèves ou Saigon et pourtant ça n'a pas explosé pour autant. Tout les mc's qui émergent aujourd'hui sont ceux qui ont su utiliser le net. Il y a encore pleins de choses à faire.
Count Bass D : Je fais beaucoup de business à partir du web et e mon site. C'est important d'avoir un lien direct avec ta fan base. Avant tu cherchais juste à toucher le plus de gens possible, aujourd'hui, je crois que tout les artistes cherchent à fédérer leurs fans et à leur offrir des projets qu'ils pourront commander en direct. Ce genre de choses qui limitent les intermédiaires car il y a moins d'argent.
Qu'est-ce qui a animé ce disque "The Risk Takers" ? A l'écoute, il y a un côté très libre, je ne dirais pas du freestyle mais très proche de l'album qui s'élabore comme un cadavre exquis. L'un d'entre vous commence et l'autre finit sans vraiment savoir au préalable où ça va. Je me trompe ?
Count Bass D : C'est vrai et ça l'est encore plus sur les morceaux avec Pace Won et Kool Keith car ils ont débuté et nous nous sommes collés à ce qu'ils ont fait. On est pas parti dans des thèmes trop formalisés à l'avance. Souvent Insight m'envoyait les beats et puis il rappait dessus et il me laissait des marqueurs. Je me suis dit que ce serait pas mal de poser des refrains, d'amener ce côté un peu chanté et une fois qu'on a eu la trame générale. On a fait ça proprement. J'ai écouté de nouveau le projet et je trouve qu'il y a une certaine fraîcheur. Quelque chose de simple, d'efficace, qui est tout de suite identifiable. Ce côté immédiat et spontané, c'est ce qu'il y a de plus dur à avoir. Ca repose sur rien de tangible. Juste sur l'alchimie et ce qui s'est dégagé durant la conception du projet.
Insight : J'aime quand ça va vite et que les idées fuse. Ce qui est intéressant, c'est le moment où tu as une image mentale de ce que tu va faire et le moment où tu donnes corps à ce que tu avais en tête. Après le reste est plus fastidieux. Le mixage et le reste. Mais ce moment là, c'est le moment où tu tutoie les dieux et c'est vrai que sur "The Risk Taker", il y avait ce côté ou tu sais que tu peux te reposer sur l'autre. D'habitude, je fais des longs morceaux parfois sans chorus, sans rien avec 6 minutes de rap et là tu sais qu'il faut laisser des respirations, qu'il y aura des chorus. Parfois on a même laissé trainer certains instrus. On a bossé sans cadre pré-établi mais ça a donné quelque chose de frais.

Certains morceaux, l'esprit de la pochette renvoie à ces vieux films de science fiction où de la conquête de l'espace. Il y a un esprit très années 50 début 60.

Insight : Musicalement, j'avais envie de mélanger des ambiances assez énervé et puis j'ai commencé à digger et à regarder où je voulais aller. J'ai pris effectivement pas mal de choses de cette période et puis Amine, le A&R du label, m'a envoyé la pochette est je trouvais que ça collait super bien à l'esprit du projet. c'est un espèce de concept post moderniste où des astronautes viennent à découvrir tout les supports de la musique d'autrefois. Tout ce qui rendait matériel la musique et tout ce qui l'incarnait et ça en plein milieu de nul part, dans l'espace. Comme si aujourd'hui, la musique était un grand gouffre sans support, complètement immatériel. Je trouve que c'est une belle parabole de ce qui se passe en ce moment.