Ce qu’il y a de bien avec les services publics à la française, c’est qu’on n’est jamais au bout de ses surprises. Les transports en commun, que j’avais déjà évoqués dans de précédents billets (comme celui-ci) n’échappent pas à la règle : tous les jours, c’est foire.
Et pour le cas parisien, la RATP nous propose un combo gagnant, Foire & Daube-Ta-Face™, dans un même mouvement généreux. Après tout, puisque Paris est la capitale du monde moderne, la ville lumière éclairant de ses mille feux la direction à prendre pour découvrir un futur toujours plus rigolo, autant la doter d’une régie de transports publics digne de son éclat radieux !
Pour la partie Foire, c’est du très grand classique en France. On est ici sur du cousu main, de la haute-couture syndicale, puisque, ne l’oublions pas, la RATP est la référence mondiale en matière de débrayage d’une certaine catégorie d’agents.
Oui, c’est bien d’une nouvelle grève dans les RER et métros parisiens qu’il s’agit ici : ce mardi (hier donc) fut encore une journée de pénibleries, de vexations et d’emmerdements divers pour les Franciliens qui transitaient et que les abrutissants communicants de la société publique continuent obstinément à appeler usagers en lieu et place de clients.
Cette nouvelle épidémie de barbecues merguez/frites fait suite à une précédente attaque de sommeil qui était survenue le 13 mai dernier (un mois avant, donc). La fréquence des défections soudaines d’agents, pour des journées entières, pouf, comme ça, devrait largement inquiéter les services médico-sociaux : tout ce stress et ce malaise qu’expriment les personnels de cette valeureuse entreprise montrent bien que le service public, avec ses méthodes de management douteuses et ses cadences infernales, brisent les êtres les plus solides.
D'ailleurs, les suicides réguliers dans l'Education Nationale, dans les ministères (écologie, travail, etc...) et dans les entreprises publiques (même vaguement privatisées) montrent un vrai problème de fond dans les entreprises placées dans le giron de l'état (ou qui en sont péniblement sorties). On s'étonne au passage de ne pas trouver de chiffres aussi catastrophiques dans entreprises comme Microsoft, Google ou Coca-Cola, pourtant réputées absolument capitalistes, renards libres dans le poulailler libre, loup pour l'homme, etc...
Une longue tradition de grève dans les transports parisiens : en 1891, déjà …
Mais baste, glissons et retenons essentiellement que ce mardi aura été un nouveau jour de grève pour les vaillants forçats du rail. La journée avait pourtant été placée sous les auspices d’une fête de la musique frétillante où des pièces de 2 Euros avaient été sorties spécialement pour l’occasion, pour fêter le 30ème anniversaire d’une réjouissance citoyenne et rigolote et, sans doute, célébrer la solidité du pacte européen, de sa monnaie unique et … ahem bon bref.
Si la RATP s’arrêtait ici, elle n’aurait été que jusqu’à la moitié de son mandat: la Foire. C’eut été un peu court, et elle peut mieux faire. Elle a donc lancé, aujourd’hui, son label Daube-Ta-Face™.
Vous pouvez rire, il y a bien des institutions républicaines qui ont des labels PUR, hein.
Ce nouveau label permet aux responsables de la société publique de se moquer ouvertement des contribuables et des usagers (rappelons que les clients, ça n’existe pas chez eux) en leur proposant, en toute décontraction, de payer pour des choses qu’ils ont déjà dû acquitter, le flingue sur la tempe (ou la menace d’icelui).
Je m’explique.
Comme vous ne le savez sans doute pas (l’information est soigneusement cachée, bien que logique), la RATP fait des pertes abyssales et régulières. À ce titre, le prix des billets payés par les usagers ne couvre en réalité qu’un petit 50% du coût réel du transport effectué.
Et notez que même à ce prix là, on doit lutter pour trouver des trains à l’heure, pour être trimbalé comme des bestiaux dans leurs wagons qui puent, pour arriver en retard et se faire dépouiller dans des gares glauques et mal sécurisées, si, avec un peu de chance, on ne s’est pas fait copieusement engueuler par un contrôleur en mal d’affection ce jour là.
Ce qui veut donc dire que le reste (la dette de l’entreprise et ses déficits récurrents) est payé … par les contribuables, trop heureux de « contribuer » obligatoirement à la bonne marche d’un moyen de transports qu’une bonne partie évite pour des raisons de santé (physique ou mentale).
Eh bien on apprend, par le truchement d’une affaire qui se dirige vers un règlement en justice, que malgré les largesses (financières et de patience) des usagers et des contribuables, l’entreprise entend bel et bien faire payer ce qui est normalement devenu « gratuit » (i.e. payé par tous) : la RATP a demandé à Apple de supprimer de l’App Store l’application CheckMyMetro, qui fait concurrence à sa propre application … payante.
CheckMyMetro est une application permettant essentiellement de disposer d’un plan du métro parisien, de divulguer — en bonne application sociale — des informations pertinentes sur les stations qu’on traverse comme la présence de musiciens, de points d’intérêts, de contrôleurs, ou de blocages divers (allant sans doute de l’accident de barbecue au déraillement de merguez ou que sais-je encore). L’application permet en outre de consulter les horaires — indicatifs, les horaires, hein — des métros et RER de la région parisienne.
La RATP n’est pas contente : ces données sont les siennes, après tout, quoi, merde.
Il y a deux raisons de tiquer, ici.
D’une part, on peut se demander qui, de nos jours, croit encore aux horaires affichés pour les trains, les métros, les bus : cela fait longtemps que les usagers savent que ce sont des petits chiffres assemblés plus par magie et incantations vaudou que par réelle observation du trafic. Soyons sérieux deux minutes.
D’autre part, si ces données appartiennent à la RATP, comme la RATP appartient à l’état, les données appartiennent à l’état, et donc, pour faire court, … aux contribuables, ensemble plus vaste encore que celui des usagers.
On comprend dès lors l’étonnement (pour ne pas dire l’agacement) du fondateur de CheckMyMetro dans son billet à ce sujet. D’autant que la directive européenne Open Data pousserait plutôt à la transparence des services publics pour ces données…
Mais voilà : le brave homme ne sait pas qu’il est ici confronté au label Daube-Ta-Face™ de la RATP : de même que le contribuable n’existe plus pour n’être qu’un moutontribuable bêlant et transi de froid, le client n’est plus qu’un usagé qu’on pourra faire raquer de tous les côtés.