J'ai connu un temps où la principale pollution venait de ce que les gens secouaient leur tapis par la fenêtre. (Gilbert Cesbron)Avez-vous entendu parler du réglement européen REACH ? Si vous travaillez pour une entreprise qui importe ou utilise des produits chimiques, c'est sûrement le cas. Elle constitue une véritable révolution dans le secteur de la chimie.
Une innovation législative
Il m'est déjà arrivé dans ce blog de signaler que l'innovation n'est pas forcément technologique. Voici un bel exemple.
Le réglement REACH (acronyme de Registration, Evaluation and Authorisation of CHemicals) est une approche radicalement nouvelle de la régulation des produits chimiques.
Auparavant, les gouvernements autorisaient implicitement l'usage de tout produit chimique qui n'avaient pas fait l'objet d'une interdiction. Cette méthode devenait intenable devant la prolifération des nouvelles substances chimiques disponibles, les parlementaires n'arrivant plus à suivre. De plus, les interdictions intervenaient souvent à la suite d'un problème sanitaire ou environnemental. Enfin, tant que la preuve de la nocivité d'un produit chimique n'était pas démontrée, le lobbying des industries concernées permettait de poursuivre l'exploitation de véritables poisons, dont les conséquences interviennent parfois bien après l'exposition. Pensez à l'amiante, par exemple.
L'innovation de REACH consiste, simplement, en un renversement de la charge de la preuve. Après une phase de transition actuellement en cours, ce seront les industriels qui devront démontrer l’innocuité des produits chimiques pour l'être humain et pour l'environnement qu'ils veulent utiliser.
Notons au passage que cette réglementation nouvelle est également un moteur d'innovation, puisque les industriels sont incités à changer leur mode de production polluants s'il existe une technologie de substitution. L'absence d'une telle technologie est la principale clause autorisant l'utilisation future d'une substance chimique dangereuse ou polluante.
Le renversement comme moyen d'innover
L'idée générale du renversement d'une habitude n'est pas neuve, mais elle permet souvent d'innover. Ainsi, Carl von Linné, le célèbre naturaliste, a inventé un système de nomenclature des espèces vivantes, mais il a surtout eu l'idée de renverser le problème de la classification. Avant, un naturaliste découvrant un animal cherchait à le classer dans une catégorie pré-existante, définie par des critères divers, et s'il n'y arrivait pas, il devait en créer une nouvelle. Mais comment être sûr qu'un animal, notamment lorsqu'il s'agit d'un fossile incomplet, appartient à telle ou telle catégorie ? Est-ce que les critères choisis pour définir une catégorie d'animaux sont bien choisis ? Et quid des animaux mal-formés ou amputés ?
Linné a renversé le problème : désormais, en cas de doute, on attribue à l'animal (ou le fossile) un nouveau nom d'espèce. Une espèce est donc définie par un représentant que l'on conserve (empaillé, dans du formol...), et non plus par des critères empiriques. Cela risque éventuellement d'attribuer plusieurs noms à une même espèce, qu'on pourra éventuellement identifier par la suite, mais on évite un tas de difficultés liées à la définition de critères d'appartenance pour chaque espèce.
Vers la chimie verte
Une conséquence attendue de REACH est d'inciter les industriels à substituer des produits chimiques moins dangereux à ceux utilisés aujourd'hui.
Globalement, il s'agit d'orienter l'industrie chimique vers ce que l'on appelle la chimie verte. Celle-ci vise par exemple :
- à produire moins de déchets,
- à éviter l'utilisation de substances dont les atomes n'entrent pas dans la composition du produit final,
- à éviter les substances dangereuses pour l'homme ou l'environnement,
- à remplacer des méthodes chimiques polluantes par des procédés chimiques propres ou par des procédés physiques,
- à minimiser l'utilisation d'énergie, notamment en synthétisant les produits à basse température,
- à privilégier des matières premières renouvelables,
- à utiliser des catalyseurs plutôt que des réactifs intermédiaires lorsque c'est possible,
- à produire des déchets non nocifs et faciles à dégrader plutôt que des déchets polluants et difficiles ou dangereux à manipuler,
- ou encore à monitorer l'apparition éventuelle de polluants en temps réel.