Plus la zone euro s’enfonce dans la crise grecque, plus l’élite dirigeante européenne semble perdre pied et rechercher des expédients pour camoufler cette évidence qui s’impose, chaque jour un peu plus, aux marchés financiers : la Grèce est en déconfiture.
C’est ce que nous allons essayer de montrer dans ce papier factuel qui s’inscrit dans le prolongement de nos analyses antérieures. Ceux qui s’y reporteront pourront constater qu’elles anticipaient correctement la situation présente (1).
Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, écrivions-nous fin octobre 2010:
« La Grèce est virtuellement en faillite : Si l’on reprend le critère du solde budgétaire primaire qu’il faudrait mobiliser en 2015 pour stabiliser la dette grecque sur la base 2008, on se rend rapidement compte que l’effort budgétaire est techniquement hors de portée. C’est en effet 12,3% de son PIB que le gouvernement d’Athènes devrait allouer, en 2015, au remboursement de la dette. Le défaut de paiement devient tellement prévisible qu’il commence à être publiquement évoqué par les hommes de l’État grec » (2).
En huit mois, la situation économique et financière d’Athènes s’est considérablement dégradée et les illusions d’un éventuel redressement envolées. Ceci malgré les injections massives de liquidités effectuées par l’Union Européenne et le FMI. En d’autres termes, les lois économiques commencent à produire tous leurs effets et les artifices étatiques pour les contourner se réduisent à néant.
1. Des données brutes de plus en plus brutales
Lorsqu’on rassemble les dernières données publiées par Eurostat, le FMI et la presse financière, on comprend rapidement que la Grèce est structurellement devenue insolvable (3). Fin 2010, le ratio d’endettement public par rapport au PIB atteignait 142,8%. Il dépasse aujourd’hui 150% (4). Le taux de croissance a, pour sa part, été négatif en 2010. Selon les chiffres du FMI, le PIB grec a reculé l’année dernière de 4,2% (5). Et, sur les trois premiers mois de l’année 2011, la récession s’est accélérée avec un recul de 5,5% du PIB (6). Concomitamment, le déficit public s’aggrave. Un article paru dans le Monde du 14 juin résume bien le dérapage des finances publiques grecques :
« Alors que les ministres des finances de l’Eurogroupe tenaient mardi une réunion pour évoquer le plan d’aide à la Grèce, le ministère des finances grec a annoncé que le déficit budgétaire du pays a dérapé sur les cinq premiers mois de 2011, s’établissant à 10,275 milliards d’euros alors que l’objectif était de 9,072 milliards. En un an, le déficit public grec s’est donc creusé de 12,9 %, malgré le plan de soutien de l’Union européenne et du Fonds monétaire international (FMI). Ce résultat, sur la base d’estimations « provisoires », découle surtout d’un manque à gagner de 1,936 milliard sur le total des recettes par rapport aux objectifs fixés par le budget. Les dépenses budgétaires, elles, sont en hausse de 6,4 % par rapport aux cinq premiers mois de 2010, à 27,592 milliards, soit 1,015 milliard de plus que prévu (…) La hausse des dépenses se poursuit. Le ministère a imputé dans un communiqué cette évolution au recul plus grave que prévu de la croissance au dernier trimestre 2010, à un tassement des recettes des impôts, et à une hausse des retours sur avances « du fait du règlement de différends d’années passées ». La hausse des dépenses, en dépit d’un an de rigoureuse austérité, est, elle, due au déblocage d’une ligne de crédit de 375 millions d’euros pour acquitter une part des lourdes dettes des hôpitaux, et au poids du service de la dette, avec des dépenses en hausse de 8,3 % sur un an, à 5,844 milliards »(7).
Inévitablement, les taux d’intérêt des obligations grecques explosent :
« Les taux d’intérêt à long terme sur les emprunts d’État de la Grèce ont atteint mercredi 15 juin des niveaux record alors que la contestation monte dans le pays et que les Européens ne parviennent pas à se mettre d’accord sur les modalités d’un second plan d’aide au pays jugé de plus en plus proche du défaut. A 18H30, ces taux à dix ans se tendaient à 17,439% contre 17,156% la veille au soir et après avoir atteint 17,68% en séance, du jamais vu » (8).
De manière encore plus spectaculaire, le rendement des obligations grecques à trois ans est passé de 8 à 29% en moins d’un an. Une variation qui, à elle seule, entraînerait un coût théorique supplémentaire de refinancement de la dette de plus de 100 milliards d’euros.
Au vu de toutes ces données, on est légitimement en droit de se demander si la Grèce sera un jour en mesure d’honorer ses engagements envers ses créanciers. Pour répondre à cette question, nul besoin de modèles mathématiques complexes ou d’équations au énième degré. Il suffit pour cela d’utiliser une arithmétique élémentaire basée sur la règle de trois et accessible à tous les enfants de cours moyen.
2. Calculs élémentaires d’une déconfiture déjà réalisée
Supposons, un instant, que la Grèce n’ait pas le soutien de l’Union Européenne et qu’elle doive emprunter sur les marchés des capitaux. Quel devrait être, alors, le taux de croissance de son PIB pour payer les seuls intérêts de sa dette à un taux de 17,5% sur 10 ans ou de 30% à 3 ans ? Pour obtenir le taux à dix ans, on procède en multipliant le ratio d’endettement par le taux d’intérêt divisés par 100 soit : (150 X 17,5)/100 = 26,25%. Et, en appliquant le même calcul pour le taux d’intérêt à 3 ans, on obtient 45%. Inutile de préciser que de tels taux de croissance du PIB ne se rencontrent pas dans l’économie réelle, même en Chine. De facto, la Grèce est incapable d’emprunter sur les marchés financiers. C’est bien pour cette raison que, il y a exactement un an, l’on a créé du Fonds de stabilisation européen. Ceci de telle sorte que la Grèce puisse continuer à emprunter, envers et contre tous les marchés, à un taux de moyen de 5%.
A 5% d’intérêts, il faudrait à la Grèce un taux de croissance du PIB de 7,5% pour rembourser ses seuls intérêts. Cela sans augmenter les impôts de manière insoutenable. Or, nous l’avons vu, au lieu d’une croissance de son PIB, la Grèce a subi une décroissance de 4,8% en 2010. Et, en 2011, elle se trouve actuellement sur une pente de – 5%.
De ce point de vue, la Grèce est prise entre l’enclume de son PIB et le marteau du montant de sa dette qui, en dehors de la charge des intérêts, continue à augmenter mécaniquement au fur et à mesure que son PIB se contracte.
Ainsi, si l’on retient l’hypothèse d’une récession à 5% en 2011, on peut calculer l’augmentation mécanique de la dette au début de l’année 2012 soit : (100/97 X 150) = 154%. Un chiffre auquel, il faudra ajouter les 7,5% de croissance manquants pour payer les intérêts de ladite dette soit : 161,5%. On peut donc estimer qu’à la fin de l’année 2011, la dette publique grecque franchira le cap des 160% de son PIB.
Bien entendu, les hommes de l’État peuvent faire fi des questions de croissance et tenter d’augmenter les recettes de l’État en augmentant les impôts. C’est la politique très dangereuse adoptée par le gouvernement socialiste de Papandréou. Un pari d’autant plus risqué, que la hausse des impôts peut entretenir la récession et encourager la fraude fiscale. Ceci, dans un pays où elle est notoirement considérée comme un sport national.
De toute évidence, la Grèce n’est plus en mesure de payer les intérêts de sa dette. Et, chaque jour qui passe diminue ses capacités de remboursement.
L’agence de notation Moody’s ne s’y est pas trompée. Le 1er juin, elle a abaissé la note de la Grèce de trois crans :
« Moody’s a dégradé de trois crans la note de la Grèce. Athènes reproche à l’agence de notation d’ignorer ses efforts pour réduire sa dette. La Bourse de New York affiche sa plus forte baisse à la clôture depuis août dernier. Une fois encore, les agences de notation vont faire parler d’elles. Alors que les marchés financiers avaient retrouvé un semblant de confiance, Moody’s vient de doucher leurs derniers espoirs. Trois semaines après Standard and Poor’s, l’agence de notation a dégradé de trois crans la note qu’elle attribue à la dette publique de la Grèce à un niveau (Caa1) reflétant un risque réel de non-remboursement. ‘’L’abaissement de la note reflète l’accroissement du risque de voir la Grèce échouer à stabiliser sa dette sans la restructurer’’, explique l’agence de notation. Autrement dit, Moody’s craint que la Grèce fasse défaut. Un risque qu’elle évalue à environ 50%. Deux jours après que l‘Allemagne avait rassuré les marchés financiers en écartant une restructuration de la dette grecque, l’agence de notation américaine, elle, ne croit pas que la Grèce puisse stabiliser sa dette sans une restructuration » (9).
Après cette nouvelle dégradation de sa note, la Grèce se retrouve le pays le plus mal noté du monde, après le Pakistan. C’est dire l’ampleur de sa déroute financière.
On ne sera, toutefois, pas totalement d’accord avec Moody’s quant à la crainte d’un risque de défaut dans l’avenir. En vérité, la Grèce a déjà fait défaut. C’est là une évidence qui semble échapper à tous les commentateurs : ce n’est plus le contribuable grec qui paye les intérêts de la dette publique grecque, ce sont les contribuables allemands, français, hollandais, autrichiens, suédois, danois… et même chinois.
La réalité que masque le Fonds de stabilité européen, c’est que la Grèce est actuellement renflouée par des débiteurs, contraints par leurs hommes de l’État de soutenir un débiteur insolvable. Pour prendre une analogie, c’est comme si une banque privée voulait récupérer ses créances sur un mauvais payeur. Qu’elle mandate à cette fin un huissier. Et, que cet huissier, en cheville avec un juge ami du débiteur de la banque, revenait avec une injonction du tribunal pour que la banque octroie un crédit supplémentaire à son débiteur…
Dans le cas présent, ce sont les hommes de l’État qui jouent le rôle du juge ami du débiteur et les contribuables celui de la banque. Quant au rôle de l’huissier, il incombe sans doute à l’euro…
Le motif avancé pour justifier une telle perversion des rôles est que si l’on ne sauvait pas la Grèce, il se produirait un effet de contagion à toute la zone euro qui risquerait alors d’éclater. Cependant, rien ne prouve que les interventions du Fonds de stabilisation européen sauveront la Grèce ni que la contagion ne se produira pas. L’analyse des interventions récentes du Fonds de stabilité européen et des résultats obtenus laisse penser le contraire.
3. Le soutien à la Grèce fragilise la zone euro
C’est une évidence marquée au fer rouge de l’actualité : le premier plan de sauvetage européen de 110 milliards d’euros a échoué. Moins d’un an après, il faut dans l’urgence mettre en œuvre un second plan évalué, à ce jour, entre 100 et 120 milliards d’euros. Or, sans retour d’une forte croissance en Grèce, ce plan sera aussi voué à l’échec. Quant à la contagion, elle a déjà touché le Portugal et l’Irlande. Cela se lit très clairement dans l’évolution des taux de leurs obligations à 3 ans et à 10 ans. Comme pour la Grèce, ils ont battu des records historiques. Au 14 juin, ces taux étaient, pour les obligations portugaises à 3 ans de 12,9 % et de 10,6% pour les obligations à 10 ans. Pour les obligations irlandaises, le taux à 3 ans était de 13,4% et à 10 ans de 11,3%.
Et, le vendredi 17 juin, Moody’s annonçait la dégradation prochaine de la note de l’Italie :
« Au plus fort de la crise grecque, l’agence d’évaluation financière Moody’s a indiqué vendredi qu’elle envisageait d’abaisser la note de dette de l’Italie, actuellement fixée à « Aa2″. L’agence souligne les risques pesant sur la croissance, les marchés financiers et la capacité du gouvernement à réduire le déficit. Moody’s a annoncé dans un communiqué avoir placé « sous surveillance en vue d’un éventuel abaissement » la note de la dette publique italienne à long terme, qui est la troisième meilleure possible sur son échelle, après « Aaa » et « Aa1″.
Elle a invoqué « les défis pour la croissance économique dus aux faiblesses structurelles et une probable hausse des taux d’intérêt au fil du temps ». Elle s’inquiète des « risques pesant sur la mise en œuvre des projets de rééquilibrage du budget nécessaires pour réduire le niveau de la dette de l’Italie et maintenir le coût de son refinancement à des niveaux abordables (…) Enfin, Moody’s envisage « une évolution [défavorable] des conditions de financement pour les États européens ayant de hauts niveaux de dette », une allusion à la crise dans d’autres pays de la zone euro » (10).
Rappelons que le ratio d’endettement public de l’Italie est de 120% de son PIB. Ce n’est donc pas, directement, la crise de l’endettement public grec qui affecte la capacité d’emprunt de l’Italie, c’est son endettement propre et ses capacités limitées de croissance. C’est une lapalissade de le dire, mais la ‘’contagion’’, c’est-à-dire la hausse des taux des obligations publiques, ne pourrait se produire si les pays de la zone euro avaient des finances publiques équilibrées et des perspectives positives de croissance. Les pays de l’Euroland aux économies les plus saines ne sont d’ailleurs pas touchés par la crise grecque. Cela se reflète parfaitement dans les spreads de taux longs, par rapport à l’emprunt Bund allemand. Pour le mois de mai, ceux-ci étaient, en points de base, de 0 pour le Luxembourg, 26 pour la Finlande, 34 pour les Pays-Bas, 43 pour la France, 47 pour l’Autriche.
Par contre, pour les PIIGS, les spreads s’élevaient à 1228 points pour la Grèce, 758 pour l’Irlande, 657 pour le Portugal, 226 pour l’Espagne et 170 pour l’Italie (11).
Là où la crise grecque se reflète marginalement dans la notation des pays de la zone euro, donc dans le taux d’intérêt de leurs obligations, c’est dans l’estimation qui est faite de leur capacité d’emprunter pour renflouer la Grèce. Très certainement, cette estimation intègre aussi le degré d’acceptation des opinions publiques européennes à soutenir le gouvernement d’Athènes qu’ils n’ont pas élu et des services publics grecs dont ils ne bénéficieront sans doute jamais.
Or, sous cet angle, les marges de manœuvre des États de l’Union Européenne ne cessent de se réduire. Cela se lit dans leurs déficits et le ratio de leur dette publique :
« En 2010, les déficits publics les plus élevés, par rapport au PIB, ont été observés en Irlande (-32,4%), en Grèce (-10,5%), au Royaume-Uni (-10,4%), en Espagne (-9,2%), au Portugal (-9,1%), en Pologne (-7,9%), en Slovaquie (-7,9%), en Lettonie (-7,7%), en Lituanie (-7,1%) et en France (-7,0%)… A la fin de 2010… quatorze États membres ont affiché un ratio de dette publique supérieur à 60% du PIB en 2010: la Grèce (142,8%), l’Italie (119,0%), la Belgique (96,8%), l’Irlande (96,2%), le Portugal (93,0%), l’Allemagne (83,2%), la France (81,7%), la Hongrie (80,2%), le Royaume-Uni (80,0%), l’Autriche (72,3%), Malte (68,0%), les Pays-Bas (62,7%), Chypre (60,8%) et l’Espagne (60,1%). En 2010, les dépenses publiques dans la zone euro ont représenté 50,4% du PIB et les recettes publiques 44,4% » (12).
Quant aux opinions publiques européennes, le moins que l’on puisse dire c’est qu’elles s’impatientent. Particulièrement en Allemagne, où les électeurs ont l’impression d’avoir été trahi par le gouvernement Merkel qui avait adopté le premier plan de sauvetage de la Grèce contre leur gré et avait laissé entendre qu’il n’y en aurait pas de second. Ils le lui ont d’ailleurs fait payer politiquement très cher aux dernières élections régionales.
Relevons, au passage, que le ratio d’endettement de l’Allemagne (83,2%) est désormais supérieur à celui de la France (81,7%), ce qui progressivement affecte le taux de ses obligations :
« La confiance est loin d’être revenue et le manque de coordination des Européens y est pour quelque chose. Le Bund allemand, avec un rendement de 2,91% à 10 ans, fait toujours office de valeur refuge. Mais ce statut commence à être remis en question. Le mois de décembre a d’ailleurs été marqué par une forte volatilité pour les titres souverains allemands. Après avoir démarré le mois de décembre à 2,67%, le Bund a touché un plus haut de 3,05% durant le mois avant de terminer l’année à 2,96%. Un certain nombre d’investisseurs notent que compte tenu des désordres au sein de la zone euro, et en l’absence d’une plus grande coordination des politiques économiques, acheter la dette allemande n’est plus vraiment protecteur puisque l’Allemagne ne serait pas à l’abri en cas de crise majeure. Quelques grands investisseurs institutionnels, comme Legal & General, ont récemment indiqué être à la recherche d’alternatives, regardant du côté des Pays-Bas ou de la Finlande »(13).
La très grande hostilité de l’opinion allemande au renflouement de la Grèce ne permet plus au gouvernement Merkel d’agir comme bon lui semble. Aussi, la chancelière a-t-elle tenté, ces dernières semaines, de ménager la chèvre grecque et le chou allemand en proposant de faire contribuer les banques privées au second plan de sauvetage. Ce qui, dans un premier temps, a suscité l’ire de la France et a empêché la conclusion d’un accord sur les modalités du nouveau plan de renflouement.
4. L’introuvable plan de sauvetage
Depuis le mois d’avril, les négociations au sein de l’Eurogroupe, pour la mise en place d’un second plan de renflouement en faveur de la Grèce, se sont enlisées faute d’une option satisfaisant les attentes contradictoires de toutes les parties prenantes.
Afin de comprendre pourquoi il n’y aura désormais plus de plan consensuel, il est utile de se livrer à une revue des options théoriquement disponibles pour liquider la dette grecque :
Première option : c’est la vieille recette de la monétisation de la dette, de l’inflation puis de la dévaluation de la monnaie. Elle n’est plus possible dans le cadre de l’euro, même si la BCE a partiellement monétisé la dette publique grecque en la rachetant sur le second marché. L’Allemagne s’y oppose absolument. En outre, la monétisation est interdite par les statuts de la BCE qui, si elle ouvrait cette boîte de Pandore, devrait également monétiser la dette irlandaise, portugaise, espagnole, voire italienne. Ce qui dépasse de loin ses capacités financières.
Deuxième option : la reconduite à l’identique du premier plan et l’octroi d’une nouvelle tranche de 110 à 120 milliards d’euros. C’était jusqu’au mois de mai l’option préférée par les pays latins et interventionnistes, France en tête. Là aussi, l’Allemagne a fait comprendre qu’un tel plan n’était plus politiquement acceptable. Et, comme l’a observé Jean-Jacques Rosa, dans une entrevue donnée au Figaro le 15 juin, ce type d’intervention ne résout pas les problèmes de la Grèce, il les aggrave :
« Avec des inflations plus élevées que la nôtre – et surtout que l’allemande -, une compétitivité fortement dégradée, des problèmes aigus de dette, certains de ces pays vont sortir très probablement de la zone euro. Je pense à la Grèce, mais aussi au Portugal, à l’Irlande, et peut-être même l’Espagne. C’est une prédiction sérieuse ? Pour les Grecs, assurément. Le pire est le problème du renouvellement de la dette qui arrive à terme. Il leur faudra réemprunter beaucoup entre 2012 et 2014. On multiplie donc les plans de prétendu sauvetage, alors qu’en vérité on alourdit encore leur dette en pourcentage du revenu national. Et les plans d’austérité contractent davantage l’activité économique, si bien que le rapport de la dette à la capacité de remboursement augmente au lieu de se réduire. Chaque prêt aggrave leur problème » (14).
Troisième option : contraindre les banques à échanger les obligations grecques arrivant à maturité contre de nouvelles obligations à maturité plus longue. C’est l’option allemande du roll-over, défendue par Merkel et Schäuble. Cette option a contre elle la BCE :
« A Berlin, le gouvernement allemand ne cache plus son irritation à l’égard de la BCE, dont il défend d’ordinaire bec et ongles l’indépendance. L’institution monétaire européenne insiste pour que les créanciers privés de la Grèce ne soient appelés que sur une «base volontaire» à accorder un sursis à un pays dont les agences de notation attendent la banqueroute. C’est loin d’être suffisant aux yeux des députés de la coalition de centre droit de Merkel, pour lesquels cette participation doit être contraignante. Afin de s’assurer le soutien du Bundestag de plus en plus regardant sur les deniers de l’Allemagne, le gouvernement fédéral demande donc que tous les créanciers soient priés d’échanger leurs titres contre les obligations grecques à maturité plus longue. Pour la BCE, un tel échange contraint équivaudrait à reconnaître qu’Athènes est en défaut de paiement »(15).
Cette option est également rejetée par le FMI, la communauté financière internationale et les agences de notation pour les mêmes raisons. Incidemment, elle est repoussée par la France dont les banques Société Générale, Crédit Agricole et Paribas sont surexposées à la dette grecque. C’est ce qu’a montré leur mise sous surveillance, le 15 juin, par Moddy’s.
Comme on le comprend facilement le plan de Berlin ferait peser une charge plus grande sur les banques françaises que sur les contribuables allemands. Un plan qui n’arrange pas Paris qui rêve toujours, un peu naïvement, de diluer la dette grecque portée par ses banques entre les pays solvables de l’Euroland. C’est bien pour cette raison que le gouvernement français défend, pour la Grèce, l’approche volontaire d’une initiative dite de ‘’Vienne’’, sachant qu’elle a très peu de chance d’aboutir concrètement :
« Cette solution, qui s’apparente à l’initiative de Vienne de 2009 pour traiter la crise en Europe centrale, ‘’fait figure de solution technique pour permettre aux dirigeants européens d’affirmer que les banques participent au sauvetage de la Grèce, en contrepartie d’une deuxième ligne d’aide publique’’, explique Etienne Pourny, président de Stelphia Asset Management. Les banques françaises s’y étaient déjà engagées en mai 2010 lors de l’octroi du premier plan d’aide à Athènes. Mais sa mise en œuvre s’annonce délicate, pour des effets certainement limités. Comme les porteurs de dette grecque sont non seulement des banques, mais aussi des hedge funds, des compagnies d’assurance et des fonds de pension, il sera difficile de les persuader tous de participer à l’initiative, soulignent les économistes de marché de BNP Paribas. Si les banques grecques sont les seules concernées… les bénéfices seraient moindres. Les banques domestiques détiennent 46 milliards d’euros d’obligations d’État grecques et les étrangères environ 40 milliards. Surtout, une initiative de Vienne ‘’ne résout pas le problème de l’endettement trop important du pays. Elle réduirait simplement les problèmes de liquidité. Cela revient à déplacer les chaises longues sur le Titanic’’, concluent les économistes de marché de BNP Paribas » (15).
Quatrième option : la sortie de la Grèce de l’euro et la dévaluation. Selon nous, cela serait la moins mauvaise des solutions. Car privée d’industries et de services performants, la Grèce n’est pas en mesure de générer une croissance endogène assez forte qui lui permettrait de rembourser sa dette publique. Certes, cette solution aura un coût. Et, même un coût élevé avec des répercussions pour les autres pays surendettés de la zone euro. Mais ce coût sera toujours moins élevé que de faire gonfler artificiellement la dette publique de la Grèce jusqu’au jour où plus personne ne pourra on ne voudra plus la financer.
5. Conclusion
Quelle que soit l’option qui sera retenue d’ici juillet ou septembre pour éviter le défaut de paiement de la Grèce (sans doute un mélange du plan français avec une nouvelle tranche de prêts directs et une dose allemande de roll-over bancaire plus ou moins volontaire), elle ne donnera satisfaction à personne et renforcera les antagonismes entre les partenaires de l’Eurogroupe dans la gestion future de la crise.
Sans doute ces derniers commencent-ils à prendre conscience qu’ils sont victimes du piège dialectique qu’ils ont eux-mêmes créés : en renflouant la Grèce pour sauver la monnaie unique, ils empêchent la Grèce de se sauver elle-même. Tant qu’ils refuseront de sortir de ce labyrinthe conceptuel, ils n’auront d’autre issue que de monter toujours plus haut sur la pyramide de Ponzi. Jusqu’au jour où tout l’édifice s’effondrera.
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Notes
(1) Gilles Dryancour, Institut Turgot, L’Allemagne et le dossier grec : les juges constitutionnels feront-ils dérailler l’euro ?, juillet 2010. La démocratie européenne périra-t-elle en Grèce ?, avril 2010. Sortie de crise (3): vers la dislocation de l’Euroland ?, décembre 2009.
(2) Gilles Dryancour, Institut Turgot, Union monétaire : en route vers l’eurodrachme…., novembre 2009.
(3) Eurostat, Communiqué de Presse, EuroIndicateurs, n° 60/2011, 26 avril 2011.
(4) Libération, Grèce la crise sans fin, Jean-Louis Quatremer, Les coulisses de Bruxelles, 29 mai 2011.
(5) Le Figaro Economie, Le FMI plus pessimiste sur la croissance grecque, 14 décembre 2010.
(6) Agence Reuters, Greece GDP dives as cabinet aims to back austerity, 9 juin 2011.
(7) Le Monde avec AFP, Grèce : le déficit budgétaire continue d’exploser en 2011, 14 juin 2011.
(8) Le Monde avec AFP, Les taux d’intérêt des emprunts grecs s’envolent à des niveaux record, 15 juin 2011.
(9) Le Figaro Economie, La Grèce aurait moins de 50% de chances de rembourser sa dette, 3 juin 2011.
(10) Le Monde avec AFP, Moody’s pourrait dégrader l’Italie, 17 juin 2011.
(11) BCE, Long-term interest rate statistics for EU Member States, 14 juin 2011.
(12) Eurostat, Communiqué de Presse, EuroIndicateurs, n° 60/2011, 26 avril 2011.
(13) Bourse Reflex, Le Bund voit son statut de valeur refuge contesté, 10 janvier 2011.
(14) Le Figaro, Rosa : «L’euro est un contresens économique», 15 juin 2011.
(15) Le Figaro, Grèce : les Européens jouent la montre, par Patrick Saint-Paul, 16 juin 2011.
(16) L’Agefi, Une « initiative de Vienne » pour la dette grecque aurait un effet symbolique
Article repris du site de l’Institut Turgot avec l’aimable autorisation de son auteur